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B. Les origines liées aux particularités des États membres de l’ASEAN

B. La dimension de l’ASEAN way dans la construction de l’ASEAN

70. Examiner la dimension de l’ASEAN way dans la construction de l’ASEAN exige

de répondre aux questions suivantes : l’ASEAN way est-elle vraiment indispensable pour l’ASEAN ? Autrement dit sans l’ASEAN way, l’Organisation pourrait-elle survivre et fonctionner efficacement ? Est-elle bonne ou mauvaise pour le fonctionnement de l’ASEAN ? A-t-elle évolué ?

71. Face aux particularités géographiques de l’Asie du sud-est, aux relations interétatiques fragiles et à l’hétérogénéité des États membres que nous avons abordées précédemment, l’ASEAN way prend en effet une place extrêmement importante dans

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L’article 3 de la Charte prévoit que : « ASEAN, as an intergovernmental organisation, is hereby conferred legal personality ».

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l’institutionnalisation de l’ASEAN. Elle s’applique aussi bien aux relations intra-ASEAN qu’aux relations de l’organisation avec les tiers.

72. Il convient de noter que durant les trois premières décennies suivant la création de l’ASEAN, l’ASEAN way était indispensable pour la construction de l’organisation car elle permettait d’établir la confiance et la compréhension entre les États. En effet, l’un des premiers buts de l’ASEAN a été d’établir et d’améliorer les relations diplomatiques entre les États membres. De même, l’application de l’ASEAN way aux relations entre les États de l’ASEAN et les tiers contribue au maintien d’une région neutre et paisible et évite l’intervention étrangère dans cette région.

73. Depuis la deuxième moitié des années 80, les élargissements successifs de l’ASEAN à des pays très différents nécessite le renforcement de l’ASEAN way. Les derniers nouveaux membres de l’ASEAN visent particulièrement l’ASEAN way pour sauvegarder leurs intérêts individuels.

74. L’ASEAN way n’a pourtant pas stagné. Depuis l’évolution progressive de

l’ASEAN vers une organisation économique à la fin des années 70, l’ASEAN way a été légèrement modifié. Le recours en 1977 au processus décisionnel par l’utilisation du « consensus flexible »108, devenu désormais la formule « ASEAN moins X »109, démontre sa nuance. Néanmoins, la façon dont l’ASEAN a modifié l’ASEAN way reste informelle et non-institutionnalisée jusqu’à la conclusion de l’Accord-cadre de 1992 relatif au renforcement de la coopération intra-ASEAN. Ce n’est qu’en 2007 que la formule « ASEAN moins X » a été adoptée par la Charte de Singapour de 2007. En effet, les États ont cherché à adapter l’ASEAN way en fonction des circonstances.

75. Depuis 1997, l’ASEAN way a fait l’objet de débats informels au sein des réunions de la Conférence annuelle des ministres des Affaires Étrangères de l’ASEAN, Certains membres, notamment la Malaisie et la Thaïlande ont suggéré le principe de l’engagement flexible afin de modérer l’incertitude du principe de non-intervention dans

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C’est une technique très flexible qui permet d’adopter un accord économique dans le cas où un État s’y oppose. Cet État n’est pas obligé de signer l’accord mais il ne peut pas empêcher les autres Etats de conclure l’accord. Il peut néanmoins y adhérer ultérieurement s’il le souhaite.

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Il s’agit d’un principe qui permet la mise en œuvre flexible des accords économiques. Précisément, les Etats ne sont pas prêts à suivre le même rythme de coopération économique que les autres, ils peuvent bénéficier de dérogations.

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les affaires intérieures. Ces suggestions démontrent en effet les impacts négatifs de

l’ASEAN way sur le fonctionnement de l’ASEAN.

76. Lorsque l’Organisation s’oriente davantage vers la finalité d’intégration économique, l’ASEAN way n’est pas tout à fait positive pour l’ASEAN. Elle a des répercussions considérables sur le fonctionnement de l’ASEAN en tant qu’organisation économique. A défaut d’un mécanisme de règlement effectif, le retard de certains États membres dans la mise en œuvre des obligations issues des accords économiques n’est pas sanctionné et souvent résolu par arrangement entre les leaders politiques110. Par conséquent, le règlement des différends entre États dans le cadre de la mise en œuvre des accords économiques de l’ASEAN est juridiquement attribué aux autres mécanismes internationaux, y compris celui de l’OMC111.

77. Depuis la fin du 20ème siècle, l’ASEAN est confrontée à plusieurs enjeux économiques, sécuritaires et identitaires, ce qui a poussé à une véritable institutionnalisation de l’organisation. Economiquement, l’émergence de la Chine et de l’Inde a suscité la crainte des États de l’ASEAN du détournement des flux d’investissements étrangers vers ces deux pays. En particulier, l’entrée de la Chine dans l’OMC en novembre 2001 a spectaculairement modifié les flux des investissements étrangers. Cet État a reçu un flux direct 3 fois supérieur à celui de l’ASEAN : 46.846 million dollars américains contre 13.241 million dollars américains112. On a l’impression que ce flux direct en Chine est plus élevé que celui de l’ASEAN mais si l’on le divise par habitant, ces chiffres sont comparables. Cinq ans après la réalisation du programme

Vision de l’ASEAN pour 2020, la physionomie du commerce intra-ASEAN n’a pas

connu de véritables améliorations (24,4%)113. L’ex Premier ministre singapourien, Monsieur Goh Chok Tong, s’inquiétant de l’émergence chinoise, a proposé en 2003 que l’étape suivante de l’intégration économique de l’ASEAN soit l’établissement d’une

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V. infra Partie 3, Chapitre 3, Section 1. 111

V. infra Partie 3, Chapitre 3, Section 2. 112

LAY Hong Tan, “Will ASEAN economic integration progress beyond a Free Trade Area?”,

International and Comparative Law Quartely, vol. 53, October 2004, p. 961.V. le site de la Conférence des

Nations unies sur le commerce et le développement pour avoir plus d’information: http://unctadstat.unctad.org/TableViewer/tableView.aspx

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Source : IMF Direction of Trade Statistics 2007, cité par Denis HEW, “Towards an ASEAN Economic Community by 2015” in The ASEAN Community : Unblocking the roadblocks, ASEAN Studies Centre, Institute of Southeast Asian Studies, Singapore, 2008, p. 23.

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communauté économique114. Il était convaincu que le seul moyen pour que l’ASEAN puisse affronter le défi de la circulation des flux des investissements étrangers directs était de pousser plus loin l’intégration économique intra-groupe de façon à être plus crédible pour les investisseurs étrangers. Ainsi, la véritable raison de l’intégration économique plus poussée de l’ASEAN est la crainte de perdre sa compétitivité vis-à-vis des économies émergentes comme la Chine ou l’Inde115.

78. Sur le plan sécuritaire, comme nous l’avons évoqué précédemment, certains litiges entre États membres persistent. Il faut aussi souligner que le conflit territorial en mer de Chine impliquant certains membres et la Chine suscite de plus en plus de tensions depuis ces dernières années. Ce problème, pourtant introduit dans l’ordre du jour de l’ASEAN depuis 1992116 reste aujourd’hui sans issue.

79. Sur le plan identitaire, l’absence d’un véritable acte constitutif a mis en cause l’autonomie de l’ASEAN, tant dans ses rapports avec ses membres que dans ses rapports avec les tiers. L’appareil institutionnel et le système décisionnel de l’ASEAN n’étaient en effet plus adaptés aux nouvelles orientations de l’Organisation.

80. En particulier, les mutations dans les objectifs de l’ASEAN nécessitent une institutionnalisation plus poussée de l’organisation. Le besoin de réformer l’ASEAN remet en cause l’ASEAN way et exige notamment de reconsidérer le rôle et la puissance de l’État dans la construction de l’Organisation. Lors des négociations du texte de la Charte de Singapour durant les onze premiers mois de 2007, le débat sur la souveraineté de l’État à l’épreuve de la construction de l’ASEAN s’est révélé très tendu. Les négociations de la Charte ont divisé les États membres en trois groupes117 : le premier comprend certains anciens États membres favorables à un changement radical de l’ASEAN, à savoir les Philippines, la Malaisie et la Thaïlande. Le deuxième, qui

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Keynote address by Prime Minister Goh Chok Tong at the ASEAN Business and Investment Summit 6 October 2003, Bali, Indonesia, http://www.asean.org/15155.htm

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HEW Denis, “Towards an ASEAN Economic Community by 2015” in The ASEAN Community.

Unblocking the Roadblocks, Singapore, Institute of Southeast Asian Studies, 2008, p. 15. 116

En 1992, les Etats de l’ASEAN ont adopté une déclaration commune sur la mer orientale de Chine pour demander aux parties concernées au litige de ne pas recourir à la force pour résoudre leur conflit. (ASEAN Declaration on the South China Sea, 22 July 1992).

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KOH Tommy, “The negotiating process” in KOH Tommy, MANALO Rosario G. et WOON Walter (éd.), The making of the ASEAN Charter, World Scientific Publishing Co. Pte. Ltd., 2009, pp. 47-68.

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insistait sur la conservation de la souveraineté de l’État, comprend les nouveaux États membres partisans de la souveraineté nationale dont le Vietnam, le Laos, le Cambodge et la Birmanie. Le troisième comprend Singapour et l’Indonésie, deux pays qui hésitaient entre ces deux tendances.

81. Ce n’est qu’en novembre 2007 que l’ASEAN s’est finalement dotée d’une charte

qui tend à la faire passer d’une organisation de coopération interétatique classique et fondée sur les relations (relationship-based) à une organisation fondée sur les règles (rule-based). Cette démarche constitue en effet un changement radical dans le fonctionnement de l’ASEAN. La Charte servira de cadre institutionnel et juridique pour la réalisation du projet de la Communauté de l’ASEAN en 2015118, projet qui vise à atteindre une véritable cohérence en matière économique, politique et sécuritaire.

82. L’émergence de l’ASEAN au rang d’organisation internationale par la Charte de

Singapour ne serait évidemment pas sans conséquence : sujet de droit international, elle serait désormais titulaire des droits et obligations qui en découlent. Cela pose plusieurs interrogations relatives à la manière dont les États membres conçoivent l’ASEAN en tant qu’institution internationale distincte de ses créateurs. L’adoption de la Charte pose effectivement la question de la place du droit dans l’ASEAN.

83. A cet égard, il faut noter que l’ASEAN way est maintenue et renforcée par la Charte de Singapour119. Cela démontre évidemment un choix des États de l’ASEAN. Ainsi, l’Organisation semble être toujours dans un cercle vicieux face à l’emprise du politique sur le juridique. Comment appréhende-t-on alors ce phénomène de l’ASEAN du point de vue culturel ?

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L’ASEAN est tentée par le modèle européen en introduisant ce projet dans la Déclaration de Concorde II de 2003 de Bali, en Indonésie. Au départ, les États membres se sont mis d’accord sur l’objectif d’achèvement de la Communauté de l’ASEAN en 2020. Cependant, cette échéance a été avancée à 2015 lors du 12ème Sommet de l’ASEAN qui s’est tenu du 9 au 15 janvier 2007 à Cebu aux Philippines. Il s’agira d’une « Communauté économique de l’ASEAN », facilitée par le renforcement de la libéralisation économique de la région et caractérisée par la libre circulation des biens, des services, des investissements et des capitaux, d’ici à 2015.

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