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CHAPITRE III : ÉTUDE DE L’ASSOCIATION DE POLYOXOMÉTALLATES

III.3. Étude de la complexation de Th(IV) par le polyanion trivacant

III.3.3. Description structurale du composé (10) 109

Le composé (10) cristallise dans une maille triclinique de groupe d’espace (a = 23,1620(10) Å, b = 23,1674(11) Å, c = 38,8726(15) Å, α = 83,470(2) °, β = 86,9896(18) °, γ = 60,3900(17) °, V = 18017,3(13) Å3

). La structure est assez surprenante, puisque nous ne retrouvons pas le précurseur initial {AsVW9O34}. De fait, le

système moléculaire est composé de six entités {α-AsVW10O38} stabilisées par quatre

motifs {Th3As2On} (avec n = 25 ou 26). Les six briques {α-AsVW10O38} sont positionnées

au sommet d’un octaèdre. Quatre des huit faces de ce polyèdre sont occupées par les entités {Th3As2On}, dont le barycentre est disposé aux sommets d’un tétraèdre (Figure III.

25).

Figure III. 25 : Représentation (a) polyédrique, (b) polyédrique et bâton-polyèdre et (c) schématique du composé (10).

Les six unités polyanioniques [α-AsVW10O38]11- observées au sein de ce composé

sont di-vacantes et proviennent d’un réarrangement atomique du précurseur trivacant [B-α-AsVW9O34]9- initialement utilisé au cours de la synthèse. Cette modification

importante de l’entité polyanionique, tant du point de vue de la nucléarité que du caractère isomérique, peut s’expliquer certainement par le domaine de pH utilisé lors de la synthèse. Le précurseur polyanionique [B-α-AsVW9O34]9- obtenu à pH = 8, est utilisé pour la

synthèse du composé (10) dans une solution aqueuse à pH = 4,75 (tampon acétate). Au sein de la chimie des polyoxométallates, une telle acidification entraîne généralement un mécanisme de condensation. {WO6} O Th(IV) {AsO4} (a) (b) (c)

Dans le cas présent, ce processus coïncide également avec une décomposition partielle du précurseur trivacant et à sa réorganisation, autour de l’unité tétraédrique AsVO4, en une espèce plus stable dans ces conditions et condensée à 10 atomes de

tungstène autour du cation As(V) central.

A titre de comparaison, des travaux antérieurs menés par Proust et al. en 2006,14 ont montré qu’un fragile équilibre existe entre les entités [A-α-AsV

W9O34]9- et

[α-AsVW11O39]7- et qu’en solution aqueuse à un pH voisin de 5, un réarrangement

structural est possible.15 En considérant la valeur du pH de 4,75 de la synthèse (= pKa (CH3COOH/CH3COONa)), il apparait probable que la conversion d’une entité

[AsVW9O34]9- en [AsVW10O38]11- observée dans le composé (10) puisse se réaliser (Figure

III. 26).

Figure III. 26 : Représentation polyédrique de (a) [B-α-AsVW9O34]9-, de (b) [α-AsVW10O38]11- et de

[β-AsW11O39]7-.

Les douze atomes de thorium(IV) de l’entité moléculaire sont répartis au sein de quatre motifs {Th3As2On} (avec n = 25 ou 26) (Figure III. 27).

Figure III. 27 : Représentation polyédrique d’un motif {Th3As2On} (avec n = 25 ou 26).

Ces quatre fragments sont constitués de trois atomes de thorium interagissant deux à deux par l’intermédiaire de deux unités tétraédriques AsV

O4. Trois de ces motifs offrent

une configuration similaire (Figure III. 28).

{WO6} O {AsO4} (a) (b) (c) O Th(IV) As(V)

Figure III. 28 : Représentation bâton-polyèdre des motifs (a) {Th3As2On}-1, (b) {Th3As2On}-3 et (c)

{Th3As2On}-4. Les traits verts représentent les liaisons Th-OPOM, les traits jaunes les liaisons Th-OAs et les

traits bleus les liaisons Th-OH2O et As-OH2O. Les chiffres romains entre parenthèses représentent les nombres

de coordination des atomes de thorium.

Les fragments notés {Th3As2O25}-1, {Th3As2O25}-2 et {Th3As2O25}-3 possèdent

chacun un atome de thorium(IV) en coordinance VII (Th2, Th9 et Th10) adoptant une configuration de prisme mono-capé. Ces atomes sont liés aux entités polyanioniques par cinq atomes d’oxygène (dTh-OPOMcomprises entre 2,298(15) Å et 2,493(12) Å) et aux unités

{AsO4} par deux atomes d’oxygène (dTh-O comprises entre 2,3134(14) Å et 2,37(2) Å).

Les deux autres atomes de thorium(IV) des fragments {Th3As2O25}-1,

{Th3As2O25}-2 et {Th3As2O25}-3 sont en coordinance VIII et adoptent une géométrie

classique d’antiprisme à base carrée. Ils sont liés aux entités polyanioniques [α-AsVW10O38]11- via cinq atomes d’oxygène (avec des distances comprises entre

2,319(15) Å et 2,53(2) Å) et sont en interaction avec les unités {AsO4} par l’intermédiaire

de deux atomes d’oxygène pontant (avec des distances comprises entre 2,27(3) Å et 2,43(2) Å). Leurs sphères de coordination sont complétées par une molécule d’eau (dTh- -OH2O comprises entre 2,65(2) Å et 2,70(2) Å).

Le dernier motif {Th3As2O26} se distingue par la géométrie archimédienne de type

antiprisme à base carrée, adoptée par les trois atomes de thorium(IV) avec une coordination de VIII (Figure III. 29). Chaque atome de thorium(IV) est lié aux entités polyanioniques [A-α-AsVW10O38]11- par cinq atomes d’oxygène pontant

(dTh-OPOMcomprises entre 2,31(2) Å et 2,45(2) Å) et aux unités AsO4 via deux atomes

d’oxygène (dTh-O comprises entre 2,29(3) Å et 2 ,37(2) Å). Une molécule d’eau vient

compléter la sphère de coordination de ces atomes de thorium(IV) (dTh-OH2O comprises entre

2,69(3) Å et 2,77(3) Å). {Th3As2O25}-1 {Th3As2O25}-2 {Th3As2O25}-3 Th1 (VIII) Th2 (VII) Th3 (VIII) As(V) Th(IV) O Th7 (VIII) Th8 (VIII) Th9 (VII) Th10 (VII) Th11 (VIII) Th12 (VIII) (a) (b) (c)

Figure III. 29 : Représentation bâton-polyèdre du motif {Th3As2O26}. Les traits verts représentent les liaisons

Th-OPOM, les traits jaunes les liaisons Th-OAs et les traits bleus les liaisons Th-OH2O et As-OH2O. Les chiffres

romains entre parenthèses représentent les nombres de coordination des atomes de thorium.

Il est surprenant qu’une molécule aussi symétrique cristallise dans un groupe d’espace . En examinant la différence entre les trois groupements {Th3As2O25} et le

quatrième groupement {Th3As2O26}, on peut supposer que la molécule d’eau

supplémentaire de ce dernier vient briser la symétrie du composé, empêchant sa cristallisation dans un groupe d’espace de symétrie plus élevée.

La présence des fragments {Th3As2On} (avec n = 25 ou 26) du composé (10),

contenant des groupements tétraédriques AsVO4 vient appuyer la décomposition partielle

du précurseur arsénotungstique. A notre connaissance, le composé (10) est le premier polyoxométallate présentant une association de cations Th(IV) et As(V) au sein d’un même composé moléculaire. La présence de 12 atomes de thorium au sein du polyanion en fait également le système moléculaire incorporant le plus grand nombre d’atomes de thorium décrit dans la littérature à ce jour.

Cette molécule présente un système « hôte-invité » qui peut être décrit en considérant que la partie polyanionique du composé (10) (c’est-à-dire les unités {AsW10O38}) et les fragments {Th3As2On} (avec n = 25 ou 26) forment une cavité « hôte »

au sein de laquelle viennent se loger des cations potassium « invités » (Figure III. 30).

Figure III. 30 : Représentation bâton-polyèdre du composé (10). Les sphères compactes roses représentent

As(V) Th(IV) O Th5 (VIII) Th4 (VIII) Th6 (VIII) {Th3As2O26}

Ce cluster invité est constitué de quatre atomes de potassium bien localisés (Figure III. 31). Trois d’entre eux (K1, K3 et K4) possèdent une coordinance VII (avec des distances K-O comprises entre 2,679(2) Å et 3,223(2) Å). Le dernier atome de potassium K2 a une coordinance IX (avec des distances comprises entre 2,75(2) Å et 3,29(2) Å). Cet atome de potassium K2 est également en interaction avec les trois autres centres potassium, alors que les atomes K1, K3 et K4 n’interagissent pas les uns avec les autres.

Figure III. 31 : Représentation (a) polyédrique et (b) bâton-polyèdre du cluster central de K. Les chiffres romains entre parenthèses représentent le nombre de coordination.

Sur la base des observations structurales, ce cluster de potassium pourrait jouer le rôle de matrice pour la stabilisation de l’espèce polyanionique hautement condensée.

Dans la chimie des polyoxométallates il est classiquement observé que la cohésion des architectures moléculaires soit assurée par l’intercalation de cations alcalins. Dans le cas du composé (10), le réseau cristallin est maintenu par la présence de cations potassium supplémentaires (Figure III. 32). Les cations K5, K6 et K7 sont présents à taux plein tandis que le cation K8 est présent à taux partiel (0,50). Ces 3,5 cations lient ensemble les fragments polyanioniques via des ponts oxygène (avec des distances K-O comprises entre 2,66(2) Å et 3,42(2) Å) selon la direction [001] pour générer un assemblage de chaines infinies alternant les cations potassium avec les espèces polyanioniques.

Au sein de ces chaînes, on observe une séquence A-B-A-B des cations potassium interagissant avec les molécules polyanioniques, ayant lieu entre deux paires K5-K6 et deux paires K7-K8. Dans les deux autres directions [100] et [010], les chaînes susmentionnées n’interagissent qu’avec des cations sodium (certains d’entre eux ayant des taux d’occupation partiels) avec des distances très variables en raison de ces taux d’occupation et de désordres avec les molécules d’eau présentes dans le réseau.

La résolution structurale a permis d’attribuer 53 molécules d’eau visibles à la périphérie des motifs moléculaires du composé (10).

K3 (VII) K1 (VII) K4 (VII) K2 (IX) K4 (VII) K1 (VII) K3 (VII) K2 (IX) O K {AsO4} (a) (b)

Figure III. 32 : Représentation bâton-polyèdre de l’agencement tridimensionnel du composé (10) selon de la direction [001].

L’analyse structurale par diffraction des rayons X a ainsi permis d’établir une formule générale du type :

K3,5Na34,5[K4{Th3(H2O)3(AsO(µ2-O)3)2}{Th3(H2O)2(AsO(µ2-O)3)2}3(AsW10O38)6]∙53H2O.

L’ensemble des charges cationiques et anioniques est récapitulée dans le Tableau III. 11.

Tableau III. 11 : Bilan des charges du composé (10) d’après l’analyse par diffraction des rayons X.

Formule (DRX) :

K3,5Na34,5[K4{Th3(H2O)3(AsO(µ2-O)3)2}{Th3(H2O)2(AsO(µ2-O)3)2}3(AsVW10O38)6]∙53H2O

Charges positives Charges négatives

Nombre Cations Nombre Anions

7,5 K+ 6 AsVW10O3811-

34,5 Na+ 24 O2-

12 Th4+

8 AsO2+

∑ = 106 ∑ = 114

Différence : déficit de 8 charges positives

Nous constatons un déficit de 8 charges positives manquantes afin d’obtenir la neutralité du système cristallin. Elles ont été attribuées arbitrairement à des cations Na+, qui n’ont pas pu être localisés dans le réseau cristallin du composé. Cela n’est pas surprenant compte tenu de leur très faible densité électronique combiné à un possible désordre avec les molécules d’eau du réseau.