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Application des connaissances actuelles au sujet de la comparaison des deux paradigmes

5. Discussion générale

5.1 Application des connaissances actuelles au sujet de la comparaison des deux paradigmes

Le premier objectif de la thèse visait à vérifier si les connaissances actuelles concernant les différences entre les paradigmes prospectif et rétrospectif pouvaient être appliquées à d‟autres contextes que ceux normalement étudiés et jugés non écologiques. Bien que cette question ait principalement été étudiée à l‟intérieur de la première étude (i.e. Chapitre 3), certains résultats associés à la deuxième (i.e. Chapitre 4) apportent un nouvel éclairage concernant cette comparaison.

Concernant la comparaison entre les deux paradigmes, il est reconnu que les estimations temporelles prospectives sont plus longues et moins variables que les estimations temporelles rétrospectives (Block & Zakay, 1997). Lorsque des tâches semblables à des activités quotidiennes sont utilisées, les estimations temporelles prospectives sont généralement plus longues, mais de variabilité équivalente à celles des estimations rétrospectives (Bisson, et al., 2012; Tobin et al., 2010). Le modèle de la porte attentionnelle (Zakay, 2005) est régulièrement évoqué afin d‟expliquer ces résultats. Ce modèle implique que plus une personne arrive à porter attention au temps durant une tâche plus ses estimations temporelles devraient être longues. En effet, le fait de porter attention au temps ferait en sorte qu‟une personne accumulerait une plus grande quantité d‟information temporelle (e.g. pulsations émises par l‟émetteur, voir Figure 1: Zakay,

début de la tâche qu‟une estimation temporelle sera requise à la fin de celle-ci, celui dans une condition rétrospective est informé de cet élément seulement lorsque la tâche est terminée. Un participant dans la condition prospective peut porter attention au temps durant la tâche alors que celui dans la condition rétrospective peut ne pas porter attention au temps (Grondin, 2008). Cette différence ainsi que les résultats d‟une grande variété d‟études ont donc motivé les chercheurs à affirmer que les estimations temporelles prospectives sont principalement basées sur les processus attentionnels (Brown, 2008; Gruber & Block, 2003, 2005; Zakay, 2005) et les rétrospectives sur les processus mnésiques (Block, et al., 2010; Block & Zakay, 1997).

Les résultats des deux expériences appellent à la prudence lorsqu‟il est question de généraliser les connaissances actuelles concernant la comparaison des deux paradigmes à de longues tâches quotidiennes. En effet, certaines observations laissent croire que dans de telles situations, les estimations temporelles prospectives et rétrospectives pourraient utiliser des processus similaires. À ce propos, certains auteurs avaient déjà avancé une telle possibilité (Brown, 1985; Klapproth, 2007; Tobin et al., 2010).

Les résultats présentés au Chapitre 3 confirment ceux des études antérieures (e.g. Bisson, et al., 2012; Block & Zakay, 1997). En effet, à l‟aide d‟un devis intersujets, il a été démontré que les estimations temporelles prospectives étaient plus longues que les estimations rétrospectives, et ce, que la tâche dure 28 ou 42 minutes et qu‟elle requiert de naviguer sur l‟Internet ou de jouer à un jeu vidéo. De même, à l‟aide d‟un devis intrasujets, les résultats décrits au Chapitre 4 révèlent que la moyenne des estimations temporelles prospectives est plus grande que celle associée aux estimations temporelles rétrospectives. Cependant, un autre constat provenant de cette même étude apporte un élément qui remet en question la croyance selon laquelle les estimations temporelles prospectives seraient toujours plus longues que les estimations rétrospectives : seulement 58% des participants avaient une estimation temporelle prospective plus longue que leur estimation temporelle rétrospective. D‟autres chercheurs ont aussi rapporté des résultats allant dans le même sens, i.e. de plus courtes estimations temporelles prospectives, mais à l‟aide de devis intersujets (voir l'expérience 3 de Avni-Babad & Ritov, 2003; et l'expérience 1c de Darlow, et al.,

uniquement basées sur des processus attentionnels. Pourtant, la totalité des participants pouvait porter attention au temps dans la condition prospective. Selon le modèle de la porte attentionnelle, les estimations temporelles prospectives devraient être plus longues puisque les participants peuvent porter attention au temps. En effet, ils savent que le temps est une variable importante de la tâche. De ce fait, comparativement à la condition rétrospective, ils peuvent en principe accumuler une plus grande quantité d‟informations temporelles (i.e. pulsations provenant de l‟émetteur). Ainsi, interprétés dans le cadre du modèle de la porte attentionnelle, ces résultats suggèrent que la quantité d‟informations temporelles accumulées lors de la condition rétrospective a été égale ou supérieure à celle de la condition prospective. Brown (1985) avait déjà posé l‟hypothèse que les informations temporelles peuvent être implicitement encodées dans la condition rétrospective. Conséquemment, lorsqu‟il est question d‟étudier les estimations temporelles de tâches quotidiennes comme naviguer sur l‟Internet ou jouer à un jeu vidéo, il semble que les estimations temporelles prospectives de telles tâches ne seraient pas uniquement basées sur l‟attention au temps.

Les estimations temporelles rétrospectives sont rapportées comme étant basées sur les processus mnésiques (Block, et al., 2010; Block & Zakay, 1997). À ce sujet, plusieurs auteurs ont proposé des théories visant à expliquer ce type d‟estimation temporelle (pour un aperçu de ces propositions, voir Block & Zakay, 2008). L‟une d‟entre elles, le modèle de changements contextuels (Block & Reed, 1978), implique que les estimations temporelles rétrospectives sont effectuées sur la base du nombre de changements de contextes cognitifs ayant eu lieu durant la période de temps à estimer. Ces changements de contextes cognitifs peuvent inclure des changements au niveau du type de traitement effectué, du contexte environnemental ou de l‟état émotionnel de la personne (Block & Zakay, 2008). En outre, la segmentation d‟une tâche en plusieurs parties est aussi considérée comme un type de changement contextuel (Block, et al., 2010). Ainsi, plus il y a de changements contextuels durant une période donnée, plus les estimations temporelles rétrospectives sont longues (Block, et al., 2010). Dans le cadre du présent projet, le passage d‟un site à un autre durant la tâche de navigation sur l‟Internet pourrait être considéré comme un changement contextuel. Selon le modèle proposé par Block et Reed (1978), plus le nombre de sites

longues. À ce sujet, les résultats présentés au Chapitre 3 révèlent que le nombre de sites Internet visités n‟est pas significativement lié aux estimations temporelles. Plus précisément, les corrélations entre cette variable et les estimations temporelles prospectives et rétrospectives sont respectivement de .01 et .1. Bien que non rapporté dans l‟expérience du Chapitre 4, ces mêmes corrélations sont de .08 pour le paradigme prospectif et -.12 pour le paradigme rétrospectif. En d‟autres termes, le nombre de changements contextuels, tels qu‟opérationnalisés dans ce projet, n‟est pas significativement lié aux estimations temporelles rétrospectives. Conséquemment, lorsqu‟il est question d‟étudier les estimations temporelles de tâches quotidiennes, il semble que lesdites estimations ne soient pas uniquement basées sur des processus mnésiques, du moins, tels que décrits par le modèle de changements contextuels.

Certains auteurs ont observé que la charge cognitive requise par une tâche influence différemment les estimations temporelles prospectives et rétrospectives. De façon générale, plus cette charge cognitive augmente, plus les estimations temporelles prospectives sont courtes et plus les rétrospectives sont longues (Block, et al., 2010; Block & Zakay, 1997). Le devis expérimental utilisé au Chapitre 3 permettait de vérifier l‟existence de tels effets. D‟ailleurs, la présence d‟une interaction significative entre les facteurs paradigme et nature de la tâche aurait permis de confirmer les résultats rapportés par Block et al. (2010). Plus précisément, les estimations temporelles rétrospectives auraient dû être plus grandes pour la tâche de jeu vidéo (tâche rapportée comme nécessitant une grande charge cognitive dans l‟étude de validation) que pour la tâche de navigation sur l‟Internet (tâche rapportée comme nécessitant une moins grande charge cognitive dans l‟étude de validation). Or, les résultats de cette étude révèlent que l‟interaction entre le paradigme et la nature de la tâche n‟est pas significative, ce qui est cohérent avec les résultats observés dans une étude de Kurtz et Strube (2003). Qui plus est, l‟effet inverse a été observé : les estimations temporelles rétrospectives de la tâche de jeu vidéo (M = 0.77, ET = 0.21) étaient significativement plus courtes que celles de la tâche de navigation sur l‟Internet (M = 0.94, ET = 0.23). Ainsi, lorsqu‟il est question d‟étudier les estimations temporelles de tâches quotidiennes, il semble que le niveau de charge cognitive influence de façon similaire les deux paradigmes d‟estimations temporelles.

En outre, certains auteurs ont affirmé que l‟étendue des durées à l‟étude influence les estimations temporelles : les courtes durées seraient surestimées par rapport aux longues durées (Eisler, et al., 2008; Tobin & al., 2010). À cet effet, les résultats présentés au Chapitre 3 sont cohérents avec cette observation. En effet, les participants de la condition 28 minutes ont proportionnellement surestimé le temps comparativement aux participants de la condition 42 minutes. Fait intéressant, les résultats ne révèlent aucune interaction significative entre le facteur durée et les deux autres facteurs, soit le paradigme et la nature de la tâche. Par conséquent, lorsqu‟il est question d‟étudier les estimations temporelles d‟activités quotidiennes, il apparaît que la durée à estimer influence les estimations temporelles prospectives et rétrospectives de façon similaire.

Bien que cette thèse ne permette pas d‟écarter l‟idée que les processus attentionnels et mnésiques jouent des rôles importants au niveau des estimations temporelles de tâches à caractère écologique, les résultats mettent en évidence un autre processus impliqué dans de telles situations. Ce processus, qui concerne la méthode d‟estimation verbale, réfère à la conversion de la représentation subjective de la durée vers des unités chronométriques (Zakay & Block, 1997). À cet effet, les résultats présentés à l‟intérieur des chapitres 3 et 4 révèlent que les participants ont arrondi leurs estimations temporelles aux 5 minutes le plus près. La présence d‟une telle tendance avait déjà été soulignée par plusieurs auteurs (e.g. Tobin & al., 2010; Yarmey, 2000). Cependant, l‟utilisation d‟un devis intrasujets lors de la deuxième expérience a mis en évidence que les participants ayant une estimation temporelle prospective plus longue ont arrondi leur estimation temporelle rétrospective aux 10 minutes les plus près, ce qui occasionnait une plus grande erreur d‟estimation temporelle. En opposition, les participants ayant une plus longue estimation temporelle rétrospective l'ont arrondi aux 5 minutes les plus près, ce qui causait une plus petite erreur d‟estimation temporelle. Ainsi, il est possible d‟avancer que les estimations temporelles prospectives et rétrospectives impliquent un processus de conversion similaire. Ce processus serait basé sur un mécanisme d‟arrondissement aux 5 minutes. Par contre, plus d‟une personne sur deux pourrait avoir tendance à arrondir à la dizaine le plus près dans le paradigme rétrospectif, ce qui les porte à faire une plus grande erreur d‟estimation temporelle.

En résumé, il est nécessaire d‟user de prudence lorsqu‟il est question d‟appliquer les connaissances actuelles au sujet de la comparaison entre les deux paradigmes à des tâches quotidiennes. Les estimations temporelles prospectives et rétrospectives pourraient être basées sur des mécanismes similaires. Notamment, la conversion de la représentation subjective de la durée vers des unités chronométriques pourrait être un de ces mécanismes.

5.2 Application des connaissances actuelles au sujet des relations entre les facteurs