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3 Catégorisation humaine

3.3 La catégorisation en psychologie cognitive

3.3.1 La théorie du prototype

3.3.1.2 Dimensions et niveau de base

La théorie du prototype envisage différents niveaux d’inclusion et d’abstraction des propriétés des objets du monde perçu, organisés selon deux grands axes : la dimension verticale et la dimension horizontale. La dimension verticale concerne le niveau d’inclusion à la catégorie. C’est le niveau d’abstraction dans lequel se font les divisions les plus basiques entre les catégories. Cette dimension fait référence au niveau d'inclusion d'une catégorie, au degré de généralité de celle-ci.

Quant à la dimension horizontale, Rosch considère que c’est l’axe dans lequel a lieu la segmentation des catégories du même niveau d’inclusion. C’est le niveau où les différences entre les membres au sein d’une même catégorie deviennent évidentes. C’est sur cet axe que le prototype s’avère fort utile pour établir les différences entre des catégories de la dimension horizontale. En effet, il permet d’établir le degré de typicalité des exemplaires de la catégorie, les membres les plus typiques ayant plus d'attributs en commun avec le prototype. En revanche, les membres typiques d’une catégorie auraient moins d'attributs en commun avec les membres d'autres catégories. C’est dans cette dimension horizontale que le prototype prend son importance.

En somme, la dimension horizontale concerne les rapports de similarité ou de différenciation entre les catégories situées à un même niveau vertical. Il s’agit de la dimension dans laquelle les mesures de typicalité sont établies. Et c’est en fonction du gradient de typicalité que la distance se définit, les membres partageant des attributs en commun auraient une disposition spatiale proche dans la dimension horizontale (voir figure 22). Définie par rapport au degré d’appartenance ou de similarité par rapport au prototype, la typicalité gouverne donc les mesures de distance des objets entre eux.

A partir de données empiriques, Rosch définit également trois sous-niveaux d’inclusion, qui ont des effets psychologiques différents : un niveau supra-ordonné, un niveau de base, et un niveau infra-ordonné (par exemple, supra-ordonné=meuble; base=chaise; infra-ordonné= chaise de cuisine). Parmi ces niveaux, le niveau de base s’avère le plus saillant en catégorisation prototypique. Il s’agit donc du niveau perçu avec plus d’aisance par l’esprit humain. En ce sens, Lakoff (1987: 38) qualifie ce phénomène:

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Basicness in categorization has to do with matters of human psychology : ease of perception, memory, learning, naming and use. Basicness of level has no objective status external to human beings.

La figure 22 montre les niveaux de catégorisation ainsi que les dimensions pour la catégorie subordonnée <animal>.

Figure 2

Les dimensions horizontale et verticale selon Rosch

Dans ce schéma, c’est le niveau de base qui s’avère le plus robuste et le plus important cognitivement. Dans le développement cognitif, le niveau de base est celui qui est maîtrisé le plus tôt par les enfants (Mervis, 1985), ainsi que le premier niveau à entrer dans le lexique d'une langue (Cordier, 1983). Les capacités de catégorisation pour le niveau de base sont acquises d’abord, la logique générale sur les classes étant apprise plus tard3. Mentionnons également que les langues semblent avoir à leur disposition le lexique le plus simple et les catégories les plus remarquables sur le plan culturel à ce niveau de base (Berlin et al. 1974). Citons Lakoff (1987 : 49) : « basic-level categories have an integrity of their own. They are our earliest and most natural form of categorization ».

Le niveau de base renvoie aussi à des opérations de type gestalt, de telle sorte que, s’appuyant sur un traitement holistique, les exemplaires appartenant à ce niveau sont perçus comme un tout. D’après Hunn (1975), il s’agit du seul niveau

3 La capacité à catégoriser au niveau de base s’avère tellement précoce qu’elle a été constatée auprès de nourrissons de neuf mois (Keneth, 1988). A partir de cet âge précoce, le nourrisson est en mesure de catégoriser la catégorie [oiseaux].

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qui ne suppose aucune analyse de traits. Comme le fait remarquer Lakoff (1987 :36) :

...the basic level is primarily characterized by gestalt perception (the perception of overall shape) by imaging capacity (which depends on overall shape), and by motor interaction4 (the possibilities for which are also determined by overall shape). It is anything but an accident that the level of the genus in scientific biology should correspond so well to the basic level in folk biology.

Les catégories du niveau de base étant déterminées par les capacités psychologiques de l’esprit humain (human sized, Lakoff, 1987), nous avons à faire à un niveau où les représentations prototypiques prédominent, le niveau supra-ordonné ayant rarement des représentations prototypiques et le niveau infra-ordonné étant trop spécifique pour ce type de représentation globalisante.

Ainsi, une catégorie telle que [animal] s’avère trop globalisante pour avoir une représentation visuelle cognitive unique. En revanche, des sous-catégories de base comme [chien], [oiseau], [poisson] possèdent un contenu informationnel très clair et facilement représentable. Etant donné qu’une image mentale, sorte de gabarit conceptuel, s’avère suffisante pour résumer la catégorie – prototype –, le niveau de base est le plus fondamental pour la catégorisation cognitive humaine dans la mesure où tous ses membres possèdent une forme semblable et repérable à travers le prototype. Donc, il s’agit du niveau d’abstraction psychologique le plus prégnant en catégorisation, celui dans lequel l’information sur une catégorie est la plus accessible.

D’autres arguments viennent étayer la prépondérance de ce niveau pour la catégorisation cognitive de l’esprit humain. Les mesures du temps de réaction ont abouti à des résultats qui montrent clairement une identification plus rapide et aisée d’appartenance catégorielle pour des items du niveau de base par opposition aux items d’autres niveaux (Rosch 1978). Murphy & Brownell (1985) prouvent également que l’identification des objets appartenant à des catégories de base manifeste des temps de réaction significativement plus rapides, comme le montre la figure 23 ci-dessous :

4 Lakoff approfondit sur les substrats écologiques de la catégorisation, tout en l’inscrivant dans le cadre de la cognition incarnée, voir partie 2.3.10.

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Figure 3

Murphy & Brownell (1985) contraintes de typicalité et des objets dans la catégorie de base.

Rosch postule que les connaissances des attributs des catégories sont organisées principalement à ce niveau. En effet, les sujets font très fréquemment référence aux exemplaires du niveau de base lorsqu’ils répondent à des questions concernant les attributs des objets5. Lorsque les sujets sont amenés à faire des listes des attributs de catégories, ils font rarement référence aux caractéristiques du niveau supra-ordonné (tels, meuble, véhicule) ou du niveau infra-ordonné (comme, voiture sportive), la plupart des attributs listés correspondant aux items du niveau de base (i.e. chaise, voiture). D’après Lakoff (1987 : 47)

...the basic level is distinguished from other levels on the basis of the types of attributes people associate with a category at that level, in particular, attributes concerned with parts. Our knowledge at the basic level is mainly organized around part-whole divisions.

Afin d’établir des mesures de probabilité d’appartenance à une catégorie, Rosch propose des niveaux de probabilité conditionnelle – cue validity –, i.e. des indicateurs sur le degré d’appartenance d’un objet à une catégorie quelconque. A titre d’illustration, des arêtes possèdent un indice de 1 pour la catégorie poisson, et

5 A la question « sur quoi êtes-vous assis ? », la plupart des sujets répondent en utilisant le terme « chaise » de préférence à « chaise de cuisine » ou à un terme supra-ordonné tel que « meuble ».

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de 0 pour d’autres catégories. Du fait de la prépondérance du niveau de base pour la catégorisation, les exemplaires faisant partie de ce niveau manifestent la plus haute probabilité conditionnelle.

En définitive, le niveau de base est bel et bien l’espace dans lequel les exemplaires se rapprochent le plus, du point de point de vue de la similarité perceptuelle. C’est d’ailleurs le niveau où une image mentale (prototype) suffit pour englober les items de la catégorie. De plus, il s’agit du niveau dans lequel les mécanismes moteurs déclenchés lors de l’interaction avec les exemplaires de la catégorie sont les plus similaires. En outre, l’identification des exemplaires est à la fois plus aisée et plus rapide à ce niveau. Enfin, c’est le niveau maitrisé en premier par les enfants et le premier niveau d’entrée lexicale. Notre connaissance du monde semble donc être organisée autour de ce niveau qui s’avère le plus prégnant de tous sur le plan psychologique.