DOMAINES EVALUES DANS LE MINIMAL DATA SET, NOMBRE D’ITEMS PAR DOMAINE ET EXEMPLE D’ITEMS
5. La place des proches aidants : rôles, difficultés et limites dans le maintien à domicile
5.4. Les difficultés de l’aidant
Une infirmière me décrit trois types d’implication des aidants, allant du surinvestissement jusqu’à l’usure et à la « disparition » :
-‐ la « mamma italienne » : c’est la conjointe « … qui ne veut pas lâcher prise, qui veut
tout contrôler, qui n’a plus de pouvoir, qui est épuisée, qui est en train de mourir sur pieds mais qui ne lâchera pas … et il y en a des mammas italiennes et elles ne sont pas toutes italiennes. … elle va tout faire pour lui, le surprotéger, c’est souvent le cas, faire tout à sa place, le surprotéger, y laisser leur peau, elle mourra sûrement avant lui » ;
-‐ les filles : « … qui n’en peuvent plus, qui n’arrivent pas à le dire, qui
sont même en rupture avec leur propre famille … » ;
-‐ la famille absente : « ils sont usés … , on les voit disparaître, … . Alors avant ils
étaient tout le temps sur notre dos, puis tout d’un coup ils ne répondent même plus au téléphone, ils ne vont même plus le voir [le client], rien du tout. Ça arrive, c’est pas la majorité mais ça arrive, l’usure ».
5.4. Les difficultés de l’aidant
Les troubles cognitifs de la personne âgée ne sont pas sans conséquence sur son entourage familial. D’après Secall & Thomas (2005), non seulement ils en perturbent la dynamique mais ils provoquent un inversement des rôles au sein du couple aidant-‐ aidé : l’époux ou l’épouse s’attelle à des tâches dont l’autre s’était toujours occupé ou alors l’enfant est parentalisé. La charge tant physique qu’émotionnelle à laquelle l’aidant doit faire face peut le mener à diverses difficultés.
Voici celles rapportées par les infirmières consultées :
o Epuisement
Les aidants, qu’ils soient enfant ou conjoint, sont souvent épuisés quand les infirmières entrent en jeu dans la situation. Ils ne recourent pas à un organisme de soins dans les premiers temps d’apparition des troubles : ils attendent généralement qu’au fil des tâches contraignantes et répétitives qui s’accroissent avec la péjoration de l’état de leur proche, leurs forces s’amenuisent au point de ne plus être sûr d’être capable d’assurer la continuité des soins.
Comme l’explicitent Secall & Thomas (2005), leur état d’épuisement est tel, qu’ils ont de la difficulté à identifier leurs besoins. De plus, il y aurait déficit en auto-‐soins, le temps investit à s’occuper de leur proche ne leur permettant pas de s’en accorder suffisamment.
o Isolement
Une infirmière met en évidence cette difficulté de l’aidant lorsqu’il est seul à s’occuper de la personne âgée présentant des troubles cognitifs. L’isolement de l’aidant a d’ailleurs été relevé par Thomas & al. (2005) comme élément de baisse de la qualité de vie et d’augmentation de la vulnérabilité chez l’aidant : la vulnérabilité étant définie selon les auteurs, par l’usure induite par une prise en charge quotidienne du dément associée au vécu de la situation par l’aidant (liés aux facteurs personnels de l’aidant, à son ressenti, à la durée de prise en charge et aux facteurs personnels du dément).
Pour Secall & Thomas (2005), le temps dévolu à prendre en charge le proche empêche d’entretenir des liens sociaux. En outre, l’isolement est aussi psychologique entraînant « une solitude extrême dans le vécu de la maladie de l’autre » (p.54). Le peu de temps que l’aidant peut s’accorder pour des activités extérieures, fait qu’il est seul exposé aux déficits cognitifs et troubles comportementaux de son proche : par restriction de son champ cognitif, il risque un appauvrissement intellectuel (Secall & Thomas, 2005, p.56) et peut même développer des pathologies psychiatriques, soit qu’elles étaient latentes et révélées par la situation, soit qu’elles résultent entièrement de la situation (Von Gunten, Gold & Kohler (2008)).
o Déni-‐ambivalence
Malgré une demande d’aide, les enfants peuvent présenter des difficultés à admettre les troubles cognitifs de leur parent. Parfois, ils sont ambivalents : « Ils peuvent s’en
rendre compte puis l’instant d’après l’avoir oublié » parce que « la personne [le client] dit une phrase qui tient la route, tout d’un coup c’est le petit garçon qu’ils étaient qui revoit papa maman comme avant, … . Ce n’est pas de la mauvaise foi … ». D’autre fois,
ils ne saisissent pas l’impact des troubles cognitifs de leur parent à moins qu’ils n’y soient directement confrontés, comme cela a été le cas pour une infirmière : « Avec
cette dame, jusqu’à ce qu’on ait pu leur [aux filles] faire comprendre, ça été difficile. Ensuite une des filles, s’est trouvée là deux fois quand je suis arrivée, et ce jour-‐là comme la dame ne voulait jamais rien, on ne savait jamais si on pouvait ou pas, moi j’ai insisté pour lui donner la douche, et la fille a vu ce qu’il se passait. Et là ça a quand-‐même un petit peu ouvert les yeux. ».
Ce manque de discernement apparent de l’aidant est en fait attribuable à une réalité qui leur est difficile admettre et dont ils cherchent à se protéger : les pertes de leur proche. C’est un processus de deuil, non pas de la personne mais de ses pertes qui est engagé.
Lorsqu’un aidant est confronté à des troubles cognitifs type Alzheimer, les pertes sont si importantes qu’elles altèrent considérablement la personnalité du malade, au point que l’aidant peut ressentir la perte de cette personne qu’il ne reconnaît plus. Tout un travail de deuil s’opère alors afin d’accéder à l’acceptation de cette nouvelle personne, qui permettra à l’aidant de créer une nouvelle relation : on parle dans ce cas de deuil blanc comme l’explique Malaquin-‐Pavan & Pierrot (2004).
Pour Gilles Deslauriers, le processus de deuil comprend quatre tâches (Secall & Thomas, 2005, p.58):
-‐ la première : faire accepter la réalité de perte tant intellectuellement qu’émotionnellement. Le déni est souvent présent lors de cette phase ;
-‐ la seconde : faire émerger la souffrance pour empêcher l’aidant de se couper de ses propres émotions (pour moins souffrir) ou de chercher à fuir la situation ; -‐ la troisième : s’ajuster à la nouvelle situation malgré la perte relationnelle. Cela
signifie le rendre capable d’identifier les pertes du proche et les pertes au sein de leur relation. Ceci permettra à l’aidant de reprendre confiance en lui, de prendre soin de lui-‐même, de sa santé et de déléguer des soins aux professionnels ;
-‐ la quatrième : restituer la personne démente et aller de l’avant. C’est-‐à-‐dire reconnaître les pertes et créer de nouveaux liens sur des échanges réinventés où l’affection prime.
o Peur
Les infirmières ont également relevé que les troubles cognitifs pouvaient générer de l’angoisse et de la peur chez l’aidant. L’angoisse parce qu’ils ne reconnaissent plus le parent et la peur d’avoir la maladie car « … c’est l’image de leur propre vieillissement
qui leur est renvoyée … ». Annie Ernaux (1997), ayant vécu auprès de sa mère atteinte
de la maladie d’Alzheimer, évoque des comportements (de sa mère) qui la remplissaient de terreur.
Pour Secall & Thomas (2005) la peur fait partie des manifestations émotionnelles de la souffrance de l’aidant tout comme la colère, les pleurs, la tristesse, la prostration ou les inhibitions. Cependant la peur sous-‐tendrait les autres manifestations. Elle serait même à l’origine du sentiment d’abandon, de culpabilité, de solitude, de détresse et d’impuissance.
o Manque d’informations
Les aidants ne demandent que peu d’informations auprès des infirmières, me rapportent ces dernières. Elles l’expliquent par le fait que les médias en fournissent beaucoup, qu’ils ont une grande tolérance vis-‐à-‐vis du comportement du client ou que par pudeur, ils n’osent pas évoquer des faits qui leur sont déjà difficiles à vivre. Les demandes apparaissent quand ils doivent faire face à un fait particulièrement singulier. Une infirmière me rapporte que, face à leur incompréhension, elle prendra les devants en leur fournissant des explications, notamment lorsque la personne se sent persécutée et accuse ses proches de vols ou les insulte, ces derniers se sentant agressés. Pourtant, dans la recherche présentée par Thomas & al. (2005), dans le cadre des patients Alzheimer résidant à domicile, un quart des aidants estimait ne pas avoir suffisamment de renseignements sur la maladie.
o Difficulté à accepter de l’aide
Il peut arriver à l’infirmière de faire face à un aidant qui ne lui laisse pas de place, veut tout contrôler ou pense que seule lui sait comment s’y prendre, notamment quand « … les aidants qui jusque-‐là prenaient en charge leur maman ou leur papa,
pensaient inconsciemment que la maman ou le papa leur appartient … ».
Selmès & Derousné (2007) l’explique par le fait que l’aidant redoute que le respect de la personnalité de son proche et son estime d’elle-‐même ne soient pas considérés. Ils ajoutent qu’il peut être dérouté face à l’approche des professionnels et à leurs gestes
techniques qui ne sont pas ceux qu’il a acquis au fil des ans. De plus, l’aidant peut vivre les soins liés à l’intimité telle que la toilette comme un échec personnel. Il peut également avoir de l’appréhension à ce que le client rejette les intervenants.
Dans ces situations, l’approche décrite par une infirmière consiste à ne pas s’opposer à eux, à les valoriser dans ce qu’ils ont accompli, observer leur manière de s’y prendre et réaliser les soins avec eux : ceci créant un lien de confiance qui petit à petit leur permettra de lâcher prise pour laisser progressivement plus de place aux soignants.
o Problèmes financiers
La question du coût des prestations peut affecter l’aidant lorsque le client ne peut y subvenir seul. Parfois cela peut créer des conflits au sein de famille et des diminutions de prestations car « Il y en a … qui ont des biens, des appartements ailleurs, on peut
avoir des personnes portugaises, espagnoles, italiennes, il y a les enfants qui ne veulent pas vendre surtout là-‐bas … ». Selon Thomas & Hazif-‐Thomas (2005) et Thomas & al.
(2006), l’aspect financier influe sur la dynamique familiale et est un des facteurs prédictifs de l’institutionnalisation.
Lors de difficultés financières, l’infirmière peut faire appel à l’assistant social et/ou faire directement la démarche en vue d’obtenir l’allocation d’impotence, me souligne une infirmière : soit les formulaires se trouvent déjà l’AMD (antenne de maintien à domicile), soit Pro Senectute peut être contacté et faire parvenir le formulaire à l’infirmière (il est également disponible sur le site internet de l’association). C’est d’ailleurs la seule à évoquer cette dernière possibilité et elle regrette que ses plus jeunes collègues n’y aient pas davantage recours à cause d’un manque d’informations. Comme le décrit Annick Anchisi (2009), les assurances ne considèrent pas les soins de base comme part du traitement médical mais comme conséquences de l’impotence pour les personnes dépendantes. Les personnes recevant l’AVS (assurance vieillesse et survivant) ou des prestations complémentaires et ayant recours à des prestations pour soins de longue durée liées à la dépendance, peuvent en bénéficier.
Selon la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales (LGPA) : « Est réputée impotente toute personne qui, en raison d’une atteinte à sa santé, a besoin de façon permanente de l’aide d’autrui ou d’une surveillance personnelle pour accomplir des actes élémentaires de la vie quotidienne » (Ansichi, 2009, p.68). Le Tribunal fédéral des assurances divise ces actes en six catégories : se vêtir et se dévêtir / se lever -‐ s’asseoir -‐ se coucher / manger / faire sa toilette (soins du corps) / aller aux w.-‐c. / se déplacer à l’intérieur ou à l’extérieur, établir des contacts (Ansichi, 2009, p.68).
Il est important d’effectuer la demande au plus tôt car l’allocation d’impotence ne prend effet qu’à compter d’un an après le constat et l’expertise des atteintes (et non pas dès le moment de la procédure), à condition qu’il n’y ait pas eu d’interruption (Ansichi, 2009, p.68). Pro Senectute (2012) ajoute que cette allocation non imposable, ne dépend pas de la fortune mais du degré d’atteinte, réparti en trois catégories : faible, moyen et grave.
o Maltraitance
Pour ma part, je me rappelle d’une dame chez qui l’ont se rendait trois fois par jour. Celle-‐ci plusieurs fois durant les prestations me demandait : « ça va ? », sous-‐ entendant, est-‐ce que je m’en sors bien ? Et à chaque fois, je lui répondais « oui, très
bien ». C’est en discutant avec une infirmière de l’AMD que j’ai compris que cette question récurrente n’était pas qu’une inquiétude sur son aptitude à effectuer les choses mais que son enjeu était plus grand : ces enfants, sa fille surtout me semble-‐t-‐ il, lui répétait souvent que « si ça n’allait pas, il faudrait aller en EMS ». C’est à ce moment que j’ai compris l’angoisse que cela provoquait chez la cliente, au point de vouloir se rassurer en posant cette question plusieurs fois à chaque prestation. De toute évidence, cette dame bien que dépendante, ne désirait pas entrer dans un EMS. Selon Christian Van Rompaey (2003), une enquête belge identifie le placement non consenti à de la violence. Il fait aussi référence à une étude française révélant l’aggravation de l’état de santé des personnes âgées placées en institution sans leur consentement. Cette aggravation de l’état de santé menant même à une augmentation significative de la mortalité dans les 6 mois suivant l’institutionnalisation : c’est d’ailleurs ce que m’a relaté une infirmière à propos d’une cliente réticente à l’entrée en EMS qui est décédée six mois après s’y être installée.
En outre, l’auteur souligne que la maltraitance a lieu dans 70% des cas à domicile. Elle peut prendre différentes formes : des menaces de rejet, des privations de visites, des humiliations, des violences verbales, la spoliation d’argent ou de biens mobiliers ou immobiliers, des héritages anticipés, des brutalités et des coups, un excès ou une privation de médicaments, des atteintes au droit des personnes. L’auteur ajoute également les attitudes agressives refusant la dépendance de la personne ou son besoin d’aide, l’impasse relationnelle et le chantage affectif.
D’ailleurs, la difficulté à accepter l’intervention de la FSASD par certaines personnes âgées présentant des troubles cognitifs ne résulterait-‐elle pas en partie d’une crainte que le soignant ne les respecte pas ?