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Deuil et changement

Dans le document P sychologiedu manager (Page 80-86)

Le changement est au cœur du parcours managérial. Celui-ci peut être un moment de rupture, soudain, identifiable dans le temps ou un processus plus graduel, à base de réajustements successifs. Crise ou opportunité ? La pers-pective de devoir changer se heurte souvent à des résistan-ces dont l’intensité témoigne de l’importance des enjeux pour la personne. Le changement, surtout quand il est imposé de l’extérieur ou décrété soudainement, génère, de façon plus ou moins importante, des pertes de repères, du stress, de la frustration, voire de la peur, liés à l’incertitude d’une nouvelle situation. Il demande à la personne de faire un effort de restructuration, impacte l’image qu’elle a d’elle-même et sa représentation du monde. Le change-ment représente aussi une prise de risque puisqu’il faut quitter un territoire connu pour aller au moins partiellement vers l’inconnu ; il nécessite un effort d’adaptation compor-temental, cognitif, émotionnel, voire identitaire. Il introduit des modifications dans la relation avec les autres. Le

chan-gement se heurte aussi à des résistances de l’ensemble du système dans lequel évolue la personne et qui est le plus souvent attaché à la défense d’un statu quo (changer néces-site ainsi parfois pour la personne de changer d’environne-ment). Néanmoins, pour pouvoir évoluer vers autre chose, il faut nécessairement abandonner certains facteurs d’atta-chement à une situation.

Parvenir à faire ses deuils

L’individu fait, à un moment donné, l’expérience d’une situation de rupture par rapport à des investissements professionnels passés dont il a parfois du mal à se dégager pour se tourner vers de nouveaux projets : réorganisations, changement ou évolution de poste, nouveau périmètre ou nouveau chef, nouvelles technologies, perte d’emploi, changement de vie, etc. Ainsi de ce manager, forcé de quit-ter son entreprise et qui accepte un poste qui, pense-t-il, n’est pas à la hauteur de ces ambitions et qui vit dans une idéalisation démobilisatrice du poste précédent et du temps d’avant. Ces difficultés à lâcher prise traduite par l’expres-sion populaire, « il n’a pas fait son deuil » renvoient à l’importance d’un travail psychique de « digestion » de l’expérience à faire par la personne. Le champ thérapeuti-que nous rappelle thérapeuti-que le deuil (du latin, dolere, souffrir) est un processus qui permet de s’adapter aux changements qui surviennent dans une vie. Ce processus s’accompagne d’un mal-être provoqué par la disparition des attachements passés ; il s’accompagne d’un cortège de sentiments et d’émotions (peur, refus, colère, culpabilité, repli sur soi, envie de vengeance, tristesse, etc.) qu’il est utile de recon-naître pour ouvrir la voie et faciliter un changement. Le travail de deuil permet ainsi de se libérer en abandonnant les investissements passés pour réinvestir son énergie sur de nouveaux projets.

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Mes étapes du deuil

Le champ clinique s’est intéressé aux caractéristiques de ce processus de deuil dont semblent émerger des niveaux suc-cessifs et relativement homogènes de progression. E. Kübler-Ross (1975)1 décrit ainsi les différentes phases que traverse un malade, atteint d’un cancer avant d’accepter sa maladie.

Elle distingue des phases successives de déni, colère, mar-chandage, dépression et, finalement, d’acceptation :

– le déni ou refus : il s’exprime sur le mode de : « Pas moi, pas possible » et sert d’amortisseur devant le risque de choc pour la personne. Les stratégies utilisées sont la fuite, la mini-misation de la perte, le silence, le surinvestissement dans le travail ;

– la colère : « Pourquoi moi, c’est pas juste. » Elle exprime le sentiment d’injustice ressenti et peut donner lieu à des mani-festations d’agressivité sur l’environnement professionnel, social, familial ;

– le marchandage : cette phase s’exprime sous la forme de scénarios sur le mode du « et si… » ou « si seulement » et représente une autre tentative de refuser ou combattre la perte ; la personne passe en revue ce qui aurait pu être fait sur le mode du regret ou de la culpabilité ;

– la dépression ou tristesse : « Je ne m’en sortirai pas, à quoi bon ? » Repli sur soi, isolement, un désinvestissement de l’environnement avec pleine conscience de la perte sont au premier plan. Cette phase s’accompagne de sentiments de dévalorisation et de pessimisme ;

– l’acceptation : « C’est dur mais… » Acceptation du réel et décision de faire face à la nouvelle situation avec baisse de la culpabilité, de la peur, pardon de soi et de l’autre. C’est une phase de réinvestissement de l’environnement et de 1. Kübler-Ross E (1975). Les Derniers Instants de la vie, Genève, Labor

et Fides.

découverte de nouvelles possibilités, des « cadeaux cachés » qu’apporte la situation.

Chaque personne réagira, bien entendu, différemment par rapport à un changement en fonction notamment du contexte et de sa personnalité mais cette analyse fournit un cadre de référence générique pour penser l’impact pour la personne de situations de changement.

Conclusions managériales

Perception d’une crise ou d’une opportunité, le change-ment peut générer des pertes de repère, des incertitudes, voire des peurs, qu’il faut reconnaître et auxquels il faut se préparer.

Donner du temps au temps

Plus le changement est profond, plus il demande un effort de reconfiguration et de préparation important pour s’adap-ter. La reconnaissance pour le manager de la nécessité d’un travail de deuil pour imposer un changement est impor-tante. Elle peut lui permettre d’anticiper, de mieux comprendre et d’accompagner les réactions de ses équipes.

Devant un nouveau projet, une nouvelle manière de faire, on peut s’attendre à des réactions de peur, de rejet, de scep-ticisme, de colère… auxquelles il faut donner le temps de s’exprimer en comprenant qu’elles sont l’expression d’un deuil en train de se faire.

Prise de recul et lâcher prise

Par rapport à lui-même, le changement nécessite une prise de recul et un examen de ses aspirations, qui n’est pas souvent facile à réaliser. Le coaching individuel de mana-gers nous montre souvent que l’expression de leur potentiel

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

est freinée par des deuils non faits ou incomplets : deuils non faits de la perfection, de ce qu’ils auraient pu être dans une autre vie, d’un diplôme, d’une chance, d’une promo-tion qu’ils n’ont pas eus, etc. Ces ressentis les empêchent de sortir de comportements strictement défensifs, de s’investir sans peur, ambivalence ou regret dans un nouveau projet ou un nouvel environnement. Le change-ment demande un lâcher-prise, une libération d’attache-ments passés pour pouvoir affronter les incertitudes et les opportunités d’une nouvelle situation. La personne a parfois l’impression (fausse) qu’elle ne sait faire que ce qu’elle fait (d’autant plus qu’elle en retire satisfactions et validations) et ne peut pas visualiser facilement une situa-tion différente dans laquelle ses compétences pourraient s’exprimer autrement. Paradoxalement le surinvestisse-ment dans un travail (généralesurinvestisse-ment encouragé et valorisé par l’entreprise) peut être un facteur de fragilisation de l’individu en réduisant son champ d’action dans d’autres domaines d’intervention possibles (vie personnelle, fami-liale, sociale…) et en rendant le travail encore plus essen-tiel à son identité. La dynamique de changement, qui peut être plus ou moins graduelle est donc favorisée par une prise de recul, une prudence par rapport à la tentation symbiotique avec l’entreprise et une interrogation sur ses motivations.

Ce processus, dans lequel de nouvelles pistes de sens émergent, peut donner à son tour la confiance et la force de se libérer d’une situation passée pour pouvoir affronter les incertitudes et les opportunités d’une nouvelle aventure.

Voir aussi

Mécanismes de défense – L’approche systémique.

Pour aller plus loin

KÜBLER-ROSS E (1975). Les Derniers Instants de la vie, Genève, Labor et Fides.

Ce qu’il faut retenir

• Crise ou opportunité, la perspective de changement génère, à différents degrés, des pertes de repère, de l’incertitude, voire du stress et de la frustration.

• Le changement nécessite un travail de deuil pour se libérer d’attachements passés et se tourner vers de nouveaux pro-jets.

• S’inspirant du champ thérapeutique, ce travail de deuil peut se concevoir comme un processus en cinq étapes : déni, colère, marchandage, tristesse, acceptation.

• La reconnaissance de ces processus peut permettre au manager de mieux gérer ces situations de changement tant pour ses équipes que pour lui-même.

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Le manager

Dans le document P sychologiedu manager (Page 80-86)