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Des ressorts multipliés : la diversité maçonnique

IMPLANTATION PRÉCOCE ET PÔLE MAJEUR : L’ART ROYAL DANS LA CITÉ BORDELAISE AU XVIIIE SIECLE

III- Un paysage maçonnique multiple : prolifération et polarisation

1- Des ressorts multipliés : la diversité maçonnique

La fraternité bordelaise s’enracine et se propage largement tandis que les loges constituées voient leurs effectifs augmenter. L’offre maçonnique explose au sein de l’orient bordelais au cours de cette décennie pré-révolutionnaire et se pérennise malgré des disparitions ou des échecs. Diversité d’obédiences, influences extérieures et parisiennes se rencontrent et se confrontent dans la capitale de Guyenne. Ce phénomène est à considérer en parallèle avec la croissance démographique et économique considérable de la cité provinciale1.

« La coexistence allait rarement sans écueil, d’autant que, très souvent, l’un des ateliers était issu de l’autre par suite d’une scission plus ou moins tapageuse »2. Les relations entre l’Harmonie et l’Amitié et leurs conséquences à l’échelle de l’orient bordelais illustrent ces tensions.

De nouvelles loges expérimentent la difficile reconnaissance de leur légitimité en ces temps de restructuration de l’obédience centrale parisienne tandis que les loges installées doivent répondre à la nécessité d’obtenir leurs reconstitutions. Les tensions entre les obédiences centrales se répercutent en province : le Grand Orient de France, la Grande Loge de Clermont ou des obédiences étrangères dont les exemples sont nombreux dans la décennie 1780.

-La Saint Esprit

La loge Saint Esprit s’affirme dès sa naissance comme une loge à l’écart de la vie maçonnique locale mais qui réussit à s’attacher des fidélités. La place du frère Degrange, qui se dit initié depuis 1769 aux mystères de l’Art Royal et relève d’un parcours

1 Butel P., Poussou J.-P., La vie à Bordeaux au XVIIIe siècle, op. cit.

maçonnique mouvementé, se remarque dès les débuts de l’atelier et ce frère concentre les objections des loges régulières. La majorité des connaissances concernant cet atelier sont le fait du livre d’architecture, conservé à la Bibliothèque Nationale de Minsk. Il permet de reconstituer le cours de cette loge, le nombre de tenues, leurs dates, il donne à connaître quelques frères qui la composent si ces derniers sont relevés sur les procès-verbaux1.

La loge est constituée par la Grande Loge de France le 7 juin 17702, ce qui initie la rédaction d’un règlement de neuf articles3. Celui-ci est présenté aux frères le jour de la fête de la Saint-Jean d’été qui se tient trois semaines plus tard et réunit l’ensemble des frères. L’un des premiers points est la régularité souhaitée pour les réunions de la loge qui doivent se tenir tous les premiers dimanches de chaque mois, suivies par le banquet de la loge. Cette fréquence est dépassée pendant les premières années de son existence. Entre juin et décembre 1770, la loge se réunit deux à quatre fois par mois. Il en est de même au cours de l’année 1771, où trente tenues réunissent les frères. Dès 1772, l’atelier marque le pas, tant en nombre de tenues que de frères présents tandis que la loge s’endette. La dernière tenue de cette année 1772 se déroule en juillet, clôturant le nombre de tenues à dix pour l’année, chacune ayant compté sur ses colonnes sept frères au maximum. De fait, la loge tombe en désuétude en 1773 par la dispersion de ses membres. L’atelier reste silencieux au cours de cette année 1773, à l’exception de la réunion le 1er novembre 1773, plus d’un an de sommeil, où il n’est fait uniquement mention que de l’élection du duc de Chartes comme Grand Maître de l’obédience.

Cette existence aléatoire marginalise la loge vis-à-vis des ateliers réguliers de l’orient. Active au début des années 1770, elle se met en sommeil en 17734 pour treize ans « se réservant le droit de la reprendre lorsqu[e les frères] le croiront raisonnable » 5 pour renouer avec son activité maçonnique et reprendre le fil des pages de son livre

1

Bord G., Histoire de la franc-maçonnerie, op. cit., p. 412 : « Saint Esprit […] ces trois loges fondées à des époques inconnues n’ont pas laissé de traces ». Désormais, le registre de la BNB de Minsk permet de revenir sur ces propos et mieux appréhender cette loge bordelaise.

2 Le Bihan A., Loges et chapitres, op. cit., p. 37. 3 BNB Minsk 091/90.

4 Le livre d’architecture conservé à la bibliothèque nationale de Minsk ne mentionne pas de cérémonie particulière pour cette mise en sommeil, il est possible que la seule absence de la majorité des frères décide de ce manque de réunions de la loge qui a été constituée en juin 1770.

d’architecture1. Treize ans plus tard, le 27 avril 1786, huit frères s’étant assemblés dans la résolution de « reprendre les travaux de la loge du Saint Esprit régulièrement constituée […] et pour donner à [leur] union toute la stabilité possible et à [leurs] travaux toute l’activité dont ils seront susceptibles les trois loges d’apprenti, compagnon et de maître ont été successivement ouvertes»2. Parmi ces huit frères, deux appartiennent au noyau primitif de la loge Saint Esprit : Degrange encore, qui entre-temps s’est affilié après Roque à la loge de l’Alliance en 1775, puis en 1779 dans les rangs de l’Étoile

Flamboyante aux Trois Lys dont il est un temps le vénérable, et le frère Beraud, ancien

vénérable de la loge. Ces derniers ont su attirer autour de la loge en sommeil et de leur activité maçonnique de nouveaux membres, pour lesquels sont lus les règlements lors de ces premières tenues de réouverture.

1.3.1 Fréquence des tenues de la Saint Esprit entre 1773 et 1788

Les tendances du recrutement sont élargies et la diversité professionnelle domine parmi les frères. Après la reprise de l’activité maçonnique en juin 1786, des négociants et musiciens se côtoient aux côtés des capitaines de navire. Négociants étrangers, de religion

1 On ne sait où ni par qui a été conservé le livre d’architecture. Par la connaissance des liens étroits qui existent avec l’Étoile Flamboyante aux Trois Lys, il est possible que cette dernière ait pu le conserver dans ses archives. Ou encore auprès d’un des frères actifs dans cette loge comme le frère Degrange qui est toutefois absent de la cité bordelaise entre 1774 et 1775, et qui par la suite prend part à l’aventure de l’Alliance. 2 BNB Minsk 091/167 f°78. 19 30 10 1 46 9 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 1770 1771 1772 1773 1786 1788

protestante, sont accueillis dans cette loge aux côtés de sept musiciens en déplacement qui demandent leur initiation en juillet 17861.

Cet élargissement du recrutement appartient aux dynamiques d’ouverture de l’Art Royal à Bordeaux au cours des deux dernières décennies du siècle des Lumières, qui s’illustrent dans les nouvelles loges qui allument –ou rallument– leurs feux. Dès les premiers mois, la loge Saint Esprit initie ou affilie douze nouveaux membres qui augmentent en théorie les effectifs de cet atelier. Toutefois, au cours des nombreuses tenues, quarante-six entre avril et novembre 1786, les effectifs présents n’excèdent pas quatorze frères réunis. En moyenne, ce sont huit frères qui sont présents aux tenues lors de cette année de reprise. Le nombre de réunions2, les professions et déplacements des frères peuvent expliquer en partie ces faibles effectifs présents.

Cet atelier renaissant s’installe sur les marges de la cité à l’écart des autres loges bordelaises. Cette marginalisation géographique peut être un choix délibéré et pratique pour les membres ou bien une distanciation choisie devant l’hostilité manifestée par les loges régulières de l’orient qui ne reconnaissent pas la Saint Esprit, en dehors de la

Française d’Aquitaine3, qui, par ce choix manifeste ainsi de nouveau sa force autonome

face aux autres loges. De fait, la Saint Esprit s’intègre dans l’espace réticulaire animé par les loges de la Sincérité et de la Famille Unie des Bons Accords qui appartiennent également à l’obédience de la Grande Loge de France, ainsi que par l’Étoile Flamboyante

aux Trois Lys. La loge du Temple à laquelle elle donne son approbation entre également

dans ce sous-espace maçonnique particulier. Ce sont les membres de ces loges qui sont reçus comme visiteurs au cours de l’année 1788, aux côtés de maçons venus de France ou d’Europe. La volonté de dynamisme de la loge s’illustre aussi par l’accueil de visiteurs, tant étrangers que locaux. Les frères visiteurs locaux s’intègrent dans les fractures du paysage maçonnique bordelais : des membres de la Sincérité, quelques frères de la

Française d’Aquitaine passent les portes du temple. Toutefois, les visiteurs permettent à

la loge de rayonner, sans négliger les limites de cette ouverture : ce sont des visites ponctuelles et aux conséquences réticulaires faibles.

1 Les musiciens, hormis les frères à talent, sont refusés dans les loges bordelaises. Leur initiation intervient six ans après l’inauguration de la salle de spectacle du Grand Théâtre.

2 Pour l’année 1786, la Saint Esprit convoque 4 réunions en mai, 8 en juin, 8 en juillet, 5 en août, 6 en septembre, 8 en octobre et 6 en novembre. Le livre d’architecture se conclut par « Porté la continuation du présent livre d’architecture au registre n°2 dont la première page sera collée », BNB Minsk 091/90 f°181. 3 GODF AR 113-2-840 f°2v°.

Cet état des relations maçonniques pérennise le découpage de l’orient bordelais en plusieurs factions. Au total, ce sont quelques dix-sept frères qui sont reçus dans le temple de la Saint Esprit au cours des années 1786-1788. Après neuf réunions qui rythment le début de l’année 1788, la loge Saint Esprit et ses frères déclarent lors de la dernière tenue du 18 mai 1788 qu’il « a été délibéré qu’il serait écrit aux loges de la Sincérité, la

Candeur, le Temple que celle du Saint Esprit avait cessé ses travaux »1. Il semble dès lors qu’après deux nouvelles années d’activité, la loge Saint Esprit se mette à nouveau à sommeil. Certains des frères se retrouvent par la suite cette même année sur le tableau de la loge Étoile Flamboyante aux Trois Lys. Les liens entre les loges se manifestent ici, les frères qui souhaitent poursuivre leur activité maçonnique se dirigent vers les portes du temple de l’Étoile Flamboyante aux Trois Lys qui leur sont ouvertes. Cette préférence qui les mène vers cet atelier, pourtant lui-même en difficulté face au Grand Orient de France, n’est pas justifiée par les frères. Dans l’embarras face aux loges majeures et régulières de cet orient, il semble plus à même d’accepter des membres issus d’une loge constituée par la Grande Loge de France. Seul le frère Degrange, membre fondateur de la loge au parcours atypique, a déjà appartenu quelques années auparavant à la loge Étoile

Flamboyante aux Trois Lys. Ce facteur ne semble pas prégnant dans la décision de ces

dix frères transfuges de demander leur affiliation à l’Étoile Flamboyante aux Trois Lys après la mise en sommeil de la Saint Esprit au cours de l’année 1788.

La Saint Esprit illustre la concurrence des obédiences à Bordeaux et des tendances nombreuses qui divisent le paysage maçonnique bordelais mais ne le ferme pas irrémédiablement. Même si elles sont hostiles ou en tension, les loges se connaissent les unes des autres, échangent ou au contraire s’ignorent délibérément.

-L’Alliance

La loge de l’Alliance apparaît dans le paysage maçonnique local dès 1775, à l’occasion d’un règlement qui est édicté cette année-là pour organiser la société de l’Alliance. Elle présente par la suite une demande des constitutions qui est envoyée à la Chambre des Provinces du Grand Orient de France le 13 juin 1776, demande rejetée

presque trois ans plus tard le 18 février 17791. Un fait notable et peut-être redoutable pour ce nouvel atelier, est la présence du frère Degrange au sein de cette loge, après la première mise en sommeil de la loge Saint Esprit. Son nom apparaît lors de la demande des constitutions au Grand Orient de France2. Le frère Degrange, au parcours maçonnique multiple, suscite contre lui les oppositions des loges régulières et il peut être un argument des refus opposés à l’Alliance par le Grand Orient. Le 26 septembre 1775, l’atelier non constitué prononce ses règlements composés de vingt-huit articles signés par les vingt frères recensés3. Ces règlements qui organisent la vie des frères, l’ordonnance du temple et des banquets sont présentés aux instances maçonniques pour justifier la demande de régularisation. Celle-ci intervient quelques années après les troubles suscités en 1773 par l’apparition de l’Harmonie et l’activité de l’Étoile Flamboyante aux Trois Lys. Dès cette officialisation de ses règlements en 1775, l’atelier renouvelle régulièrement ses demandes de légitimation, : « il y a cinq ans qu’elle désire être constituée »4 affirme-t-elle le 21 mai 1782, mettant sous silence les premières planches de 1775-1776. En 1777, des troubles agitent l’atelier face au secret maçonnique obligatoire devant le regard profane et féminin5.

Ces demandes de régularisation qui se multiplient, restent sans réponse ou rejetées, « sans égard qu’une des plus grandes villes du royaume est fixé au nombre de quatre loges régulières pendant que des villes moins considérables sont favorisées d’un plus grand nombre »6. Les jugements de ces loges de la Française et de l’Harmonie « ont arrêté qu’eu égard à ce que nous n’étions que des artistes et par notre fortune peu propre à contribuer au bien de l’ordre il convenait de nous renvoyer dans nos familles… Nous pouvons vous assurer que depuis dix-sept ans nous avons respecté les règles » alors que « les maçons qui composent depuis de nombreuses années cet atelier régulier quoique non constitué à l’orient de Bordeaux vous exposent leur bonne conduite dans le monde civil et maçonnique »7. Des réunions de l’Alliance se tiennent régulièrement malgré son absence de reconnaissance sur la scène maçonnique locale. Toutefois, la loge de l’Alliance fait

1 Le Bihan A., Loges et chapitres, op. cit., p. 37. 2 GODF AR 113-2- 839 f°4.

3 GODF AR 113-2-816 f°1 à f°11.

4 GODF AR 113-2-721 f°1, cette mention chronologique prend peut-être compte qu’à partir de la réponse de la Chambre des Provinces donc en 1777.

5 GODF AR 113-2-816 f°62-67, année 1777. 6 GODF AR 113-2-816 f°32, 19 juillet 1783. 7 GODF AR 113-2-816 f°34, le 1 avril 1783.

preuve d’un dynamisme qui n’est pas entravé par les obstacles soulevés face à une régularisation incertaine.

1.3.2 Fréquence des réunions de l’Alliance entre 1779 et 1783

Pendant une décennie, réunions, règlements, correspondances et tenues de comptes rythment la vie maçonnique des quelques quarante frères enregistrés sur ses colonnes. En moyenne, ce sont dix à quinze frères qui animent chaque année la loge de l’Alliance et élisent quatorze officiers.

L’année 1784 marque la fin de ses initiatives1 pour être reconnue et régularisée par le Grand Orient qui « a jugé [l’Alliance] inhabile à être jamais constitué[e] »2. Face aux refus de l’obédience parisienne, l’Alliance emploie de nombreux recours, elle destine ses sollicitations au Grand Orient de France tout en menant des demandes auprès du Chapitre provincial des Architectes Africains, au premier qui répondra positivement. Le 22 avril 1779, à l’Anglaise à laquelle les frères ont « demandé [leur] amitié, [leurs] secours et [leurs] lumières dans l’usage que [l’Anglaise] a de les accorder à tous ceux qu’elle en reconnaît dignes », l’Alliance appuie sa supplique par des soutiens que sont la loge la

Fraternité de Langon et la loge militaire de l’Heureux Hasard, qui sont toutes deux des

loges régulières du Grand Orient de France3.

1 En la connaissance actuelle des sources. 2 GODF AR 113-2-816 f°45. 3 GLDF 112-4-5 f°412. 28 41 30 27 14 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 1779 1780 1781 1782 1783

Par la suite, les frères qui composent l’Alliance supplient le 19 mai 1779 le chapitre séant à Berlin « qu’il lui plaise d’accorder sa haute protection et de leur accorder des lettres patentes et constitutions pour rendre ses travaux conformes à ceux des francs et acceptés maçons »1. À cette requête, le chapitre de Berlin répond rapidement : « nous avons érigé dans notre province de France, orient de Bordeaux la Très Respectable loge de Saint Jean de Jérusalem sous le titre de l’Alliance […] nous donnons plein-pouvoirs pour tenir loge d’apprentis, de compagnons et de maîtres »2. En l’espace d’un mois, l’atelier diversifie ses recours de régularisation. Ainsi, la première réponse suffit à l’Alliance qui accepte alors les constitutions venues d’Allemagne. La transmission des constitutions est effectuée par l’Étoile Flamboyante aux Trois Lys, première loge du Chapitre Africain et sœur. Dans la continuité de ces constitutions, la même année, de nouveaux règlements sont pris après la régularisation.

En 1780, la nouvelle loge Aimable Sagesse reconnaît son existence, appartenant aussi à cette mouvance du Chapitre Africain, devenant ainsi la troisième loge incorporée à l’Ordre Royal du Silence des Architectes Africains après l’Étoile Flamboyante aux

Trois Lys et l’Alliance. Cette reconnaissance semble inaugurer une nouvelle ère pour

l’Alliance.

Ces règlements, édictés en juin 1779, se composent de dix articles3 répondant aux nécessités d’organiser la vie du temple, les agapes et les mœurs des frères. Ces constitutions et règlements amènent l’ouverture d’un nouveau livre d’architecture vierge qui représente la nouvelle naissance de l’atelier à la lumière maçonnique. Ce livre d’architecture permet de constater la régularité des tenues et le choix d’un local sédentaire.

À partir du mois de juin 1779, après l’obtention des constitutions du Chapitre Provincial, l’Alliance se réunit à trente-huit occasions jusqu’à la fin de l’année à raison de plus d’une tenue en moyenne par semaine. L’année suivante montre la poursuite de cette régularité des réunions : ce sont quelques quarante-sept tenues qui sont convoquées en 1780, presque une par semaine. En 1781, la fréquence diminue, trente-six tenues seulement sont appelées, trente-trois en 1782 et vingt-sept réunions sont assemblées en

1 GODF AR 113-2-816 f°119, signée par 12 frères. 2 GODF AR 113-2-816 f°118.

1783. Le 2 novembre 1783, la loge déclare son incapacité à obtenir des constitutions du Grand Orient de France alors que sa sœur l’Étoile Flamboyante aux Trois Lys a été reconnue, installée et de nouveau déclarée irrégulière en l’espace de quelques mois au cours de cette année. Cela semble sonner le glas de cet atelier qui s’affaiblit devant la concurrence et la multiplication des ateliers qui tentent d’allumer leurs feux. Cette extinction tient aussi à la présence fraternelle dont le nombre varie et se délite progressivement. Au cours de ces quatre années, la loge compte cinq à dix-neuf frères présents, chaque tenue réunit en moyenne huit frères. Ces variations démontrent les difficultés d’entretenir la vie d’un petit atelier en butte aux hostilités. Durant sa décennie d’existence, ce sont quelques quarante frères qui ont appartenu à l’Alliance. L’atelier regroupe treize frères en 1779, quatorze en 1782, ce qui laisse croire à un maintien mais seuls trois frères sont reconduits sur ces deux tableaux, la pérennité de l’appartenance à l’atelier est faible. En 1783, les effectifs s’accroissent, vingt-quatre membres sont recensés mais ils ne cachent pourtant pas le fléchissement de l’atelier. Parmi ces quarante membres, seulement six frères sont présents pendant quatre ans, constituant dès lors le noyau actif de l’atelier. Ce déséquilibre entre le nombre de frères actifs et les noms reportés sur les tableaux n’est pas étonnant, au gré des venues de certains frères et de leur participation maçonnique, des départs. Quelques frères de l’Alliance, après sa disparition du foyer local, poursuivent leur activité maçonnique au sein d’une autre loge, l’Essence

de la Paix, née en 1787.

-La Sincérité

Le retour d’une loge sous le nom de la Sincérité est caractéristique des agitations qui troublent l’orient bordelais. Cette loge reste en grande partie inconnue, sans que l’on puisse définir si des frères sont présents vingt ans plus tard dans la continuité de la précédente loge éponyme, née en 1765. En 1784, cette loge Sincérité semble installée et reçoit des membres, sans qu’il ne soit fait mention de sa naissance, une fois celle-ci reconnue par la Grande Loge de France. Est-ce toujours la même loge qui renoue avec une activité maçonnique après une mise en sommeil? C’est en tout cas cette loge qui