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IV. Outils conceptuels pour l’analyse du comportement pastoral

IV.2.2.2. Critères de description du déplacement

Une fois désigné l’objet dont on cherche à caractériser la mobilité, il convient de décrire cette mobilité elle-même. Pris dans un sens large, et sans grand besoin de précision, les termes mobilité, pastoralisme, transhumance ou nomadisme ne posent apparemment pas de problème de compréhension. Pourtant des difficultés apparaissent dès que des classifications plus précises doivent être construites car on s’aperçoit que ces distinctions ne rendent pas bien compte de la diversité des mobilités observées. Nous allons examiner quelques-uns des critères possibles de description et montrer la diversité des modalités observées, qui rendent toute généralisation difficile.

Échelle temporelle

La mobilité peut être décrite d’abord selon une échelle temporelle, c'est-à-dire selon le rythme des déplacements et leur nombre au cours de l’année.

Au bas de cette échelle, il y a d’abord les déplacements quotidiens, sur des parcours plus ou moins vastes, souvent au moins entre les pâturages et le point d’eau.

Il est ensuite fréquent dans certains systèmes que les troupeaux, ou seulement de petits lots d’animaux, changent de pâturage, par exemple entre parcelles au sein d’une même exploitation, plusieurs fois dans l’année, suivant le rythme de consommation des pâturages, la croissance herbacée, la taille des parcelles etc. Ces déplacements saisonniers peuvent aussi avoir des buts variés comme c’est le cas dans notre zone : pâturages, points d’eau permanents, cure salée, zones de cultures…

Le déplacement peut enfin n’avoir lieu que deux fois dans l’année, un aller suivi d’un retour, il a alors ce caractère cyclique et saisonnier décrit par certains auteurs cités.

Un changement de pâturage peut aussi intervenir après plusieurs années : il peut être régulier, prévisible, typiquement au bout d’une durée de quelques années, par exemple commandé par l’épuisement local des ressources qui exigent une période de repos pour se régénérer ; mais s’il se produit une fois, ou plusieurs fois, mais en gardant un caractère exceptionnel dans la vie d’un éleveur, un caractère imprévisible, il s’agit là de l’échelle de la génération ou de celle du « cycle de vie » de l’éleveur, qui fait référence à une migration individuelle.

Enfin, la mobilité peut concerner les déplacements uniques des animaux, pour la commercialisation d’animaux sur pieds.

Ces rythmes sont importants à prendre en compte mais ne sont pas suffisants pour caractériser un système. Différentes échelles se superposent car les troupeaux combinent plusieurs types de déplacement. Les déplacements quotidiens concernent en fait tous les élevages extensifs sur parcours, du nomade au sédentaire. La gestion des parcours et des trajets quotidiens peut être étudiée et caractérisée et dépend fortement du milieu, du berger… mais ce n’est pas cette mobilité quotidienne qui m’intéresse pour cette recherche. A l’opposé, le déplacement de commercialisation est ponctuel, pratiqué seulement par des commerçants dans notre région d’étude et il représente donc une part infime de la mobilité des troupeaux. Cette mobilité-là ne peut non plus servir à caractériser les systèmes dans notre cas. La mobilité à l’échelle de la génération s’accompagne d’une modification du terroir d’attache, d’un changement complet de milieu, de réseaux sociaux, il s’agit manifestement plutôt d’une migration et non d’un acte technique faisant partie d’une stratégie définie et elle ne permet pas de décrire un système.

Échelle spatiale

Après l’échelle temporelle, c’est l’échelle spatiale que l’on peut mobiliser pour décrire une forme de mobilité. L’amplitude des déplacements est effectivement souvent utilisée comme critère, d’abord pour définir les limites d’un élevage qu’on pourrait alors qualifier de mobile, puis de différenciation entre types.

Pourtant ce critère ne me paraît pas le plus pertinent car il est difficile de définir à partir de quelle amplitude il faut parler de mobilité. Ainsi, les parcelles au sein d’une même exploitation européenne sont souvent situées dans un même finage, limitant les déplacements à quelques kilomètres et ne nécessitant pas de logistique particulière. Parler alors de mobilité à cette échelle ne paraît pas adapté.

Le cas des ranches américains pose déjà un problème : les parcelles peuvent être éloignées de plusieurs dizaines de kilomètres, être situées dans des milieux variés (plaine, montagne, désert,

bord de fleuve…) et les éleveurs ont alors recours à une logistique lourde (camions, main d’œuvre pour le déplacement de plusieurs centaines de bêtes…) (IIED, 2010). On pourrait être tenté de qualifier de mobile leur système en raison de l’amplitude de leur déplacement.

A contrario, d’autres situations montrent que les élevages reconnus comme mobiles, comme ceux pratiqués par les nomades, peuvent avoir des déplacements de petite amplitude. Ainsi, les nomades du Sahel peuvent parcourir un territoire compris dans un terroir, inférieur à une dizaine de kilomètre de rayon. On a même parlé de micro-nomadisme, pour évoquer les déplacements permanents de familles autour des nouveaux forages installés dans la zone pastorale, au Sénégal ou ailleurs (Pouillon, 1990). La transhumance peut, elle, s’effectuer sur quelques kilomètres, par exemple entre le dallol20 Bosso et le fleuve Niger, comme sur plusieurs centaines de kilomètres. Les déplacements commerçants des caravanes du désert, en Arabie ou dans le Sahara, peuvent atteindre plusieurs milliers de kilomètres. Ce critère trompeur conduit à un paradoxe apparent : c’est parfois le bétail des systèmes sédentaires qui marche le plus (Benoît, 1984).

Ces exemples pris dans des situations très variées montrent bien que le caractère mobile d’un système d’élevage ne peut venir de l’amplitude des déplacements contrairement à l’intuition première.

Les rythmes

De même, la durée du déplacement quant à elle peut varier de quelques semaines à quelques mois (8 mois dans mon échantillon). Bien sûr, une grande distance demande souvent nécessairement une longue durée, si le troupeau voyage à pied. Mais la réciproque est fausse car un déplacement de quelques kilomètres peut être lié à une stabilité de plusieurs mois. Bien sûr, si le déplacement a lieu en camion, comme c’est le cas en Europe ou aux États-Unis, ou comme pour certains éleveurs arabes au Tchad par exemple, la contrainte de temps est modifiée.

Le caractère régulier et prévisible du déplacement est souvent utilisé pour tenter de distinguer les systèmes. Pourtant, les études précises montrent qu’un certain niveau d’imprévisibilité est toujours associé à ces systèmes mobiles dans les régions arides, la mobilité étant justifiée et rendue indispensable par la variabilité temporelle et spatiale des ressources. Bien sûr, les mauvaises années entrainent toujours des adaptations qui dépendent de l’ampleur et de l’étendue du déficit : sécheresse exceptionnelle, comme en connaît régulièrement le Sahel entier, ou seulement régionale voire locale. Mais même les années normales, les trajets réguliers des transhumants peuvent apparaître changeants chez certains bergers, alors que le circuit de déplacement des nomades peut-être a contrario très stable. De fait, aucune limite entre stabilité et

20 Nom donné à plusieurs vallées fossiles, anciens affluents du fleuve Niger. Cf. Carte 9. Principaux cours d’eau autour du Parc du W., p. 166. Voir Index p. 536.

variabilité des déplacements n’a été fixée par les auteurs pastoralistes pour distinguer clairement les systèmes.