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Partie 3 Dispositifs artistiques et créatifs pour un public migrant

2. Difficultés et limites

2.1. Définir le projet au préalable

Depuis la circulaire du 29-4-2008 parue dans le BO n°19 du 8 mai 2008 qui concerne le « Développement de l’éducation artistique et culturelle » à l’école dans le primaire et le secondaire l’accent est davantage mis sur ce domaine, ainsi que les moyens qui accompagnent sa mise en place. Toutefois, avec l’enseignante du collège on peut regretter de devoir définir le projet, ses attendus et les compétences qui vont être évaluées avant même d’avoir

commencé le travail, « c’est mettre la charrue avant les boeufs ! » (annexe 29, C. M. 6). Il faut définir des axes sans savoir si la compagnie pourra correspondre aux objectifs visés. De même la compagnie est désignée, le choix ne relève pas des enseignants, et il est rare de pouvoir travailler plusieurs années de suite avec les mêmes artistes. Il faut donc savoir faire preuve d’une grande souplesse de la part de l’enseignant et accepter une vraie prise de risques ! Cependant les résultats sont souvent surprenants, au-delà même de ce qu’on avait pu imaginer.

2. 2. La gestion du temps et des autres enseignements

Par ailleurs ces projets exigent parfois une réorganisation des emplois du temps, et la rigidité du système scolaire met souvent des obstacles à ces réalisations. Au lycée du Nivolet s’est ajoutée la contrainte – que je n’avais pas mesurée – d’une classe constituée d’élèves de multiples classes. De ce fait, lorsque les ateliers proposés par le collectif de l’Endroit ont eu lieu en dehors des heures de Fle, seuls les élèves relevant de la classe désignée ont pu y assister. Ainsi, le travail collectif que je pensais mener suite aux ateliers n’a pas pu se faire, puisque seuls cinq élèves avaient pu y participer. De même, mêlés aux autres élèves, il n’était pas aisé pour les artistes d’adapter leur discours à ce public précis. Ainsi, quelques élèves ont pu être présents à l’heure de présentation du dispositif par les artistes, mais lorsqu’il a fallu faire un retour sur cette présentation pour expliquer aux autres élèves de la classe ce qui y avait été dit et ce qu’ils avaient fait, l’un des élèves rapporteur a demandé que je lui explique le sens du mot « désobéir », point de départ de toute la réflexion proposée ! Cette heure n’a pas eu une grande utilité pour lui, parce qu’on ne l’a pas suffisamment accompagné. Enfin la séance d’observation de la répétition de danse était en fait pour certains leur premier contact avec les artistes. Quelques apprenants ont pu bénéficier de sept heures de travail et de réflexion avec eux quand d’autres n’ont eu que deux heures… Difficile donc au final de

mener un véritable travail en partenariat avec les artistes et de lui donner tout son sens ; pour les élèves qui n’ont pu s’intégrer réellement dans ce projet, les retours sur l’expérience ne sont pas encourageants : « on s’est amusé mais ça ne sert à rien ». Par contre d’autres ont non seulement pris plaisir à ce travail, mais ont montré de réelles compétences d’écoute, de présence, d’imagination - le chorégraphe envisageait même de les intégrer à un moment donné dans son spectacle - et ont su prendre appui sur ce travail pour écrire ou retrouver des intentions, des émotions. Au cours des séances que j’ai menées, et qui se sont réduites comme peau de chagrin, lors des dernières semaines, les absences ont été de plus en plus nombreuses, certains élèves devaient passer des contrôles en cours de formation (CCF) nécessaires à la validation de leur CAP, d’autres préparaient ces contrôles... Impossible donc pour moi de mener à bien mes projets initiaux et de donner une finalité concrète à notre travail. Pour clore sa collaboration de l’année, la iX Compagnie présentait au mois de mai une étape de son travail au lycée, mais les élèves que j’ai suivis étaient tous en stage et n’ont donc pas pu se rendre à cette représentation. N’ayant pas dès le départ toutes les contraintes et tous les éléments en main, je ne peux faire qu’un bilan très nuancé de mon expérience même si un élève a pu proposer cette belle analyse du lien entre la danse et l’écriture: «C’est un peu comme si les corps dessinent ce que les mots écrivent » (La.). Et j’ai retrouvé, avec surprise, à la mi-juin, quelques jeunes de la classe, lors du « Festival Hop » du collectif artistique, venus voir la performance d’une des danseuses de iX Compagnie. Une ouverture culturelle a été initiée !

2. 3. La cohérence de l’enseignement

Et pourtant, comment arriver à mettre en lien ces éléments si disparates ? C’est l’effritement dans le temps, la distance entre les activités qui a dilué le sens. Comment faire un retour pertinent sur l’atelier de danse, lorsqu’il s’est écoulé trois semaines (vacances obligent) entre les deux ? Comment mettre en œuvre des procédés d’écriture analysés depuis plus de deux mois ? Les élèves ont un peu perdu le fil et n’ont pas pu tirer parti de la

démarche mise en place. C’est bien une des raisons de la réussite de Paradis Perdu ; comme l’a fait remarquer l’enseignante, « ça a été très très condensé dans le temps et finalement c'était très bien » (annexe 29 C. M. 28), « c’est la première fois que j’ai quelque chose d’aussi resserré » (annexe 29 C. M. 30) . Cela complique l’organisation scolaire et fâche quelques collègues mais au cours de ces semaines, les élèves ont vraiment pu s’immerger dans ce projet et s’y investir. Le volume horaire des classes UPE2A facilite cette mise en place. C’est ce que

reconnaît également l’enseignante de La Cardinière qui propose de façon très régulière les ateliers. Pour le Du Pass, les dix réalisations des étudiants montrent également comment quasiment chaque séance est l’occasion d’une production.

2. 4. Faire beaucoup en peu de temps...

J’avais déjà enseigné le Fle à des publics migrants mais en dehors du cadre scolaire et par petits groupes. La perspective du nombre d’heures limitées, la nécessité de mettre très vite en place le dispositif, l’envie de se raccrocher au projet de l’Endroit, les apports théoriques de cette année de formation, la perspective du mémoire m’ont donné envie d’expérimenter beaucoup de choses (trop) et d’attendre beaucoup des apprenants, enthousiasmée par la thématique proposée et ce public. Or comme je l’ai déjà dit, le temps est une donnée

essentielle dans l’apprentissage de ces publics. C’est ce qui a manqué également à la stagiaire pour le travail chorale qui termine son entretien par ces mots :. « Ouais voilà l’exploiter davantage pour plus se l’approprier et ouais voilà prendre plus de temps » (annexe 3, M. 20) . Même remarque du côté de l’enseignante de La Cardinière (annexe 28, M. A. 30) : « C’est lent c’est TRÈS lent ». Et cette écriture que j’aurais voulu faire travailler comme le

chorégraphe travaille sa phrase, « on essaie, on gomme », nous n’avons pas eu le temps de revenir dessus : séances trop courtes... et la reprise la semaine suivante était toujours compliquée parce que les élèves avaient oublié les textes, n’étaient plus dans la même énergie. Après le « concert de mots » lorsqu’ils ont découvert le slam, j’ai orienté davantage le travail final dans l’idée de le dire, le proférer et le faire entendre aux danseurs. Mais là encore, une heure pour écrire le texte et l’enregistrer, il n’était plus possible d’en faire quelque chose d’abouti, de satisfaisant. Le temps de réajuster, adapter, les heures ont filé !

2. 5. Des exigences scolaires au milieu de multiples préoccupations

Un autre élément à prendre en compte dans le travail avec les publics migrant est celui de l’assiduité ; si dans un contexte extra-scolaire il est terriblement problématique, il reste une préoccupation avec les élèves pris en charge dans un cursus scolaire, en particulier les MIE qui ont des rendez-vous administratifs importants aux heures de cours, ou qui ne vont pas bien et vont trouver du réconfort à l’infirmerie. Il faut faire preuve d’empathie et accepter que certains jours, le mal-être est tel qu’il faut savoir réduire ses exigences. Les horaires ne sont pas toujours bien respectés et les heures se réduisent parfois à une demi-heure, en particulier

le lundi matin ! Enfin, un élève a quitté le lycée en cours d’année et un autre a été de plus en plus absent, basculant probablement peu à peu dans la délinquance.

Pour le Du Pass, si un seul étudiant manquait à l’appel lors de la représentation

publique de la chorale, ce qui est assez révélateur de l’impact de cette réalisation pour eux, au moment de la rédaction du texte et des répétitions, ils étaient nombreux à être absents,

davantage préoccupés par leurs partiels et leurs dossiers à finaliser. Ici, c’est bien davantage le système qui est en cause que les étudiants eux-mêmes ; ils font tout simplement preuve d’attitudes stratégiques pour répondre aux exigences du système universitaire…