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2. LE PROBLÈME DE RECHERCHE

2.1 Difficultés rencontrées par les infirmières et les infirmiers diplômés

Bien que l’accueil de nouveaux immigrants en sol québécois ne date pas d’hier, l’accroissement de ce mouvement migratoire au Québec est une réalité qui est bien observée à l’intérieur des maisons d’enseignement collégial (Gaudet et Loslier, 2011; Fournier, Lemelin et De Palma, 2013). En effet, elle a amené les différents acteurs qui gravitent autour de la formation des étudiantes et des étudiants des cégeps québécois à composer avec la hausse de la diversité ethnoculturelle de la population étudiante sur le plan linguistique, religieux et culturel. Cette diversité culturelle pose des défis, entre autres, au corps professoral et aux étudiantes et étudiants quant à la réussite scolaire, et à l’intégration réussie de ces derniers à la société pluraliste québécoise. Le pluralisme est défini par Gagnon (2010) comme étant l’existence d’une « pluralité de valeurs et de croyances partagées par les membres de la société, parfois difficilement compatibles les unes avec les autres, mais qui peuvent néanmoins coexister sous l’égide d’un État de droit » (p. 13).

Loslier (2015) mentionne dans une étude exploratrice et qualitative qui s’est intéressée à la situation d’apprentissage en milieu clinique des étudiantes et étudiants issus de l’immigration inscrits dans trois programmes de techniques humaines et de la santé : Techniques de travail social; Soins infirmiers; Intégration à la profession infirmière du Québec, que les stages cliniques en milieu professionnel posent divers défis pour cette population étudiante, « celui de la rencontre interculturelle » (Ibid., p. 87). En effet, « les stagiaires sont confrontés non seulement à la dimension ‘‘explicite’’ du savoir-être québécois, mais aussi à sa dimension ‘‘implicite’’ » (Ibid., p. 88). Cet état de fait, comme le mentionnent Gaudet et Loslier (2011) dans leur étude

exploratoire portant sur des difficultés que rencontrent les étudiantes et étudiants immigrants en stage dans six programmes techniques au collégial, place cette population étudiante dans une sorte de décalage culturel qu’ils se doivent de rattraper afin de rencontrer les objectifs des stages en milieu clinique.

En conséquence, afin de favoriser l’intégration des étudiantes et étudiants issus de l’immigration, Steinbach (2012), affirme, dans son étude de type recherche-action, qu’il est de la responsabilité de tous les intervenants qui travaillent auprès de cette population étudiante de mettre en œuvre des mécanismes appropriés qui favorisent la réussite scolaire et l’intégration sociale.

Fournier et Lapierre (2010) ainsi que Gaudet et Loslier (2011) ont répertorié des moyens qui contribueraient à favoriser l’intégration et la réussite scolaire des étudiantes et des étudiants issus de l’immigration. Dans ce but, ces moyens reposent, entre autres, sur de la formation qui vise à développer la compétence des enseignantes et des enseignants à dispenser un enseignement dans un contexte diversifié culturellement (Fournier et Lapierre, 2010; Gaudet et Loslier, 2011; Théagène, 2015), et sur une meilleure préparation des étudiantes et des étudiants issus de l’immigration à s’intégrer au contexte social et professionnel québécois (Fournier et Lapierre, 2010; Gaudet et Loslier, 2011). Or, le roulement des enseignantes et des enseignants, observé dans le programme CWA.0B au Cégep Édouard-Montpetit, peut difficilement favoriser l’intégration et la réussite scolaire des étudiantes et étudiants issus de l’immigration, en raison du peu d’expérience du personnel enseignant dans ce programme.

Bien que des stratégies visant la réussite scolaire furent développées, certaines étudiantes et certains étudiants issus de l’immigration ne sont pas en mesure de montrer qu’ils sont capables d’effectuer un transfert des apprentissages en milieu clinique en démontrant un « savoir-être québécois sur le plan social et sur le plan professionnel » (Loslier, 2015, p. 88). Selon Gauthier (2012), « Pour l’étudiant immigrant dont les repères sont fort différents en ce qui a trait aux valeurs culturelles, cette période

d’observation des compétences attendues touchées par le savoir-être devient un enjeu d’intégration et de réussite » (p. 52).

Loslier (2015) a identifié six grandes catégories de difficultés qui viennent faire obstacle à la réussite du stage clinique d’intégration de ces étudiantes et de ces étudiants :

 La non-reconnaissance de la formation scolaire et professionnelle antérieure;

 La maîtrise du français québécois : le talon d’Achille;  Se familiariser avec un rôle professionnel;

 Des problématiques délicates : de la théorie à la réalité;  L’homosexualité : une réalité inimaginable;

 La religion : objet de polarisation;

 Les situations d’ambigüité : l’implicite en action (p. 42-50).

Les adaptations socioculturelles dans le but de s’intégrer, l’apprentissage du français dit québécois, le décalage culturel, la perception de la différence ethnoculturelle, les méthodes d’apprentissage et de travail différentes de la société d’accueil peuvent interférer dans leur processus d’apprentissage (Loslier, 2015). De plus, la méconnaissance de la culture professionnelle, ainsi que de nombreuses remises en question peuvent survenir lorsque ces étudiantes et étudiants sont confrontés à des valeurs qui sont différentes de celles de leur pays d’origine (Lapierre et Loslier, 2003). Or, en plus du nouveau contexte socioculturel et professionnel dans lequel les IIDHC doivent évoluer, à cela, viennent s’ajouter la présence dans les milieux hospitaliers de nouvelles technologies ainsi que les maladies à soigner qui diffèrent dans certains pays (OIIQ, 2007; Primeau et Philibert, 2013). Ces différences contribueraient à accroître le stress vécu par les IIDHC en stage clinique (Loslier, 2015; Primeau et Philibert, 2013). De surcroît, Oberg (1960, dans Egenes, 2012, p. 761) avait mentionné que l’immersion d’individus dans un environnement culturel inconnu fait émerger, chez eux, divers sentiments relatifs au choc culturel. Outre le stress généré par la mobilisation d’efforts

pour tenter de parvenir à une adaptation psychologique en raison d’une perte de repères, entre autres, la présence du choc culturel chez l’individu peut faire émerger des sentiments généraux de l’ordre de l’impuissance, de la confusion, de l’incompréhension, etc. (Ibid.). Cela rend ainsi le processus du transfert des apprentissages difficile lors des stages cliniques (Loslier, 2015). Cette difficulté fait en sorte que le taux d’échec parmi cette population étudiante est élevé (Primeau, 2014) dans le programme CWA.0B. À cet effet, Primeau (2014) mentionne, dans sa thèse portant sur les facteurs venant expliquer la réussite en matière d’intégration et de rétention des IIDHQ, que pour l’année scolaire 2011-2012 ce sont près de 32% soit environ 120 des 370 des étudiantes et étudiants inscrits dans ce programme qui ont essuyé un échec dans leur parcours. Par ailleurs, entre les années 2009 à 2012 ce sont 35% à 40% des IIDHQ suivant le programme qui étaient à leur deuxième tentative pour réussir le programme, et 5% qui étaient à leur troisième tentative. L’auteure ne précise pas le nombre total d’étudiantes et étudiants inscrits dans les quatre cégeps pour cette période au moment de la recherche.

Par ailleurs, la marge décisionnelle et l’autonomie professionnelle que confère la Loi 90 aux infirmières et infirmiers québécois peuvent constituer un obstacle pour certaines IIDHC qui n’avaient pas, dans leur pays d’origine, l’autorisation d’exercer certaines activités, telles les évaluations de personnes symptomatiques en vue de planifier des soins répondant à leurs besoins, sans l’intervention explicite d’un médecin. Or, à partir des constats issus de leur évaluation clinique au Québec les infirmières et infirmiers sont appelés, entre autres, à initier des mesures diagnostics pour des fins de dépistage, à déterminer un plan de traitement relatif aux soins de plaies et à procéder à la vaccination selon des protocoles, si la situation l’exige en vertu de la Loi 90. Par ailleurs, en plus des nouvelles responsabilités que le personnel infirmier doit assumer, il est appelé à offrir des soins qui soient cohérents et culturellement adaptés aux besoins diversifiés des patientes et patients (Fournier et Lapierre, 2010) du Québec. Ainsi, en raison d’une expérience de travail qui diffère du travail de l’infirmière et de l’infirmier du Québec, cet écart sur le plan de la pratique professionnelle pourrait contribuer à rendre difficile l’intégration en stage des exigences professionnelles québécoises par les

IIDHC qui exerçaient leur pratique uniquement sous le couvert d’ordonnances médicales (OIIQ, 2007; Tessier, 2018).

À cet effet, les IIDHC ne possédant pas une expérience antérieure de travail similaire aux attentes professionnelles québécoises sont plus à risque d’échouer leur programme de formation Intégration à la profession infirmière au Québec (CWA.0B) (Primeau, Champagne et Tremblay, 2013a; Tessier, 2018; Thélémaque, 2018). Ce qui freine leur accès à la profession infirmière au Québec.

À ces difficultés viennent s’ajouter d’autres facteurs qui peuvent compromettre le parcours académique des IIDHC. Signalons à ce propos que depuis quelques années, bon nombre d’établissements d’enseignement font face à une pénurie de milieux cliniques dans lesquels les étudiantes et les étudiants inscrits à la formation régulière de Soins infirmiers (180-A0) peuvent effectuer des stages cliniques dans des milieux offrant des situations d’apprentissage et des expériences cliniques riches et variées (OIIQ, 2009a; Primeau et Philibert, 2013). Les IIDHC inscrits dans le programme CWA.0B ne sont pas en reste. Comme le mentionnent Primeau et Philibert (2013), « la pénurie de milieux de stage, (sic) a des répercussions négatives quant aux opportunités d’exposition clinique pour les étudiantes » (p. 14) et étudiants inscrits dans ce programme d’intégration. En raison d’une compétition qui subsiste entre les différents programmes de soins infirmiers quant à l’attribution des milieux de stage (Fournier, Lemelin et De Palma, 2013; Gauthier, 2012; Ha et Pepin, 2008; Ledoux, 2016), et que les milieux de stage sont attribués prioritairement à la formation régulière, les IIDHC sont donc contraints à faire des stages de soir et même parfois dans des milieux qui ne répondent pas nécessairement aux objectifs de stage de la formation (Fournier, Lemelin et De Palma, 2013; Gauthier, 2012). Les stages cliniques en milieu professionnel réalisés de soir ne favorisent pas parfois l’atteinte des objectifs visés par le programme d’intégration, en raison des situations cliniques peu complexes qui peuvent entrainer une difficulté dans le choix de cas cliniques pertinents à l’apprentissage (Ibid.). À cet égard, les expériences cliniques peu variées ne favorisent pas le développement des compétences des étudiantes et étudiants.

Assurément, pour pouvoir exercer la profession infirmière au Québec, les IIDHC doivent, entre autres, préalablement réussir un programme d’intégration, puis réussir l’examen professionnel de l’OIIQ. Cependant, pour un certain nombre d’IIDHC le processus d’intégration et d’adaptation de leur pratique à la profession infirmière dans le cadre des stages du programme CWA.0B peut s’avérer difficile. À l’instar d’autres auteurs, Primeau et Philibert (2013) identifient des obstacles venant entraver la réussite scolaire des IIDHC : « différences de pratiques et de technologies, barrières communicationnelles, différences culturelles, difficultés de gestion du stress » (p.10).

Qui plus est, Primeau et Philibert (2013), dans leur étude exploratoire portant sur des facteurs expliquant la réussite du programme CWA.0B, ont rapporté que des IIDHC déplorent le fait que certains « modules de formation ne leur sont pas accessibles s’ils leur sont crédités par l’OIIQ lors de l’évaluation de leur formation antérieure même en tant qu’étudiants libres » (p. 15). De ce fait, certaines connaissances ne sont pas réactivées dans le cadre de leur formation. Par ailleurs, le taux de roulement élevé du corps professoral dans plusieurs cégeps, dont le Cégep Édouard-Montpetit, peut occasionner des répercussions sur la qualité de l’enseignement offert à la population étudiante inscrite dans le programme d’intégration (Primeau, Champagne et Lavoie- Tremblay, 2013b).

Afin de surmonter les diverses difficultés rencontrées par les IIDHC, Primeau et Philibert (2013) suggèrent, entre autres, d’accroître l’exposition clinique de cette population « par le biais de laboratories (sic), d’ateliers de simulation ou de stages cliniques dans les milieux adaptés » (p. 18) afin que les apprentissages réalisés puissent éventuellement être transférés en contexte professionnel. Ainsi, dans un contexte où il est difficile de placer les étudiantes et étudiants inscrits dans le programme CWA.0B dans des milieux cliniques de stage qui offrent des expériences riches et standardisées, le recours à des activités d’immersion clinique simulée devient une avenue pertinente afin de pallier à ce manque de milieux de stage adaptés (Fournier, Lemelin et De Palma, 2013; Primeau et Philibert, 2013; OIIQ, 2009b) et pour favoriser le développement du

jugement clinique infirmier des étudiantes et étudiants (Deschênes, Fournier et St- Julien, 2016; OIIQ, 2009b).

À notre connaissance, bien que cette stratégie pédagogique soit une alternative qui semble prometteuse « pour optimiser la préparation clinique des étudiants en vue de leurs stages dans les milieux cliniques » (Simoneau et Paquette, 2014, p. VII), et pour accroître le jugement clinique et diminuer le stress des étudiantes et des étudiants (Fournier, Lemelin et De Palma, 2013; Simoneau, Ledoux et Paquette, 2012), entre autres, aucune étude explicite n’a été menée quant aux stratégies qui interviennent dans le processus du transfert des apprentissages des IIDHC dans un contexte d’apprentissage expérientiel contrôlé, telle l’activité d’immersion clinique simulée. Ce contexte d’apprentissage expérientiel contrôlé, en soins infirmiers, réfère à un environnement d’apprentissage par erreur qui ne comporte aucun risque pour les patients (Deschênes, Fournier et St-Julien, 2016; Simoneau, Ledoux et Paquette, 2012; Simoneau et Paquette, 2014) et leur famille. En effet, la recension des écrits ne nous a pas permis de trouver des recherches qui traitaient explicitement de la contribution de l’activité d’immersion clinique simulée sur le transfert des nouveaux apprentissages acquis par les IIDHC inscrits dans le programme CWA.0B. Nous croyons donc qu’il est pertinent d’effectuer une recherche en ce sens afin de faire évoluer l’état des connaissances dans ce domaine et de favoriser la réussite scolaire chez cette population étudiante.