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5. Discussion générale

5.2 Application des connaissances actuelles au sujet des relations entre les facteurs individuels et les estimations temporelles

5.2.2 Dimensions de la personnalité

Certains auteurs ont rapporté que les estimations temporelles prospectives étaient influencées certaines dimensions de la personnalité, comme le névrosisme et l‟extraversion (e.g. Davidson & House, 1982; Eysenck, 1959; Zakay, et al., 1984). La présente thèse contient le premier effort empirique visant à étudier les liens entre les estimations temporelles et ces deux dimensions de la personnalité. Ainsi, étant donné que les résultats des études antérieures étaient contradictoires pour les estimations temporelles prospectives et inexistants pour les estimations rétrospectives, il avait été simplement prédit que le score à ces dimensions, de même que leur interaction, serait significativement corrélé à la précision et à la variabilité des estimations temporelles. Les résultats décrits au chapitre 4 ont confirmé cette prédiction en révélant des relations significatives entre ces dimensions, leur interaction, et les estimations temporelles dans les deux paradigmes. Fait intéressant, les résultats rapportés dans le chapitre 4 ne révèlent aucune relation significative entre les estimations temporelles et l‟état émotionnel des participants. Ainsi, lorsqu‟il est question d‟étudier les estimations temporelles d‟activités quotidiennes, il semble que ces dimensions de la personnalité peuvent être liées aux estimations temporelles même si l‟état émotionnel ne l‟est pas.

Les résultats présentés au chapitre 4 ont démontré que la relation entre l‟extraversion et la précision des estimations temporelle prospective diffère en fonction du type d‟estimateur. Cette relation est négative et significative pour le groupe de participants dont l‟estimation temporelle prospective plus longue que l‟estimation rétrospective (r = - .27), mais positive et significative pour ceux de l‟autre groupe (r = .32). Bien que contradictoires à première vue, ces deux tendances sont cohérentes avec d‟autres résultats rapportés dans la littérature. En effet, alors que certains auteurs soulignent qu‟un haut niveau d‟extraversion est lié à de plus longues estimations temporelles prospectives (Lynn, 1961; Rammsayer, 1997; Zakay, et al., 1984), d‟autres rapportent que c‟est plutôt un bas niveau d‟extraversion qui est lié à de telles estimations temporelles (Buchwald & Blatt,

Kenna, 1964; Spreen, 1963). Quant au paradigme rétrospectif, les résultats ont révélé que l‟extraversion est positivement liée à la précision de ce type d‟estimation temporelle, mais que cette relation est significative seulement pour les participants ayant une plus longue estimation temporelle rétrospective. La corrélation était de .25 pour ceux dont l‟estimation temporelle prospective est la plus longue et de .37 pour ceux de l‟autre groupe.

Le niveau de névrosisme n‟est pas significativement lié à la précision des estimations temporelles prospectives, et ce, peu importe le groupe d‟estimation temporelle. Cette observation va à l‟encontre de ce qui est rapporté dans la littérature, i.e. qu‟un haut niveau de névrosisme est associé à une surestimation ou sous-estimation de la durée (e.g. Davidson & House, 1982; Orme, 1962; Rammsayer & Rammstedt, 2000). Par contre, le névrosisme est positivement lié au niveau d‟incertitude entourant l‟estimation temporelle prospective (r = .37), mais uniquement pour les participants dont l‟estimation temporelle rétrospective est égale ou plus longue que la prospective. Concernant les estimations temporelles rétrospectives, la relation entre ces dernières et le névrosisme n‟est pas significative, et ce, peu importe le type d‟estimateur. Par contre, la direction de cette relation diffère en fonction de ce dernier: elle est négative pour les participants du groupe ayant une estimation prospective plus longue (r = -.11) et positive pour les participants de l‟autre groupe (r = .29). Ainsi, lorsqu‟il est question d‟étudier les estimations temporelles d‟activités quotidiennes, il semble que les relations entre certaines dimensions de la personnalité sont complexes et diffèrent en fonction du type d‟estimateur.

Lorsque l‟interaction entre ces deux dimensions de la personnalité est considérée, un portrait plus simple émerge des résultats : ces relations semblent plus fortes et plus stables chez les personnes dont l‟estimation temporelle rétrospective est égale ou plus longue que l‟estimation prospective. En effet, l‟interaction est positivement et significativement liée à la précision (r = .39) et au niveau d‟incertitude (r = .44) des estimations temporelles prospectives de même qu‟à la précision (r = .47) et au niveau d‟incertitude (r = .51) des estimations rétrospectives. Ainsi, plus ces personnes ont tendance à vivre des émotions positives (i.e. elles sont plus ricaneuses, motivées, optimistes) ou négatives (i.e. elles sont plus anxieuses, fragiles, déprimées, angoissées), plus leurs estimations temporelles sont longues et plus leur niveau de confiance envers celles-ci est bas (i.e. valeur élevée

d‟incertitude). Ces constats appuient l‟idée que l‟interaction entre ces deux dimensions de la personnalité peut affecter les processus cognitifs (Canli, 2004; Kumari, ffytche, Williams, & Gray, 2004). D‟ailleurs, il est important de rappeler que la méthode d‟estimation verbale est essentiellement cognitive (Grondin, 2008). À l‟opposé, les relations entre les estimations temporelles et l‟interaction des deux dimensions de la personnalité n‟étaient pas significatives chez les personnes dont l‟estimation temporelle prospective était la plus longue. En effet, l‟interaction est faiblement liée à la précision (r =- .13) et au niveau d‟incertitude (r = -.04) des estimations temporelles prospectives de même qu‟à la précision (r = .01) et au niveau d‟incertitude (r = .15) des estimations rétrospectives. Ainsi, lors de l‟étude des estimations temporelles d‟activités quotidiennes, l‟interaction entre le névrosisme et l‟extraversion est significativement liée aux estimations temporelles, mais seulement chez les individus dont l‟estimation temporelle rétrospective est égale ou plus longue que l‟estimation prospective.

Cette différence entre les deux types d‟estimateurs est cohérente avec les résultats d‟une série d‟études menées par Vohs et Schmeichel (2003). Dans leurs études, les auteurs ont demandé aux participants de réguler, ou non, leurs émotions durant une tâche. Les résultats de leurs études ont indiqué que la durée de la tâche était perçue comment étant plus longue par les participants ayant régulé leurs émotions comparativement à ceux n‟ayant pas eu à les réguler. Il est donc raisonnable de croire qu‟une personne ayant tendance à vivre une plus grande quantité d‟émotions, positives ou négatives, aura plus régulièrement recours à des stratégies d‟autorégulation émotionnelle, ce qui les amènerait à surestimer le temps comparativement à celles qui n‟ont pas recours à de telles stratégies.

En résumé, les résultats décrits dans cette section suggèrent que les relations entre les estimations temporelles et certaines dimensions de la personnalité, soit le névrosisme et l‟extraversion, sont complexes et diffèrent en fonction du type d‟estimateur. Ces relations sont plus fortes et plus stables chez les personnes dont l‟estimation temporelle rétrospective est plus longue que l‟estimation prospective. Finalement, les résultats révèlent que le névrosisme et l‟extraversion peuvent être significativement liés aux estimations temporelles même si l‟état émotionnel n‟est pas significativement lié à ces dernières.