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Comme le soulèvent Keller et Kleinen-von Königslöw (2018) dans le même article précédemment mentionné qui étudie les styles communicationnels d’acteurs politiques en campagne, les réseaux socionumériques ont notamment été investis par les politiques comme un moyen prometteur de contourner les gardiens traditionnels de l’information pour atteindre directement les individus. Une fois cela dit, reste à savoir comment ceux-ci communiquent sur ces différentes plateformes de réseaux sociaux : « Do they try to engage their followers in serious debate, or do they simply aim to entertain them ? » (Keller et Kleinen-von Königslöw, 2018, p.358).

En ce sens, les candidats et autres formations politiques empruntent, notamment durant le temps des campagnes électorales, des stratégies de communication qui leur sont propres, dont des styles communicationnels, que nous allons discuter dans les lignes suivantes.

8.1 L’emploi du registre pseudo-discursif dans la communication politique

Le potentiel interactif des plateformes de réseaux sociaux a engendré l’espoir que celles-ci soient investies comme une arène dans laquelle se dérouleraient des débats sur des enjeux politiques entre acteurs politiques et citoyens. Cependant, différentes études empiriques « has found that political actors’ proclamations on the potential for debates on social media platforms are mostly symbolic » (Jungherr, 2016, cité dans Keller et Kleinen-von Königslöw, 2018, p.361). Plus précisément, la littérature ayant traité de la question relative aux possibilités offertes par les médias sociaux d’engager des débats entre acteurs politiques et citoyens tend à observer que « for the most part, traditional top-down communication dominates: social media platforms are used as just another web site to disseminate information » (Keller et Kleinen-von Königslöw, 2018, p.361). Ceux-ci ne débattent ainsi que très rarement avec leurs publics sur ce type de plateformes. En effet, ces deux auteurs observent que « regardless of how lively citizens’ comments on their posts may be, political actors seldom respond, let alone engage in a serious exchange of thoughts or opinions » (Keller et Kleinen-von Königslöw, 2018, p.359).

En ce sens, Keller et Kleinen-von Königslöw (2018) mettent en lumière que des recherches menées antérieurement ont révélé que les acteurs politiques n’ont simplement pas les ressources nécessaires (telles que le temps ou une équipe

dédiée exclusivement à la gestion de la communication sur ces plateformes de réseaux sociaux) pour faire face au nombre parfois très élevé de commentaires qui émergent suite à la publication d’un message sur ces plateformes. Il a été observé que ceux-ci ont notamment particulièrement peur de perdre le contrôle d’une situation de communication « which might trigger offensive online behavior and negative media attention, particularly because their original statements may become more politically controversial with the ensuing discussions » (Coleman et Blumler, 2009; Stromer-Galley, 2000, cités dans Keller et Kleinen-von Königslöw, 2018, p.

359).

En s’appuyant sur deux études supplémentaires, Keller et Kleinen-von Königslöw (2018), pointent également que non seulement les individus ne sont pas habitués à recevoir des réponses de la part des politiques « which means that politicians are not punished for restricting themselves to top-down communication and thus do not feel obliged to respond to citizens’ comments » (Tromble, 2016, cité dans Keller et Kleinen-von Königslöw, 2018, p.359); mais que les utilisateurs eux-mêmes de ces plateformes de réseaux sociaux telles que Twitter et Facebook ont tendance à se détourner des discussions sur celles-ci. En effet, « about 90% of online communities consist of lurkers who read other members’ posts but do not comment on or react to the posts » (Schneider, von Krogh et Jäger, 2013, cités dans Keller et Kleinen-von Königslöw, 2018, p.359).

Cependant, même si des études empiriques sont venues montrer que ce potentiel d’interaction est surtout symbolique, les acteurs politiques sont pleinement conscients « of the discourse potential of these platforms, as well as the democratic hopes and expectations connected to them » (Enli et Skogerbø, 2013, cités dans Keller et Kleinen-von Königslöw, 2018, p.361). Ainsi, bien que les acteurs politiques évitent les interactions en ligne pour les raisons que nous venons de mentionner (manque de temps; peur de perdre le contrôle), Keller et Kleinen-von Königslöw (2018) signalent dans leur article que les acteurs politiques recourent toutefois à certains éléments de communication pour donner au moins l’impression qu’ils sont prêts à participer à des débats publics sur ces plateformes de réseaux sociaux. En ce sens, les acteurs politiques « use a pseudo-discursive communication style » (Keller et Kleinen-von Königslöw, 2018, p.361). Par exemple, lorsqu’ils publient des contenus sur les réseaux sociaux, il arrive que les acteurs politiques s’adressent à d’autres acteurs politiques en les mentionnant. Le destinataire en sera alors notifié, créant ainsi une occasion pour engager un débat public. Enfin et pour mentionner un second exemple, l’emploi de ce style peut également s’observer lorsque les acteurs politiques s’adressent, à travers leurs messages émis sur les réseaux sociaux, directement aux citoyens pour leur demander par exemple leur opinion sur tel ou tel sujet, ce qui aura là aussi pour effet de créer une opportunité pour engager un débat public avec eux sur ces plateformes.

8.2 Le recours aux émotions dans la communication politique

Dans les lignes suivantes, nous allons discuter du concept de l’émotion dans le domaine de la communication politique. Les émotions ont été pendant longtemps mises de côté, celles-ci étant considérées comme un obstacle à l’exercice serein de

la raison. C’est seulement depuis quelques années qu’elles ont été réhabilitées dans le champ de la littérature scientifique. En effet, depuis les années 1970, le paradigme dit de la révolution cognitive a remis en avant leur rôle en les considérant comme particulièrement structurantes pour le comportement humain : elles nous aideraient à apporter une structure dans nos façons de penser et d’agir et seraient ainsi profondément utiles au raisonnement. En recourant au pathos, il s’agit ainsi pour l’orateur de faire appel aux émotions d’un public, de créer un lien avec lui. L’orateur va chercher à lui faire ressentir des passions. En ce sens, celui-ci va chercher à susciter chez le destinataire des réactions émotionnelles avec comme objectif de convaincre.

Le cadrage émotionnel est donc aujourd’hui une technique couramment employée par les acteurs politiques, notamment pendant les périodes électorales, pour rendre leur communication avec les citoyens plus efficace et persuasive. En effet, l’objectif visé est de convaincre pour in fine susciter de l’engagement politique auprès des citoyens. Comme le souligne Traïni dans l’introduction de son ouvrage traitant du lien entre émotions et mobilisation, « l’engagement des uns et des autres n’est jamais le simple prolongement d’une réflexion (…) ou bien encore (…) un calcul préalable d’un bénéfice tactique ou économique » (Traïni, 2009, p.12). En effet, l’engagement implique nécessairement des émotions.

Pour étayer notre propos, nous pouvons également mentionner le travail de Barry Richards (2004) sur le recours aux émotions dans la communication politique. Ce dernier met en évidence le fait qu’une tendance culturelle qu’il appelle

« emotionalization » a transformé le contexte dans lequel la communication politique avait l’habitude d’opérer. En effet, celle-ci a dû adapter ses contenus en fonction de ce nouveau contexte caractérisé par un affaiblissement des frontières entre les différentes sphères de vie. Dans ce cadre, la communication politique se trouve aujourd’hui être complètement entrelacée avec ce qu’il nomme la culture populaire qui serait caractérisée par les sentiments, l’expression et la gestion des émotions.

L’auteur soutient ainsi que « the incursion into political experience of the values of popular culture means that we now seek certain kinds of emotionalized experience from politics that we have not done in the past » (Richards, 2004, p.340) poussant alors les acteurs politiques à adapter leur communication en conséquence.

Finalement, pour l’auteur, l’incorporation des émotions dans les communications des acteurs politiques jouerait un rôle fondamental puisqu’elles permettraient de stopper le désintérêt croissant des citoyens pour les affaires politiques. En ce sens, des récits émotionnellement convaincants permettent de revigorer l’implication des citoyens dans la sphère politique.

Dans ce contexte et en nous appuyant sur l’article d’Eyries (2018), nous pouvons à titre d’exemple mettre en lumière l’un des récits émotionnels mis en place par Emmanuel Macron et son équipe de communication pendant la campagne de manière à convaincre une partie de l’électorat français de voter pour lui. En effet, une

« opération de séduction (…) visant une frange hyperconnectée de la population française » (Eyries, 2018, p.95) a été soigneusement agencée autour de sa technophilie. Plus précisément, l’investissement par Emmanuel Macron des nombreuses plateformes de réseaux sociaux « lui ont permis de mettre en scène son hyperconnexion et sa parfaite maîtrise des outils numériques » (Eyries, 2018, p.93) de manière à convaincre et mobiliser cette partie précise de l’électorat, souvent

jeune, que son équipe de campagne avait attentivement ciblée. Ainsi, ce

« storytelling à fort substrat symbolique d’Emmanuel Macron » (Eyries, 2018, p.94) lui a précisément permis de renvoyer l’image d’un candidat jeune, qui aime ces technologies et qui les maîtrise parfaitement bien, pour atteindre, encore une fois, cette partie des électeurs pour tenter de les convaincre de voter pour lui.

Par ailleurs et pour lier l’emploi du registre émotionnel et les plateformes de réseaux sociaux en particulier, nous soulignons que leur architecture spécifique invite les utilisateurs de celles-ci à employer ce type de registre communicationnel. En effet, ces nouveaux outils socionumériques sont des espaces qui permettent aux acteurs souhaitant communiquer sur ces plateformes d’atteindre directement des audiences, ces espaces leur offrant la possibilité de s’adresser directement à elles sans avoir à passer par le prisme journalistique qui imposait notamment l’emploi d’un langage plus “professionnel“. En ce sens, ces nouvelles plateformes numériques n’imposent justement pas l’emploi d’un tel registre et poussent au contraire les utilisateurs à privilégier un langage informel (Keller et Kleinen-von Königslöw, 2018).

Par ailleurs, un dernier élément poussant ceux qui recourent à ces plateformes numériques à employer le registre émotionnel dans leur communication a trait à la capacité qu’ont les émotions à répandre un message de façon massive au sein d’un réseau. En effet, dans un article consacré aux liens entre viralité des messages et emploi des émotions, Dobele, Lindgreen, Beverland, Vanhamme et van Wijk, (2007), expliquent que l’une des composantes nécessaire à la viralité des campagnes marketing réside dans l’usage du registre émotionnel dans les messages, pouvant ainsi véritablement augmenter la visibilité et la portée de ceux-ci au sein d’un réseau.

8.3 L’appel à la mobilisation dans la communication politique

Dans ce contexte de désengagement croissant des électeurs des affaires politiques dans de nombreuses démocraties occidentales depuis le début des années 1990,

« social media platforms offer politicians a very useful channel for their mobilization attempts, which were previously mostly limited to interpersonal canvassing and restrained by their financial resources » (R. Keller et Kleinen-von Königslöw, 2018, p.

361). En effet, dans leur enquête qui cherche à déterminer l’effet d’une communication dite « mobilisatrice » sur le réseau social Facebook par l’envoi de messages auprès de tous les utilisateurs du réseau âgés d’au moins 18 ans aux Etats-Unis ayant accédé à ladite plateforme le 2 novembre 2010, date qui correspond à la journée des élections du congrès américain, Bond et al. (2012) montrent que la diffusion de ce type de messages visant à encourager le vote auprès de ceux-ci n’a pas été sans effet. En effet, leurs résultats mettent en évidence que

« online political mobilization can have a direct effect on political self-expression, information seeking and real-world voting behaviour, and that messages including cues from an individual’s social network are more effective than information » (Bond et al., 2012, p.296). Au-delà du fait que leurs résultats montrent que la mobilisation politique en ligne a eu des effets directs sur la participation politique au sens du vote, leurs résultats mettent également en lumière que pour chaque « close friend who received the social message, a user was 0.224% (…) more likely to vote than they would have been had their close friend received no message » (Bond et al., 2012, p.

296), dévoilant ainsi que même si celle-ci est faible, les amis proches semblent avoir une influence sur les comportements politiques des utilisateurs du réseau social.

Ces résultats ont ainsi une incidence importante puisqu’ils démontrent que « online political mobilization works. It induces political self-expression, but it also induces (…) validated voter turnout » (Bond et al., 2012, p.297) et qu’il y a donc des effets directs de la mobilisation en ligne sur la participation politique comprise au sens du vote. Les médias sociaux constituent ainsi un canal particulièrement intéressant et utile à investir pour les formations politiques lorsqu’elles souhaitent mobiliser les électeurs et ce, pour tous types d’évènements politiques, qu’il s’agisse par exemple d’élections nationales ou de manifestations. Par ailleurs et comme le soulignent là aussi Keller et Kleinen-von Königslöw dans leur étude mentionnée plus haut, la diffusion de messages dits “mobilisateurs“ sur les plateformes de réseaux sociaux à destination de l’électorat peut être particulièrement décisive dans une course aux élections serrée puisque « citizens who receive a mobilizing message are reminded of their civic duties and are more likely to vote » (Keller et Kleinen-von Königslöw, 2018, p.

362).

Enfin, nous mettons également en évidence qu’une communication cherchant à mobiliser les citoyens sur les réseaux sociaux peut comprendre différents types de messages. Par exemple, il peut s’agir pour les acteurs politiques de rappeler la tenue prochaine d’une élection ou mettre en évidence les points clés (par exemple :

« Battez-vous pour plus de justice sociale ! ») censés rappeler aux électeurs pourquoi ils devraient donner leur voix pour tel ou tel candidat ou parti politique. Par ailleurs et comme nous le verrons de façon plus détaillée dans la partie réservée à la méthodologie (p.35), une autre manière de mobiliser les électeurs en ligne peut par exemple passer par un appel à “partager“ le message en question ou à le

“liker“ (Keller et Kleinen-von Königslöw, 2018).

8.4 Le divertissement dans la communication politique

Pour atteindre l’électorat d’une manière la plus large qui soit, les acteurs politiques ont intégré depuis longtemps dans leur communication politique le divertissement.

L’émergence d’émissions de télévision dites hybrides rendue possible par l’expansion considérable de l’offre en matière d’information a notamment permis aux acteurs politiques d’informer les citoyens tout en les divertissant. Autrement dit, les acteurs politiques intègrent aujourd’hui fréquemment dans leur communication politique ce qui est couramment appelé “infodivertissement“. Ainsi, « Politicians appear in late-night shows (e.g., The Tonight Show) and are frequently the subject of political satire shows » (Kleinen-von Königslöw, 2013, cité dans Keller et Kleinen-von Königslöw, 2018, p.363). Le recours à l’humour est donc non seulement une manière de divertir mais est également fréquemment emprunté par les politiques pour communiquer à leur public : « they use humor in their political ads and statements, and they appear in political comedy shows to be laughed at and to laugh with the host and the viewers » (Keller et Kleinen-von Königslöw, 2018, p.363).

Cependant, comme le pointent là aussi Keller et Kleinen-von Königslöw (2018) dans leur étude, l’humour n’est pas la seule forme de communication divertissante que les

acteurs politiques peuvent employer dans leurs messages. En effet, le divertissement peut également se traduire par une personnalisation des contenus. Les auteurs van Aelst, Sheafer et Stanyer soulignent dans leur article sur la personnalisation de l’actualité politique et sur la façon d’opérationaliser ce concept que la « focus of news coverage has shifted from parties and organizations to candidates and leaders and that, in addition, those individual politicians are increasingly portrayed as private person » (van Aelst, Sheafer et Stanyer, 2012, p.204). Selon ces trois auteurs, cette tendance à la personnalisation de l’information politique est le résultat à la fois de l’évolution des technologies médiatiques mais aussi des stratégies des acteurs politiques eux-mêmes dans un contexte où « the weakening of traditional affective ties between voters and parties » (Dalton et al., 2000; Mair, 2005, cités dans van Aelst, Sheafer et Stanyer, 2012, p.204).

Concernant la personnalisation des contenus, nous précisons que ce concept peut lui-même se décliner en deux catégories distinctes : l’individualisation et la privatisation. Alors que l’individualisation peut être définie comme « a change in the presentation of politics in the media, as expressed in a heightened focus on individual politicians and a diminished focus on parties, organizations and institutions » (Rahat et Sheafer, 2007, cités dans van Aelst, Sheafer, et Stanyer, 2012, p.206), la privatisation peut quant à elle se définir comme « a media focus on the personal characteristics and personal life of individual candidates » (Rahat et Sheafer, 2007, cités dans van Aelst, Sheafer et Stanyer, 2012, p.207). Aussi, nous pointons, toujours à partir de l’article rédigé par ces trois auteurs que la personnalisation des contenus permet de rendre les messages émis par les acteurs politiques sur les différentes plateformes de réseaux sociaux existantes plus accessibles aux citoyens.

Enfin et au-delà du fait que ce type de contenu peut permettre aux acteurs politiques d’atteindre de vastes audiences sur les différents réseaux sociaux, notons que les contenus divertissants permettent en plus de maintenir le contact de façon régulière avec les audiences, qui sont par ailleurs elles-mêmes habituées à voir ce type de contenu sur ces mêmes réseaux sociaux parmi leurs pairs (Keller et Kleinen-von Königslöw, 2018).

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