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Matériel et Méthodes

4 DIAGNOSTIC ET ÉVOLUTION DE LA MALADIE

La MC est un trouble chronique qui peut se manifester cliniquement à tout moment, du début de l'enfance à la fin de l'âge adulte [148,149]. Pour la plupart, le diagnostic de la maladie se fait pendant la fin de l'adolescence et au début de l'âge adulte. Au cours des deux ou trois dernières décennies, plus de 80% des patients atteints de la MC sont diagnostiqués avant l'âge de 40 ans [148]. Selon les moyens d'imagerie les plus sensibles, la maladie touche principalement l'iléon et le côlon [148,149]. En général, dans la majorité des cas, la maladie est traitée à un stade tardif de complication [150].

4.1. Clinique [130]

Les signes cliniques dépendent de la localisation, de la nature et de la sévérité des lésions touchant le tube digestif : inflammation pariétale, sténoses, fistules et abcès. La MC touche classiquement le tube digestif de façon discontinue et transmurale, « de la bouche à l’anus », et peut s’accompagner de manifestations générales et extradigestives. La maladie évolue en général par poussées d’intensité variable, entrecoupées de phases de rémission plus ou moins complètes et prolongées. Les signes cliniques sont souvent aspécifiques, expliquant le retard diagnostique.

La MC doit être recherchée en cas de : ● Diarrhée chronique (> 6 semaines),

● Douleurs abdominales inexpliquées associées à : un syndrome inflammatoire inexpliqué, une anémie, des signes de malabsorption avec des carences vitaminiques, un retard staturopondéral, une altération de l’état général, des lésions proctologiques (fissures anales multiples, antérieures ou latérales, abcès péri-anal récidivant, fistules complexes), ou à des signes généraux (amaigrissement, asthénie ou fièvre), ou extradigestifs.

Les sténoses digestives se révèlent le plus souvent par un syndrome de Koenig. Les suppurations et abcès intraabdominaux sont la conséquence des fistules internes et siègent généralement en amont de sténoses.

Les lésions anopérinéales sont un argument majeur pour le diagnostic de MC, leur présence est retrouvée chez plus de 50% des patients au cours de l’évolution de la maladie. On distingue classiquement :

● Les lésions primaires ou de type 1 d’origine inflammatoire (ulcérations et fissures) ;

● Les lésions secondaires infectieuses ou de type 2, représentées par les suppurations aiguës ou abcès et les fistules ;

● Et les lésions secondaires mécaniques ou de type 3, représentées par les sténoses.

atteintes axiales avec notamment spondylarthropathies), dermatologiques (érythème noueux, aphtose buccale, et pyoderma gangrenosum), ophtalmologiques (uvéite, épisclérite, sclérite), hépatobiliaires (cholangite sclérosante primitive), et plus rarement cardiaques, pulmonaires, rénales, ou neurologiques en dehors des effets secondaires des traitements ou des atteintes carentielles.

Le risque de maladie veineuse thromboembolique est augmenté dans la MC (de 2 à 3), notamment en cas de poussée chez les patients suivis en ambulatoire.

4.2. Biologie [130]

Au niveau biologique, l’anémie est fréquente lors du diagnostic (20%), qu’elle soit ferriprive, inflammatoire, carentielle, hémolytique ou mixte, tout comme la thrombocytose. On peut retrouver également une hypoalbuminémie, des carences vitaminiques (folates, vitamine B12, vitamine D, etc.), et une élévation de la protéine C-réactive (CRP). Cependant, un tiers des patients ont une CRP qui reste normale au cours des poussées.

Les marqueurs fécaux de l’inflammation intestinale (calprotectine fécale et lactoferrine) peuvent être intéressants au diagnostic différentiel avec une colopathie fonctionnelle. Il ont une valeur prédictive positive supérieure à 90%, même s’ils ont été étudiés surtout dans la prévention de la rechute et dans leur association avec la cicatrisation muqueuse.

4.3. Endoscopie [151]

Les examens endoscopiques ont une place primordiale pour le diagnostic positif et différentiel des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, pour évaluer l’étendue et l’intensité des lésions, pour le pronostic, l’évaluation de la réponse au traitement et la surveillance de la dysplasie.

L’iléocoloscopie avec biopsies est l’examen de référence pour le diagnostic et l’évaluation de l’extension de la MC. Cet examen doit être réalisé dès la suspicion de MC, et avant la prise en charge thérapeutique. L’aspect typique est une distribution segmentaire des lésions inflammatoires et ulcérées, souvent longitudinales (Figure 6), avec des intervalles de muqueuse saine, un aspect pavimenteux de l’iléon et/ou du côlon, la présence d’orifices fistuleux, de sténoses luminales, et une atteinte anopérinéale.

Figure 6. Image coloscopique montrant une MC colique avec ulcère superficiel [130] La FOGD avec biopsies est utile pour l’exploration de l'extension de la maladie, pour le diagnostic différentiel (maladie coeliaque), en cas de signes cliniques (nausées, vomissements, dyspepsie), même si l’atteinte digestive haute

La vidéocapsule grêle endoscopique (Figure 7) est recommandée en cas de suspicion diagnostique après une iléocoloscopie normale. Sa sensibilité est supérieure aux examens en coupe (entéro-IRM et entéroscanner), notamment pour les lésions muqueuses, et sa valeur prédictive négative est très élevée. Elle doit être précédée d’une imagerie en coupe en cas de symptômes subocclusifs, d’un antécédent de résection intestinale ou d’une sténose connue.

Figure 7. Ulcère jéjunal visualisé à la vidéocapsule [130]

L’entéroscopie peut être indiquée pour réaliser des biopsies en cas de doute diagnostique, ou pour des gestes thérapeutiques (dilatation de sténoses, retrait de capsule bloquée, hémostase).

4.4. Imagerie [130]

Les différentes méthodes d’imagerie sont complémentaires aux examens endoscopiques pour le diagnostic de la MC, son extension, sa classification, la recherche de lésions sténosantes ou pénétrantes (fistules, abcès), et pour évaluer la réponse aux traitements, notamment en cas d’atteinte de l’intestin grêle ou de lésions anopérinéales.

L’abdomen sans préparation (ASP) a été abandonné dans cette indication, même en urgence où un examen tomodensitométrique est recommandé si l’on recherche une complication.

L’échographie digestive est un examen fiable, non irradiant, sensible pour l’exploration de la région iléocæcale, du côlon droit, du côlon gauche et du sigmoïde, et permet la détection de complications (fistules, abcès, phlegmons). Il est beaucoup moins sensible pour l’exploration du côlon transverse, du rectum, du jéjunum et de l’iléon proximal.

L’entéroscanner est un examen très sensible, mais l’irradiation doit limiter son utilisation en urgence en cas de syndrome douloureux abdominal aigu, en cas de syndrome occlusif, en cas de complications postopératoires et aux drainages d’abcès.

L’entéroscanner est actuellement le plus souvent remplacé par une entéro-IRM. Le seul avantage de l’entéroscanner par rapport à l’IRM est la détection d’une perforation digestive.

L’entéro-IRM est l’examen de référence dans le bilan initial de la MC pour la détection de l’extension des lésions (Figure 8), la recherche de sténose, et l’atteinte pénétrante avec la recherche de fistules et d’abcès, notamment pour l’atteinte jéjunale et iléocolique et pour le suivi non invasif des patients.

Figure 8. Image d’une coupe coronale d’une entéro-IRM montrant une iléite inflammatoire

lors d’une poussée d’une MC iléale [152]

L’IRM pelvienne et du canal anal est l’examen de choix pour le diagnostic et la classification des lésions anopérinéales, notamment des fistules, en complément de l’examen clinique sous anesthésie générale, avec une sensibilité supérieure à 90%.

4.5. Histologie

L’analyse anatomopathologique des biopsies est nécessaire en complément des arguments cliniques, biologiques, endoscopiques et d’imagerie pour le diagnostic de la MC et l’instauration du traitement. La réalisation de biopsies en zone saine et en zone atteinte (2 biopsies sur les 6 segments lors de l’iléocoloscopie) augmente leur rentabilité diagnostique. [153]

4.5.1. L'examen macroscopique

Classiquement, l'examen macroscopique d'une pièce de résection intestinale dans la MC montre des lésions inflammatoires discontinues. La

surface du segment intestinal malade peut être hyperémique. Un exsudat séreux inflammatoire et/ou des adhésions séreuses peuvent être observés. [153]

Les premières lésions apparentes de la muqueuse dans la MC sont de petits ulcères aphtoïdes qui se développent généralement sur les follicules lymphoïdes [153]. Il s'agit d'ulcérations de petite taille, de 1 à 3 mm, à centre blanc, entourées d'un halo rouge et congestif, et siège au sein d'une muqueuse endoscopiquement normale [154]. Elles sont généralement accompagnées d'une plage érythémateuse bien circonscrite, l'ensemble ne dépassant pas 10 mm de diamètre [154].

Les ulcérations superficielles sont étendues de quelques millimètres à plusieurs centimètres, avec un aspect rond, ovalaire, en raquette ou en carte géographique. Leur fond est blanchâtre et leurs bords peuvent être réguliers ou irréguliers. Elles peuvent être isolées sur un segment colique, au sein d'une muqueuse normale ou pathologique. [154]

Au fur et à mesure que les ulcères aphtoïdes s'élargissent, ils confluent en réalisant de larges bandes ulcérées dans l'axe longitudinal, parfois sur un segment entier du côlon, comme le sigmoïde ou le transverse. Plus rarement, ces ulcérations réalisent de véritables abrasions de la muqueuse colique, ne laissent substituer que de rares îlots de muqueuse normale ou érythémateuse. Cet aspect correspond à l'aspect pavimenteux classique [153,154]

Les ulcérations creusantes sont arrondies, irrégulières, longitudinales ou en carte géographique, de taille variant de quelques millimètres à plusieurs centimètres, et généralement entourées d'une muqueuse érythémateuse et boursouflée. [154]

Les cicatrices d'ulcération sont des zones blanchâtres, linéaires, étoilées, planes, ou légèrement déprimées. La muqueuse est pâle et dépolie, mais la vascularisation a réapparu, ce qui la différencie d'une ulcération très superficielle. [153,154]

Des polypes inflammatoires et des pseudopolypes peuvent apparaître. Les pseudopolypes correspondent à des séquelles hypertrophiques d'ulcérations superficielles ou creusantes. Ils peuvent être géants atteignant 2 à 3 cm, mais en règle général ils ne dépassent pas 1 cm. [153,154]

Les fistules sont parfois très difficiles à déceler en endoscopie notamment si elles siègent au milieu d'une muqueuse boursouflée et érythémateuse. On les voit principalement chez les patients présentant une atteinte iléale et/ou colique. [153,154]

Des sténoses peuvent se développer sur des sites d'inflammation transmurale avec fibrose et prolifération fibromusculaire. Comme dans l'intestin grêle, la muqueuse intestinale devient épaissie et de plus en plus rigide. [153]

4.5.2. L'examen microscopique [130]

Les lésions les plus significativement associées au diagnostic histologique de MC sont : une inflammation chronique (lymphoplasmocytose dans la lamina propria) focale ou irrégulière, une irrégularité focale de l’architecture des cryptes et des villosités, et la présence de granulomes épithélioïdes et gigantocellulaires, sans nécrose caséeuse. (Figure 9)

Figure 9. Image histologique d’une muqueuse colique montrant une cryptite et un granulome

épithélioïde gigantocellulaire sans nécrose caséeuse [152]

D’autres lésions comme la lymphocytose intraépithéliale, une inflammation transpariétale, une cryptite focale, une hypertrophie des filets nerveux et gastrite lymphocytaire focale sans Helicobacter pylori peuvent être retrouvées sur les biopsies ou sur les pièces opératoires.

4.6. Localisation des lésions

4.6.1. Localisation gastroduodénale

La fréquence des localisations oesogastroduodénales peut atteindre 28% des cas quand on les recherche systématiquement par endoscopie et biopsies. Elles sont le plus souvent asymptomatiques. Les lésions siègent avec prédilection au niveau de l’antre et du duodénum proximal [155].

Dans la série de Beyrouti et al portant sur 26 malades opérés pour MC entre 1986 et 2001, aucun cas de localisation gastroduodénale n’a été rapporté [156]. Notre étude n'a rapporté aucun cas de localisation gastroduodénale de la MC.

4.6.2. Localisation grêlique

La fréquence de cette localisation est de 20 à 35% des cas. La localisation iléocolique se voit dans 30 à 40% des cas. Cependant, la localisation la plus fréquente concerne l’iléon terminal dont la principale caractéristique est la survenue accrue de sténoses [157].

Dans la série de Medarhri et al portant sur 28 malades opérés pour MC, la localisation grêlique a été notée dans 74% des cas : l’atteinte iléale dans 32% des cas, l’atteinte iléocæcale dans 42% des cas [158].

Dans la série de Quandalle et al incluant 100 malades opérés pour MC, la localisation grêlique a été notée dans 80% des cas : iléon terminal dans 45% des cas, la jonction iléo-caecale dans 20% des cas, l’atteinte iléale et jéjunale dans 15% des cas [159].

Dans notre série, nous avons noté la prédominance de la localisation iléocaecale qui représentait 93,75% des cas. Aucune localisation iléale isolée n'a été rapportée.

4.6.3. Localisation colique

La fréquence de cette localisation est de 20 à 40% des cas [160].

Dans la série de Beyrouti, l’atteinte colique intéressait 58,3 % des cas [156].

Dans la série de Medarhri et al, la localisation colique a été retrouvée dans 11% des cas [158].

Dans la série de Parent et al [161], concernant 108 malades opérés pour MC entre 1980 et 1992, l’atteinte colique isolée était de 10% des cas.

Dans notre série, la localisation colique a été retrouvée chez 12,5% des cas, avec une localisation colique droite dans 6,25% des cas, et une localisation rectosigmoïdienne dans 6,25% des cas.

4.6.4. Localisation anopérinéales

Les manifestations anopérinéales affectent environ un malade sur deux au cours de l’évolution d’une MC [162]. Leur localisation à la partie terminale du tube digestif, leur influence sur le contrôle de la continence et la proximité des voies génitales, les rendent très gênantes [163].

Elles sont d’autant plus fréquentes et graves que la MC est distale : 20 à 30% des cas dans la MC iléale ou iléocolique, et de 50 à 60% des cas dans la maladie de Crohn colique, quasi constante en cas d’atteinte rectale [162].

Les formes ano-rectales isolées sont rares. Dans la série de Beyrouti et al, une localisation ano-périnéale a été notée dans 15,8% des cas [156].

Dans notre série, la localisation anopérinéale a été retrouvée chez 12,5% des cas.

4.7. Evolution de la maladie

La MC devient symptomatique lorsque les lésions sont étendues ou distales, associées à une réaction inflammatoire systémique, ou lorsqu'elles sont compliquées par des sténoses, des abcès ou des fistules. En général, la maladie évolue par l'enchaînement d'épisodes de poussée et de rémissions de durée variable. Dans 10% à 15% des cas, la maladie est chronique et continue sans épisode de rémission [164].

On peut distinguer 3 formes de maladie de Crohn : pénétrantes, sténosantes et inflammatoires (non pénétrantes et non sténosantes). Au cours des premières années de la maladie prédominent les formes inflammatoires, alors qu’après 40 ans, la plupart des patients présentent des complications ayant une forme pénétrante ou, moins souvent, une forme sténosante [165,166]. L'évolution de la MC dépend de sa localisation. Une complication peut être présente lors du diagnostic de la MC à localisation iléale, comme elle peut survenir pendant les premières années après le diagnostic ; il peut s'agir d'un abcès, d'une fistule, ou d'une sténose suivie par la formation d'une fistule [167], alors qu'une localisation colique peut rester sans complication pendant plusieurs années. Des lésions sténosantes et pénétrantes peuvent coexister chez le même individu ou même dans le même segment intestinal [21].

La progression de la MC peut être arrêtée ou ralentie par un traitement médical ou chirurgical. L'administration d'une corticothérapie orale durant les 3 mois qui suivent le diagnostic et l'utilisation précoce de la thiopurine (durant la première année qui suit le diagnostic) réduisent le risque de recours au traitement chirurgical [168]. Une autre étude [169] a montré que l'utilisation d'immunomodulateurs pendant plus de 6 mois réduit le risque de première chirurgie, en particulier dans la maladie non pénétrante et non sténosante.

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