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Difficultés sur le marché du travail

Objet de ce rapport

3. LES DIMENSIONS DU RAPPORT AU TRAVAIL

3.2 Difficultés sur le marché du travail

Les personnes qui ont été interviewées sont à l’âge de l’insertion professionnelle. Elles en ont long à dire à propos des difficultés qui ont caractérisé leur trajectoire. Il était entendu que le schéma d’entrevues comportait des questions à ce propos. La plupart sont entrés dans le sujet et, dans la plupart des cas, pour plusieurs minutes.

Deux grands thèmes permettent de regrouper ce qui a été obtenu en entrevue. Ils concernent l’insertion chaotique en emploi et l’analyse subjective des facteurs ayant entraîné les difficultés.

3.2.1 INSERTION CHAOTIQUE

La plupart des interviewés se sont mesurés à l’emploi et même à plusieurs emplois qui ont pu aller jusqu’à cette limite qu’un interviewé a résumé ainsi : au cours d’une seule année, il dit avoir eu neuf T4 (feuillets des états du revenu) (56BR3OG2) ! Des difficultés apparaissent dès le moment de la recherche d’emploi ou de l’embauche. Il faut d’abord mentionner l’ignorance de ce qu’il faut faire, le fait d’être toujours placé sur des listes d’attente, celui de ne pas avoir de voiture pour se déplacer. Si on est immigrant, il faut ajouter les difficultés du point de vue de la langue, l’attente d’un statut de résident permanent, la reconnaissance d’équivalence pour les études (48BC3OF2).

Les interviewés qui affirment avoir aimé un emploi sont l’exception même si certains ont découvert que c’était le "fun" de travailler en référence au fait d’avoir vécu de l’aide sociale. Le travail sous pression, l’impression de ne pas être à sa place, la routine, le travail manuel non désiré, des projets du gouvernement à la place de "vrais emplois",

selon leur expression, sont autant de raisons évoquées. Quelques exceptions comme cette interviewée qui dit avoir apprécié son stage dans le contexte d’aide d’un organisme. Peu parlent de cette expérience. Les principales explications apparaîtront sous les sections 3.6 et 9.1.1 (Fréquentation des ressources d’aide à l’emploi).

Les critiques concernant les types d’emplois offerts et obtenus n’ont pas manqué. La question de la rémunération revient souvent : c’est toujours trop peu. Les emplois dans la restauration reçoivent un jugement sévère : routine, pression, chaleur intense des cuisines, problème avec le patron. La question des horaires de travail s’ajoute aux insatisfactions : horaires brisés, travail de nuit, emplois sur appel…

La mobilité caractérise aussi l’expérience de la majorité. Ceux qui ont eu un emploi de plus de deux ans font exception. Ce qui est le plus courant, ce sont des emplois de quelques mois. Très peu ont travaillé suffisamment longtemps pour bénéficier de l’assurance-emploi comme il en a déjà été question, soit seulement huit d’entre eux. Les autres ont été renvoyés ou ont décidé eux-mêmes d’abandonner l’emploi.

Des motifs de renvoi ont été signalés. La plupart relèvent d’un mauvais comportement au travail (soupçon de vol, vol de pourboires, mauvais rapport avec les clients dont la rigidité dans un cas). Il y a aussi le fait d’être en retard, de donner un mauvais rendement. La vente de drogue au travail a aussi été signalée.

Des interviewés ont mentionné des motifs d’abandon de l’emploi. La question de la routine revient, le travail ennuyeux, les querelles avec les collègues, des problèmes de santé. Certains ne veulent pas trop s’engager. Ainsi, un interviewé entre 20 et 24 ans dira : « tanné de plier du linge, puis de répondre aux clients, puis d’essayer de les arnaquer » (34AX2OG1).

3.2.2 ANALYSE SUBJECTIVE DES FACTEURS AYANT ENTRAÎNÉ LES DIFFICULTÉS

Il s’agit ici des facteurs évoqués par les interviewés. Ces derniers n’ont pas tendance à attribuer aux autres toutes leurs difficultés. De ce point de vue, les interviewés pourraient même se subdiviser entre ceux qui se culpabilisent (inaptitudes au travail, faible scolarité, problèmes de santé physique et/ou mentale, toxicomanie, problèmes d’orientation) et ceux qui attribuent leurs difficultés à des facteurs externes (le type d’emploi, l’employeur, le milieu, la rémunération).

3.2.2.1 Les facteurs personnels

Les facteurs personnels énumérés sont les plus nombreux. Ils ont d’abord trait aux aptitudes et inaptitudes au travail. L’énumération en est assez longue : mauvais rapport avec l’autorité (perte d’emploi parce que « […] finir par péter ma coche »

(24AL2OG1), instabilité (incapable de rester en place), difficulté de combiner études-emploi, manière de se vêtir, manque d’autonomie, lenteur liée à la maladie mentale, impulsivité, paresse, préférence accordée à "une vraie job" plutôt qu’à un programme gouvernemental.

La question de la formation entre aussi en ligne de compte : une mauvaise préparation à l’emploi, le regret d’avoir abandonné l’école (plus d’un), de ne pas avoir de métier, d’avoir un DEP tout en ayant la perception que ce n’est pas utile. Plusieurs n’ont jamais aimé l’école, veulent retourner aux études avant de chercher un autre emploi (influence des amis qui n’ont pas abandonné et réussissent sur le marché du travail). Une interviewée n’est pas tentée d’aller travailler même si elle a suivi un cours qui l’aurait préparée à l’emploi. D’autres types de préparation font défaut. Chez les plus scolarisés, on peut être indécis quant à une réorientation qui paraîtrait nécessaire si on a déjà un baccalauréat. On peut regretter amèrement, comme cet interviewé, de ne pas avoir fait de stage en milieu de travail durant ses études (12AL3OG2).

Des problèmes de santé mentale ont souvent été évoqués. Un a craqué parce que l’emploi demandait de la créativité et que lui était réservé dans les relations humaines : « mon problème, c’est moi-même ! » (12AL3OG2). Une litanie des maladies mentales se décline comme empêchement à l’emploi : psychose, plusieurs hospitalisations, schizophrénie. Un interviewé racontera qu’il est capable d’emplois où on dessine et écrit mais est incapable de faire la vaisselle parce qu’"une voix commence à parler" (25AL2NG1). Dans un autre cas, ce sera le syndrome d’Asperger : « Il y en a qui me décrivent quasiment comme un robot avec le monde » ; « Je ne suis pas fait pour être dans le marché de l’emploi à Québec » (33AC3OG1). Un autre pense être psychotique (34AX2OG1), un autre dit manquer d’estime de soi (TDHA) (35BX3OF1). Un autre se dit limité par son déficit d’attention (55AL2OG1). Il y a aussi la dépression, pendant un an dans un cas, qui induit une incapacité à supporter la pression (46AR2OG1).

Pour d’autres, ce sera la santé physique. Une s’est blessée en plus de se dire alcoolique (35BX3OF1). Une jeune femme a dit faire de la boulimie et de l’anorexie alors qu’elle travaillait dans un café (3AC3NF2)

La toxicomanie fait aussi partie de la litanie des facteurs aggravants. Un n’a pas réussi le test de toxicomanie demandé à l’embauche et avoue que la drogue lui a nui (1BL3NG1). Un autre fume du cannabis ("pot") tous les jours depuis 5 ans : « ça me rend séquelle. » […] « On dirait que je viens de me lever à toutes les heures de la journée. » […] « Faudrait juste que la job soit dans mon horaire » (22BL1OG1). Un alcoolique voulait seulement la paye. Il prenait son argent pour la drogue, partait sur des "trips" de consommation expliqués par des problèmes familiaux (52BX2OG1). Une

interviewée dit avoir eu des problèmes avec ses employeurs dans un restaurant parce qu’elle était entrée là par son réseau d’amis consommateurs (35BX3OF1). Certains mentionnent la difficulté qu’ils ont eu à conserver un emploi à cause de la drogue, d’autres les attentes qu’ils avaient à la suite d’une thérapie : « Je m’attendais à redevenir quelqu’un parce que, après ma thérapie, je faisais rien que des jobs où je me faisais exploiter » (8BC3OG1).

Des interviewés ont fait mention de leurs problèmes d’orientation comme celui-ci qui dit avoir été placé devant trois emplois qui l’intéressaient, mais ne savait lequel choisir. À l’approche de la trentaine, il veut se réorienter. Il a consommé et a des problèmes de santé mais voudrait bien terminer son secondaire et aller à l’université. Il se décrit aussi comme paranoïaque (40BL3OG1). Une jeune femme s’est dite mal préparée par ses études techniques. Elle aurait eu besoin de tutorat quand elle a essayé de devenir travailleur autonome (21BC3OF2). Un autre dit avoir eu des problèmes avec l’orienteur « ils ont eu de la misère avec moi. […] Disons que je suis un peu indécis » (44BR2NG1). Il peut s’agir d’un mauvais choix d’orientation comme celui-ci qui a obtenu un DEP en soudure mais ne veut pas être un robot toute sa vie. Il continue de chercher ce qui pourrait être pour lui l’emploi idéal (56BR3OG2). Un autre raconte avec nostalgie qu’il aurait aimé prendre la relève de son père et de son grand-père. Son grand-père ne voyait pas les choses du même œil et lui disait de continuer à aller à l’école. Il a suivi ce conseil, mais s’est arrêté en cours de route, ce qu’il regrette aujourd’hui. À un moment donné, il s’est confronté à son patron et a obtenu de l’assurance-emploi. Il s’est retrouvé aux études dans le cadre d’un programme d’assurance-emploi, mais fait remarquer que sur 43 étudiants, seulement trois ont trouvé des emplois à la sortie. Celle-ci a coïncidé avec celle d’étudiants de programmes réguliers à la recherche d’une place d’apprentis, eux aussi (1BL3NG1).

Une expérience liée à la criminalité intervient dans le passé mais aussi dans le présent de quelques interviewés. Un a de la difficulté à se trouver un emploi parce qu’il est en attente de sentence (28AC2OG1). Un autre a fait de la prison : il ne sait pas ce qu’il veut faire de son avenir, veut voir « l’orientatrice » (42BC2OG1).

3.2.2.2 Les facteurs externes ou liés à l’emploi

Les facteurs externes sont liés au type d’emploi, mais encore plus de mentions se rapportent aux relations avec l’employeur d’abord, puis avec les autres employés, donc aux relations de travail, et à la rémunération.

L’emploi dans la restauration est souvent ciblé. On le considère comme peu payé et n’accordant que peu de chance d’avancement. Une interviewée dira ainsi de son emploi

dans la restauration : « une des jobs que j’ai eu le plus de "marde" dans ma vie » (16AC1NF1).

La référence au "JE" exprime bien le problème de relation qui a pu exister avec l’employeur : « J’obstinais la patronne » ; « J’aimais pas le boss » ; « La gérante me rendait trop stressé » (24AL2OG1) ; « Faut pas que je pense à l’employeur, faut que je pense juste à moi » (37AC2NG2). D’autres emplois auraient appris à ce jeune homme une réalité incontournable à savoir qu’il y a un boss : « Puis t’as pas le choix de l’écouter ». Il s’entendait bien avec les "boss", mais ils étaient "bêtes" pareil (22BL1OG1). Tout un vocabulaire y passe pour parler de l’employeur : abus de la part du boss, employeurs "très autocratiques" (33AC3OG1) ; anciens patrons pas satisfaits : ne s’impliquait pas assez, pas forte en gestion (3AC3NF2) ; frictions avec des employés et avec le boss (encore dans la restauration) ; insultes au patron ; regret de ne pas avoir un employeur qui comprenne que le travail va être plus long (à cause d’un problème de déficit d’attention) (55AL2OG1).

Le milieu a aussi de l’importance comme facteur de désagrément. Pour un, la "job" est intéressante, « mais le monde est chiant » (24AL2OG1). Cela pourra se traduire par la difficulté de contact avec le monde (10AC2OF2), la préférence pour le fait de travailler seul. Un n’aimait pas l’équipe, un autre affirmait que l’ambiance était mauvaise (on parlait dans le dos) ou un autre encore, qu’il y avait des frictions entre les employés. La pression des parents pour que le jeune travaille compte aussi parmi les dimensions négatives de l’expérience de travail.

Même s’il est moins souvent mentionné, le type d’emploi réservé à ces jeunes peu outillés pour faire face aux exigences du marché du travail peut aussi expliquer les difficultés. Un interviewé souhaiterait un emploi qui fasse vivre. Il déplore le nombre restreint d’emplois disponibles tenant compte de son handicap. Les personnes qui sont comme lui « se ramassent toujours dans de petits emplois de trou de cul », ajoutera-t-il (55AL2OG1).

La question de la rémunération apparaît sous toutes sortes de formes comme le fait d’avoir été payée la moitié du salaire en fin de semaine de ceux qui travaillent la semaine (magasin de meubles) (43AR3NF2). Certains disent être prêts à faire n’importe quoi pourvu que ce soit bien payé (44BR2NG1). Un jeune homme a quitté un emploi après le premier chèque parce qu’il considérait ne pas avoir été assez payé (50AX2NG1). Un autre, plus scolarisé, ne veut pas passer sa vie à 18 $ de l’heure. Il dit avoir la maladie de l’argent et veut un salaire décent (56BR3OG2).