• Aucun résultat trouvé

III. Des outils de recherche adaptés à une analyse multi-échelle, une grande région d’étude, un large champ

III. 3. Cartographie des aires pastorales

Les aires pastorales sont des ressources recherchées par les éleveurs au cours de leur transhumance. Ces espaces sont définis à la fois par leur végétation et par leur environnement : (1) ce sont des zones de végétation suffisamment riche pour attirer des troupeaux transhumant ; (2) ce sont aussi des zones d’accès suffisamment sûr en saison des pluies, c'est-à-dire suffisamment éloignées des champs cultivés.

Ces deux critères ne peuvent être déduits des données existantes même s’il existe un lien entre eux. La végétation dépend en partie du type de sol, mais ces derniers ne sont décrits sur l’ensemble de la zone qu’à une trop petite échelle. Elle dépend également de nombreux autres facteurs, qu’on ne peut décrire qu’à une échelle locale et sur lesquels je ne disposais pas de données, tels que le relief, l’intensité de l’utilisation pastorale et agricole, le passage de feux… Le deuxième critère de définition est lié à la « structure spatiale », c'est-à-dire la fragmentation des espaces pastoraux et leur éloignement des champs cultivés. Cette dernière est certes liée à des facteurs connus grâce aux données existantes (tels que la densité de population, calculée d’après les recensements seulement à l’échelle de la commune ou du département) mais elle ne peut y être réduite car elle dépend aussi de nombreux autres facteurs (tels que l’histoire locale, l’évolution des structures foncières etc.).

J’ai conçu et coencadré12 un stage pour les besoins de la thèse. Il s’agissait d’identifier sur des images satellites, cartographier et caractériser les aires pastorales dans l’aire d’attraction. Je

12 Le stage a été financé et organisé par le Cirad. L’encadrant principal en a été Cyrille Cornu (UMR TETIS), assisté par Stéphane Dupuy, basé à la Maison de la Télédétection de Montpellier.

reproduirai en chapitre 3 (cf. Répartition des aires pastorales , p. 209) une partie de ses résultats et j’analyserai les plus importants. Je vais présenter maintenant succinctement la méthode utilisée, innovante par plusieurs aspects.

Identification de la méthode et des outils pour la carte d’utilisation du sol

J’avais effectué avant ce stage une réflexion sur les outils qu’il était possible de mobiliser pour atteindre cet objectif. Le coût des images satellites et la grande taille de la région d’étude ont imposé de travailler avec des images gratuites Landsat 7 ETM+, de résolution 30 mètres. Ce niveau de précision est un peu insuffisant pour atteindre une précision de l’ordre de l’hectare ou de la dizaine d’hectare dans ce milieu mais compatible avec l’objectif d’identifier les plus grandes aires pastorales susceptibles d’attirer les transhumants, dont la taille devait être de l’ordre du kilomètre carré selon les premières enquêtes effectuées. Seules quelques images étaient disponibles et dataient de 1999 à 2001 : la carte obtenue ne reflète donc qu’une situation déjà ancienne mais permet d’identifier les grandes aires de pâturages, qui sont relativement stables dans le temps d’après les images disponibles et analysées sur des portions de la zone d’étude. Elle permet aussi d’identifier les grandes régions pastorales définies d’après la répartition de ces grandes aires. Cette résolution paraissait aussi compatible avec un degré d’exigence relativement modeste en termes d’identification de l’occupation du sol. En effet, il n’est nécessaire que de distinguer deux classes : les champs cultivés d’un côté ; les autres occupations du sol de l’autre, ces dernières pouvant être considérées comme des aires pastorales potentielles, qu’une analyse spatiale permettrait par la suite de caractériser.

Il était nécessaire de tester la faisabilité de l’interprétation en comparant les résultats de l’analyse d’images actuelles avec une réalité terrain. Le budget disponible a permis d’acquérir deux images Spot récentes, de résolution comparable à celle des images Landsat. J’ai effectué l’analyse d’image et les relevés de terrain en 2007 avant les débuts du stage qui a eu lieu en 2009. Ce travail préliminaire a permis de quantifier sur des échantillons la précision de l’interprétation des images.

Il a aussi permis d’identifier un certain nombre de difficultés. Les unités d’occupation du sol dans ces régions sont très petites (souvent inférieures à l’hectare) et le paysage ainsi composé très composite, ce qui rend très délicat l’interprétation : la brousse tigrée est constituée d’une alternance de sol nu et de bandes de végétation ; les zones cultivées intègrent à la fois des champs, des jachères jeunes, des jachères anciennes et parfois du sol nu. Des confusions restaient ainsi relativement fréquentes : les champs cultivés pouvaient être confondus, selon les régions climatiques, avec du sol nu ou de la jachère jeune ; à son tour la jachère jeune pouvait être confondue avec une jachère ancienne. L’interprétation automatisée est parfois très inexacte alors qu’un opérateur fait facilement une classification correcte, en utilisant des critères de taille ou de forme des parcelles, du contexte etc.

Ces obstacles ont conduit à tester l’emploi d’un outil d’analyse d’image spécifique, Definiens

Developper, qui permet une classification « orientée objet ». Il permet de combiner une analyse

par pixel (classification supervisée telle qu’elle a été menée au cours des tests) à une analyse par objets, préalablement reconnus sur l’image selon leur taille et leur forme, grâce à un paramétrage itératif effectué par l’opérateur (opération nommée segmentation de l’image). Cette méthode, que l’on peut comprendre comme plus proche d’une analyse humaine, permet dans certains cas d’améliorer l’interprétation. Une présentation détaillée de cette méthode, de ses avantages et de ses limites a été détaillée dans le rapport de stage (Le Charpentier, 2009). Habituellement utilisé sur des images à très haute résolution spatiale, le logiciel a pourtant ici permis de reconnaître avec une très bonne précision les brousses tigrées, éliminant les erreurs d’interprétation les plus fréquentes au cours des tests, entre le sol nu et les champs cultivés. En zone sahélienne et dans les régions de plateaux, ces brousses tigrées sont justement les grandes aires pastorales que nous cherchions à identifier. En quantifiant la proportion de sol nu et de végétation, nous avons même pu établir une distinction entre les « brousses denses » qui peuvent être des aires d’accueil et les « brousses dégradées », qui sont trop pauvres pour servir aux transhumants. Pour les autres catégories d’occupation du sol, la précision est restée assez faible (40 % d’erreur dans certaines zones) et le logiciel n’a pas constitué un apport décisif. Les types de confusions étaient différentes selon les zones climatiques (champ cultivé confondu avec jachère jeune en zone sahélienne,

jachère jeune avec jachère ancienne en zone soudanienne) mais une analyse fine des confusions

entre classes d’occupation du sol par zone, associée à une correction manuelle de l’interprétation par « post-classification », a permis néanmoins l’identification des grandes zones pastorales tel que nous le souhaitions. Contrairement à ce que nous avions espéré, l’interprétation des images a dû être complétée et corrigée par l’utilisation des images à très haute résolution disponibles gratuitement sur Google Earth, ce qui a demandé un gros travail et limité le temps disponible pour la phase suivante, l’analyse régionale de la répartition spatiale des aires pastorales en fonction de leurs caractéristiques.

Identification et caractérisation des aires pastorales

Une fois réalisée une carte d’occupation du sol, le travail a consisté à interpréter la structure spatiale des zones non cultivées pour comprendre ce qui constitue une aire pastorale utilisées en saison des pluies par les pasteurs. Une analyse des données passant par la constitution d’un Système d’Information Géographique a permis d’identifier sur l’image des zones pastorales homogènes (absence de champs cultivés) et d’une taille suffisante pour être d’un accès sûr pour les pasteurs. Dans un souci de fiabilité (en raison de la faible résolution des images et des erreurs d’interprétation), nous avons choisi d’éliminer les zones d’une taille inférieure à un seuil de 10 km², que j’avais identifié grâce aux enquêtes comme la surface approximative minimum des aires

pastorales qui accueillent des transhumants. Les aires plus petites sont essentiellement utilisées par les éleveurs voisins qui ne partent pas en transhumance en saison des pluies. Cette analyse a compris plusieurs étapes : élimination des pixels isolés ou des objets trop petits non significatifs, simplification de l’image pour la rendre manipulable par les ordinateurs, par différentes techniques de filtrage, choisies pour ne pas biaiser l’interprétation. Les zones pastorales les plus homogènes ont été artificiellement séparées les unes des autres pour pouvoir les traiter comme des objets individualisés, que l’on peut nommer, mesurer (surface, périmètre) et caractériser (type de formation végétale dominante, forme, fragmentation…).

L’étape suivante a été la caractérisation des aires ainsi identifiées. Il est apparu que les indices de végétation (du type NDVI) ne pouvaient être utilisés pour caractériser la richesse pastorale de l’aire. En effet, l’importance du sol nu fausse la validité de cet indice et empêche la comparaison entre régions soudaniennes et sahéliennes. De plus, les quatre images sur lesquelles nous avons travaillé n’ont pas été prises la même année, ni exactement à la même saison, empêchant toute comparaison régionale de l’indice. La richesse pastorale est alors indiquée par le type de formation végétale (sol nu, brousse tigrée dégradée ou dense, savane) reconnue sur l’image par l’interprétation.

La caractérisation de la fragmentation des aires pastorales identifiées est peut-être l’apport le plus original de ce travail. En effet, les enquêtes ont montré que les éleveurs font des distinctions entre les aires pastorales, certaines étant jugées plus sures car les troupeaux y sont en permanence suffisamment éloignés des champs cultivés qui l’entourent. Ce critère primordial dépend de la forme de l’aire et de la présence de champs « pièges » en son sein. Nous avons donc cherché un indicateur capable de rendre compte de cette caractéristique. Nous avons d’abord testé des critères mathématiques de caractérisation de forme, simples à calculer, tels que le shape

index et l’indice fractal. Mais il est apparu que ces indices varient fortement selon la forme du

contour de l’aire à une échelle bien trop précise, celle des pixels, alors que l’échelle adéquate est de l’ordre de la centaine de mètres.

Nous avons donc construit deux indices, plus complexes à calculer, mais qui font sens directement en terme d’utilisation pastorale : l’indice de sécurité (IS) et l’indice de mitage (IM). Le plus important, l’IS, est le ratio de la surface de l’aire « sécurisée »13 (c'est-à-dire éloignée de plus de 200 m des champs cultivés) à la surface totale de l’aire (cf. Figure 2 p. 61). Ce seuil de 200 m a été estimé par des enquêtes auprès de bergers qui ont indiqué à quelle distance minimale des champs ils conduisaient leur troupeau. Sa valeur n’est pas constante car elle dépend du type de milieu, de la compétence du berger, du comportement de ses bovins, de sa crainte de provoquer

13 Le terme adéquat serait plutôt « aires sures », au sens de « safe » en anglais, mais « sécurisées » a été préfér pour des raisons d’euphonie.

des dégâts. Cette valeur précise de 200 m n’est donc qu’un ordre de grandeur, nécessaire à la construction de l’indice. Ces deux indices (IS et IM) permettent de comparer les aires entre elles et de hiérarchiser leur attractivité pour les pasteurs. Ils permettent d’ajouter le critère de degré de

sécurité de l’aire aux deux autres critères, richesse pastorale et taille.

Cette démarche est la seule à ma connaissance qui tente de rendre compte du degré de

sécurité, critère primordial de l’attractivité des aires pastorales en zone agricole. Je présenterai en

chapitre 3 (cf. IV.2.3. Répartition des aires pastorales, p. 209) les cartes issues de ce stage et j’analyserai la répartition des aires pastorales au sein de l’aire d’attraction du Parc du W. Nous verrons qu’elles complètent les données issues des enquêtes et qu’elles apportent un éclairage important pour comprendre la mobilité des éleveurs.

Figure 2. Méthode de calcul des indices de mitage (IM) et de sécurité (IS) des aires pastorales. Source : (Le Charpentier, 2009).

La lecture du schéma commence à partir de la gauche, en partant d’une aire pastorale à caractériser dont la surface est S1. Vers le bas, on calcule l’indice de mitage. Vers le haut, plusieurs étapes conduisent au calcul de l’indice de sécurité (ou de sécurisation).

Aire pastorale à caractériser