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Les diatomées : acteurs majeurs de la pompe à silicium dans l’Océan Austral

Introduction Générale

4. Les diatomées : acteurs majeurs de la pompe à silicium dans l’Océan Austral

Dans l’ACC, la production de silice biogénique est attribuée principalement aux diatomées, la contribution précise des autres organismes siliceux (silicoflagellés, radiolaires) est mal connue mais est très probablement beaucoup plus faible que celle des diatomées. Ces organismes ubiquistes sont des

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eucaryotes unicellulaires qui dominent généralement la production primaire dans les hautes latitudes de l’hémisphère sud où elles peuvent représenter jusqu’à 75 % de la population phytoplanctonique (Tréguer et al. 1995 ; Ragueneau et al., 2000). Les diatomées ont la particularité d’être entourées d’une paroi externe siliceuse appelée frustule, qui est généralement constitué de deux valves emboîtées, plus ou moins ornementées et entourées d’une ou plusieurs bandes transversales dites cingulaires (Fig. I.8a.). Ce frustule leur confère ainsi un avantage écologique non négligeable, notamment en ce qui concerne la protection contre les agressions extérieurs (prédation, etc.). Leur classification spécifique repose ainsi sur la forme et les éléments d’ornementation de leurs frustules qui se caractérisent par une très grande diversité de structures. Parce que ce sont des organismes siliceux, les diatomées nécessitent pour leur croissance et leur division des apports suffisants de DSi. Le métabolisme du silicium constitue ainsi chez ces organismes un métabolisme majeur au même titre que celui du carbone ou de l’azote (Martin-Jézéquel et al., 2000).

Figure I.8. (a.) Photographie de diatomées (Fragilariopsis kerguelensis) en vues cingulaires (en haut) et valvaires (en bas),

obtenue en microscopie électronique à balayage et illustrant la morphologie des diatomées (Crédit photo : I. Closset, plateforme analytique ALYSES). (b.) Représentation schématique de la division cellulaire d’une diatomée: A. Cellule-mère; B. 2 filles dans le frustule de la cellule-mère; C. Synthèse des valves; D. Exocytose des valves; E. Séparation des 2 cellules-filles. Adapté d’après Hildebrand et al. (2008).

Les diatomées peuvent opter pour la reproduction sexuée, mais se développent généralement par division végétative, chaque cellule fille récupérant une des valves de la cellule mère (Fig. I.8b.). Lors de la fabrication d’une nouvelle valve, l’assimilation de l’acide silicique se fait par le biais d’un transport actif, lié à la présence protéines transmembranaires (Silicic Acid Transporter, SIT) et suit une cinétique d’absorption de type Michaelis-Menten (Martin-Jézéquel

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et al., 2000 ;Thamatrakoln & Hildebrand, 2008), où le taux spécifique d’absorption (VSi, j-1) dépend de la concentration en H4SiO4 :

𝑉𝑆𝑖 =𝑉𝑚𝑎𝑥× [𝐻4𝑆𝑖𝑂4]

𝐾𝑆𝑖+[𝐻4𝑆𝑖𝑂4] (I.1.)

Vmax représente le taux spécifique d’absorption maximal (j-1) et KSi la constante de demi-saturation (µmole L-1), c'est-à-dire la concentration de DSi pour Vmax/2. Le silicium est transporté dans le cytoplasme de la cellule complexé à des composés intracellulaires pour être ensuite polymérisé sous la forme de silice biogénique dans une vésicule de dépôt (Silica Deposit Vesicle, SDV ;

Hildebrand, 2003). Le processus de silicification s’achève par l’expulsion de la SDV hors de la cellule et par le dépôt de la nouvelle valve du frustule. Les diatomées possèdent également des systèmes de régulation du silicium intracellulaire, conduisant à un efflux d’acide silicique hors de la cellule lorsque celui-ci n’est pas utilisé par l’organisme (Martin-Jézéquel et al., 2000 ; Fig. I.9.). L’ensemble

des processus physiologiques impliqués dans le métabolisme du silicium chez les diatomées est encore malheureusement très mal connu. Ils conditionnent pourtant très probablement la réponse des diatomées face aux variations biogéochimiques de leur environnement (concentration en nutriments, température etc.)

Figure I.9. Représentation schématique des principaux processus impliqués dans le métabolisme du silicium chez les

diatomées. Les points représentent le DSi qui pénètre dans la cellule (uptake) par les transporteurs d’acide silicique (SIT). Le DSi est ensuite transporté dans la cellule jusqu’à la vésicule de dépôt (SDV) où il est transformé en BSi. L’opale produite peut retourner au compartiment dissous par simple dissolution dans l’eau de mer ; et la cellule peut réguler sa concentration intracellulaire de DSi en pratiquant de l’efflux. Modifié d’après Martin-Jézéquel et al. (2000).

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Contrairement au métabolisme du carbone qui dépend principalement du processus de photosynthèse chez les organismes autotrophes, le métabolisme du silicium semble étroitement lié au cycle cellulaire des organismes (Martin-Jézéquel et al., 2000), et ne dépend pas directement du rythme jour/nuit. Chez les diatomées, ce cycle cellulaire se décompose en plusieurs phases et l’assimilation du silicium et le dépôt de BSi auraient lieu juste avant la phase de division cellulaire (i.e. en phase G2, Fig. I.10.). Des conditions défavorables à la croissance des diatomées, telles que la limitation en lumière, en micronutriments ou la température pourraient entrainer un ralentissement du cycle cellulaire et un allongement de certaines phases (e.g. Leynaert et al., 2004 ; Claquin & Martin-Jézéquel, 2005). Dans ces conditions, les diatomées auraient la possibilité d’absorber plus de DSi et donc d’augmenter le degré de silicification. Dans les eaux HNLC limitées en fer de l’Océan Austral, les diatomées prélèveraient donc plus de silicium que d’azote, augmentant ainsi leurs rapports stoechiométriques (Si:C, Si:N et Si:P ; Hutchins & Bruland, 1998 ; Franck et al., 2000), participant en partie au découplage des cycles biogéochimiques de ces différents éléments et à l’appauvrissement préférentiel en silicium des eaux de surface. Ce sont sur ces observations que repose l’hypothèse de la SALH de Matsumoto et al. (2002). En effet, lors des périodes glaciaires, les apports accrus de fer dans l’Océan Austral auraient eut pour conséquence une diminution des rapports d’assimilation Si:N des diatomées entraînant un excès de DSi dans les eaux de surface antarctique comparé à la situation actuelle (Brzezinski et al., 2002). Ce stock de H4SiO4 préformé aurait alors été exporté via la circulation thermohaline vers les plus faibles latitudes où il aurait favorisé la croissance des diatomées, augmentant ainsi l’efficacité de la pompe biologique dans ces régions.

Figure I.10. Représentation schématique des principaux processus de

silicification en relation avec le cycle cellulaire chez les diatomées (adapté d’après Ragueneau et al., 2000). Le cycle cellulaire comprend plusieurs phases : Périodes de croissance (G1 et G2), période de réplication de l’ADN (S), période de division cellulaire (M).

L’océan global (en ce inclus l’Océan Austral) est sous-saturé en acide silicique. La silice biogénique constituant le frustule des diatomées est donc constamment soumise à un processus

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physico-chimique de dissolution. Afin de le protéger, le frustule est recouvert d’une fine pellicule organique l’isolant de l’environnement sous-saturé. Ainsi, à l’échelle d’un organisme, les processus de production et de dissolution de la BSi sont découplés dans le temps puisque ce n’est qu’après la mort de la cellule et la dégradation de cette matière organique que la BSi commence à se dissoudre (Ragueneau et al., 2000). Différents facteurs physiques, chimiques et biologiques tels que la température, la morphologie du frustule, l’incorporation d’autres éléments dans la BSi, l’activité bactérienne ou le broutage vont influencer l’efficacité de la dissolution des diatomées (e.g. Kamatani, 1982 ; Bidle & Azam, 1999) et vont fortement conditionner les flux de H4SiO4 recyclé dans les eaux de surface. Contrairement à l’azote, il n’est pas possible de différentier simplement les sources « régénérées » de DSi de celles dites « nouvelles » puisqu’elles ont toutes deux la même composition chimique. La part de la production de silice liée à ces processus de recyclage ou à l’apport nouveau de DSi est donc actuellement difficile à identifier. Les approches isotopiques, utilisées au cours de ce travail de thèse et présentées dans ce manuscrit, vont nous permettre de progresser sur ces questions.