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2 RÔLE DES DONNÉES PROBANTES ET DES MODÈLES D’ÉVALUATION INTÉGRÉE (MEI)

2.2 Utilisation des MEI dans le processus de prise de décision : le cas canadien

2.2.1 Descriptif des MEI et utilisation politique

Différents types de modèles sont employés pour guider les décideurs politiques dans leurs interventions climatiques et pour évaluer le cout social du carbone (CSC). Les deux principaux sont les modèles d’équilibre général calculable (MEGC) et les modèles d’évaluation intégrée (MEI) (Dellink et Lanzi, 2016). Bien que grandement similaires dans leur structure, ces deux modèles se distinguent sur plusieurs points. Ces distinctions sont étayées dans la section qui suit.

Modèle d’équilibre général calculable (MEGC)

Les modèles d’équilibre général calculable (MEGC) sont d’abord et avant tout un outil d’analyse microéconomique. Ceux-ci se définissent par les trois termes qui composent son appellation. Premièrement, ils sont dits « calculables », car ils sont numériques et emploient des données quantitatives. Deuxièmement, ils sont « général », car ils permettent de représenter avec précision l’ensemble des interactions économiques d’un lieu donné. Troisièmement, ils sont en « équilibre », car ils permettent d’obtenir un prix équilibré entre l’offre et la demande des divers marchés. Cette notion d’équilibre est possible parce que les MEGC simulent l’ensemble des interactions économiques en même temps. (Commission de l’écofiscalité du Canada, 2015)

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Les MEGC se base sur une matrice de comptabilité sociale (Commission de l’écofiscalité du Canada, 2015). C’est à partir des données provenant de cette matrice que les MEGC parviennent à produire différents scénarios. Ces scénarios détaillent l’ensemble des comportements et des relations entre les différents acteurs d’une économie. De plus, ils offrent une représentation complète de la dynamique des divers secteurs d’activité de l’économie (Commission de l’écofiscalité du Canada, 2015). Ce faisant, selon la structure de chaque modèle utilisé, il est possible d’obtenir une représentation exhaustive de l’économie nationale et internationale.

Les MEGC sont notamment utilisés pour comparer les résultats de différentes politiques ou ententes internationales (Commission de l’écofiscalité du Canada, 2015). Ces modèles sont aussi utilisés dans le contexte de la lutte contre les changements climatiques. En effet, ils permettent d’analyser les différentes options d’intervention de réduction des émissions de GES et d’en évaluer les impacts dans les secteurs de l’économie (Commission de l’écofiscalité du Canada, 2015; Dellink et Lanzi, 2016).

Modèles MEI

Il existe une « pléthore » de MEI (Dellink & Lanzi, 2016). Les modèles les plus connus sont DICE, FUND et PAGE(Dellink & Lanzi, 2016). Les propositions de définition des MEI sont nombreuses dans la littérature (Ambrosi et Courtois, 2004). Les MEI sont utilisés dans plusieurs domaines scientifiques qui abordent l’enjeu des changements climatiques. Cette utilisation diversifiée des MEI contribue à la multiplication des définitions de ce modèle (Beck, 2017). Inspiré de Beck (2017), le tableau de l’annexe 2 montre différentes définitions issues de la littérature.

Ces définitions suggèrent que les MEI sont une représentation mathématique du climat et des activités humaines. Ces modèles ont comme objectif de modéliser les interactions qui existent entre le système économique et l’environnement biophysique de la Terre (Nordhaus, 2011a). Plus spécifiquement, les MEI produisent une représentation partielle du monde, réelle ou idéalisée, afin de simplifier l’analyse de l’enjeu (Beck, 2017).

Les trois termes qui composent son appellation sont représentatifs de cette structure d’interrelation entre l’économie et le climat. Les termes « évaluation intégrée », ou « Integrated assessment (IA) » en anglais, réfèrent à un processus d’analyse par lequel les connaissances de différents domaines scientifiques sont combinées dans le but d’atteindre un objectif commun (Greenstone, Kopits et Wolverton, 2013; Nordhaus, 2013b; Parson, 1995). Ce terme générique est notamment utilisé dans le contexte des changements climatiques. En effet, les impacts de multiples secteurs d’activité sont souvent mis en relation afin d’obtenir une vision holistique de l’enjeu (Watkiss, Downing et Dyszynski, 2010). C’est spécifiquement ce

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à quoi fait référence Parson et Fisher-Vanden (1997) lorsqu’ils abordent la notion de dimension horizontale. Cette dimension horizontale fait référence à la dynamique existante entre les changements climatiques et d’autres problèmes sociaux auxquels font face les décideurs politiques. Les MEI inscrivent donc les changements climatiques dans un processus holistique de prise de décision. Les données du système biogéophysique et socioéconomique qui composent les MEI sont à la base de l’évaluation intégrée produite par les MEI. C’est par la mise en interrelation de ces données que les MEI illustrent la dynamique des changements climatiques. La figure 2.1 illustre, de manière générale, la relation entre les composantes socioéconomiques et climatiques présente dans les MEI.

D’une part, ils évaluent comment les activités économiques, par l’émission et l’accumulation de GES, affectent le climat en provoquant des variations climatiques (Nordhaus, 2011a). D’autre part, à l’aide d’une fonction de dommage, ils évaluent également comment les impacts des changements climatiques perturbent à leur tour les activités économiques des sociétés. Les interactions de ces systèmes sont modélisées par l’entremise d’équations mathématiques. Ces équations sont calibrées à partir d’études empiriques, ainsi qu’à l’aide d’hypothèses et de théories présentes dans la littérature (Beck, 2017). Tel que conclut par différentes études, la structure mathématique unique à chaque modèle rend difficile la comparaison de leurs résultats (Greenstone et al., 2013; Nordhaus, 1993; Pindyck, 2013). Finalement, le terme « modèle » constitue la structure mathématique de mise en interrelation de variables quantitatives. C’est cette structure qui permet d’établir une relation de causalité entre les sources d’émissions de GES,

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le système climatique et les impacts climatiques subits. L’appellation des MEI est donc le résultat de la combinaison de trois éléments, soit modèles d’évaluation intégrée (MEI) (Clarke et al., 2014; Nordhaus, 2011b).

Retour historique

Les MEI ont fait leur apparition dans les années 1970 dans le but de supporter les décideurs qui étaient confrontés aux premiers problèmes environnementaux (Weyant et al., 1996). Le premier MEI a été utilisé pour venir en aide aux décideurs sur l’enjeu des pluies acides. Le modèle Regional Acidication and

Information Simulation (RAINS) mettait en relation les causes et les effets des précipitations de pluies

acides. Lors de négociations internationales sur le sujet, ce modèle a permis d’évaluer les différentes propositions de réglementation à l’égard du contrôle des émissions de soufre (Beck, 2017).

Subséquemment, les MEI construits pour l’enjeu des changements climatiques avaient d’importantes limitations. Ils se limitaient à certaines régions géographiques, à certains types d’impact ou à certains types d’émission précis (Beck, 2017). Cependant, les apprentissages découlant de ces premiers modèles ont été bénéfiques au développement de nouveaux modèles plus robustes.

À la fin des années 1980, la capacité des modèles s’est considérablement accrue grâce aux avancées informatiques et aux recherches sur le sujet (Beck, 2017). Ces développements importants du début des années 1990 ont provoqué une importante augmentation de l’utilisation de ces modèles. L’enjeu des changements climatiques était au cœur de ces développements. L’augmentation du nombre de MEI et de projections réalisées en a fait l’outil le plus rependu pour évaluer les changements climatiques, précise Weyant (1996).

En raison de la volonté de la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) d’obtenir ces informations, les MEI ont gagné en acceptabilité auprès des gouvernements. Ils ont été reconnus progressivement comme un outil efficace pour fournir des données probantes pour les décideurs politiques dans le contexte des changements climatiques (Weyant et al., 1996). L’intérêt du domaine académique et de la sphère politique pour ce type d’information a augmenté de façon considérable. Durant cette période de temps, les nombreux investissements et avancées dans le domaine des sciences climatiques ont eu pour effet d’augmenter le nombre de MEI. Durant les 25 dernières années, bien que de nombreux modèles aient été constamment actualisés, d’autres sont progressivement devenus désuets (Beck, 2017).

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Actuellement, il existe approximativement une trentaine de MEI utilisés dans le monde (Beck, 2017; Weyant, 2017). Ceux-ci sont détenus majoritairement par le domaine académique ou des institutions de recherches non gouvernementales. Chaque modèle est caractérisé par une structure mathématique unique, configuré selon les variables endogènes utilisées (Beck, 2017).

Les MEI ont historiquement joué un rôle crucial dans la relation unissant la science et la politique (relation science-politique) en ce qui a trait à l’intervention des gouvernements dans la lutte contre les changements climatiques. Ce retour historique a permis de comprendre la cause et le contexte dans lequel ce type de modèle a été développé.

Distinction entre MEGC et MEI

Les MEGC et les MEI sont des outils d’analyse similaires puisqu’ils utilisent le même processus d’analyse. Tous deux misent sur le concept d’équilibre général. Deux éléments les distinguent néanmoins. La première distinction provient du niveau d’interaction entre les composantes climatiques et économiques. Les MEGC se limitent à modéliser l’impact des activités humaines sur le climat. Pour leur part, les MEI modélisent, en plus des impacts des activités humaines sur le climat, la rétroaction des impacts des changements climatiques sur l’économie.

La seconde distinction entre les deux types de modèles est l’utilisation de différentes échelles temporelles. En effet, les MEI sont conçus pour simuler des projections à long terme. Leurs projections peuvent facilement atteindre la fin du 21e siècle. Les simulations sont moins précises sur l’aspect économique que

celles des MEGC. Pour leur part, les MEGC ont une portée temporelle plus courte, soit de quelques décennies. Ceux-ci sont limités aux informations fiables et très détaillées de l’évolution prévues des secteurs de l’économie.