• Aucun résultat trouvé

Deux styles différents de réponse esthétique

Dans 24 des comportements, les objets perçus sont interprétés de façon symbolique Leurs qualités évoquent soit d'autres objets, d'autres lieu

4. Deux styles différents de réponse esthétique

Sans entreprendre une étude approfondie des typologies des modes d'appréciation esthétique (Read, 1945-1956, p. 90 à 100 et Lowenfeld, dans Eisner, 1972, p. 91), on peut constater des tendances différentes dans les styles de réponses esthétiques. En observant la continuité des comporte- ments d'un individu, des constantes apparaissent dans les intérêts, dans

les façons de percevoir, d'analyser et d'interpréter les qualités des objets et dans les relations affectives établies avec les choses. J'ai eu la chan- ce d'observer deux enfants de types très différents. Je présenterai ici de façon comparative les principales caractéristiques qui se dégagent des por- traits esthétiques de chacune.

Maryvonne

Les explorations de Maryvonne sont motivées par le besoin de bouger et de changer souvent de centre d'intérêt. Ses sensations sont surtout kinesthésiques et proprioceptrices, ce qui n'exclut pas les autres registres sensoriels. Elle répond aux objets et aux espaces par le mouvement (grim- per, transporter, courir) et par la position (se recroqueviller, s'allonger, se dresser). Très petite, elle s'intéresse à tout ce qui se trouve dans son champ d'action et elle s'arrête lorsque ses jambes sont fatiguées.

Plus tard elle organise ses déplacements en fonction d'objets qui l'attirent. Elle commence à circonscrire des espaces et à réaliser des compositions sy- métriques dans ses jeux de construction. Elle est séduite par les oeuvres géométriques de Vasarely et en saisit la structure. Vers six ans, elle s'a- donne aux jeux de dames, de dames chinoises et d'échecs.

Les rapprochements que lui suggèrent les objets sont souvent inspirés par la forme et la structure des objets en question. Elle les compare de

façon explicite et semble trouver du plaisir à ces associations. Vers cinq ans elle répond aux qualités expressives évidentes de certaines images par des sentiments exprimés par des gestes, des onomatopées ou des commentaires spontanés.

Quand Maryvonne collectionne les plumes, les cônes ou les feuilles, la quantité des spécimens l'intéresse davantage que les qualités particuliè- res de chacun. Ses collections sont bien rangées et identifiées dans des albums. Une fois classés, les objets l'intéressent moins.

Chez Maryvonne, la décentration et l'ouverture vers le monde exté- rieur prennent la forme d'une intuition toujours plus articulée et plus vas- te de l'organisation et de la structure. A sept ans, elle participe avec grand intérêt à la dissection d'un oiseau.

Ses recherches esthétiques sont des rapprochements ou des mises en relation de plusieurs objets plutôt que la considération attentive des par- ticularités d'un objet isolé.

Catherine

Catherine est sensible au contact physique. Elle aime se faire pren- dre et se faire câliner. Elle aime toucher, caresser, se frôler. Ses ex- plorations sont surtout tactiles. Elle manipule délicatement de tout petits objets et les examine de façon détai1lée. Lors des promenades, elle s'arrê- te souvent pour toucher ou pour ramasser mille et une trouvailles. Elle est davantage centrée sur ce qu'elle rencontre sur son chemin que sur le but et la direction de la promenade. Elle ne sait pas se presser.

Catherine s'intéresse avant tout aux qualités des matières. Elle col- lectionne des échantillons de laine, de papier, de tissus dont elle met les caractéristiques en valeur dans des jeux ou dans des bricolages. Elle répond avec émotion à ce qui brille, à ce qui est doux et aux couleurs ten- dres.

Les collections de Catherine sont pêle-mêle dans des boîtes à trésors ou cachées dans ses tiroirs. Souvent elle s'enferme dans sa chambre avec un ami pour lui faire voir ses petits trésors. Elle aime aussi les offrir en cadeau à ses proches.

Souvent Catherine décrit de façon imagée ce qu'elle a vu. Elle dira par exemple d'un bébé aux cheveux bouclés qu'il a "comme un petit coquilla- ge sur la tête". L'évocation ou la comparaison servent à caractériser l'ob- jet qui l'a séduite.

Chez elle, l'ouverture au monde extérieur se manifeste par une atten- tion de plus en plus sensible aux qualités spécifiques des objets. Elle s'intéresse aux objets pour leurs qualités particulières. Elle se laisse imprégner et séduire par leurs qualités singulières. Chaque spécimen de ses collections a été recueilli avec une attention individuelle. Elle ne con- serve et ne donne que des objets choisis.

Les quêtes esthétiques de Catherine consistent principalement à ra- masser et à s'approprier des petits objets rencontrés au hasard. Elle

les remarque, les emporte et en découvre les subtilités en les manipulant. Le tableau 2 représente de façon schématique les portraits esthéti- ques de Maryvonne et de Catherine.

Si les deux sujets présentent des types très différents, des similitu- des apparaissent dans les grandes étapes de leur développement esthétique. Pour toutes les deux, 1'exploration et la sensation sont le premier mode de

relation esthétique avec les objets extérieurs. Que ce soit principalement par le mouvement ou par le toucher, MMM et CCC éprouvent les qualités des objets en allant à leur rencontre et en les assimilant à leurs scènes d'ac-

tion. Le plaisir du contact sensible avec les objets éveille leur récepti- vité et les incite à continuer ou à répéter leurs explorations. Toutes deux se familiarisent avec les objets de l'environnement, les reconnaissent, s'y attachent et les investissent de sentiments. Pour toutes les deux, des vêtements doux ont été l'objet de relations privilégiées (le gilet doux-doux et les pantoufles en lapin). MMM et CCC ont, tour à tour et chacune à leur manière, collectionné feuilles, fleurs, coquillages, cailloux, glands, cô- nes. Toutes les deux ont décrit les qualités des objets. La couleur, la forme, la taille et la texture sont souvent mentionnées en parlant des ob- jets ou en inventant des contes. Les descriptions font souvent appel à des comparaisons et à des évocations. Les qualités formelles des objets leur valent parfois d'être transformés au cours de jeux symboliques (le tiroir,

la coquille d'asclépiade, la feuille de chou). La sensation s'accompagne de création de sens symbolique. Catherine et Maryvonne ont parcouru des itiné-

raires différents, mais leur développement a été marqué par les mêmes princi- pes directeurs.