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Atlantique et rivages américains, la diffusion de la franc-maçonnerie et la place du port de la Lune

RAYONNEMENT DE LA FRANC-MAÇONNERIE BORDELAISE ET DE SES LOGES

III- Atlantique et rivages américains, la diffusion de la franc-maçonnerie et la place du port de la Lune

À l’époque moderne, et plus encore au XVIIIe siècle, une réflexion sur les relations internationales, les perspectives de développement économiques et démographiques du royaume ne saurait se limiter aux frontières maritimes de l’Atlantique ou de la Méditerranée. Les prolongements coloniaux sont intimement associés aux évolutions du royaume de France, et la franc-maçonnerie n’en est aucunement exempte, elle s’approprie ces territoires ultra-marins. Dès 1740, elle est présente dans les colonies ; les hommes en sont des acteurs majeurs et Bordeaux, port extraverti étroitement lié aux espaces antillais et américains est un point nodal de transit des hommes, des marchandises et des idées. L’Atlantique, s’affirme comme un espace traversé par des dynamiques multiples. Empire atlantique, la France possède de nombreuses terres outre-mer.

2.3.1 L’espace antillais au XVIIIe siècle

Bien établie dans l’arc antillais, la France domine les Îles-du-vent, la Martinique et la Guadeloupe depuis le début du XVIIe siècle qui sont occupées plusieurs fois au

cours de la deuxième moitié du XVIIIe siècle par la puissance ennemie britannique, la Grenade depuis 1650, Sainte-Lucie dès 1637. Lors de la paix de Ryswick en 1697, le royaume de France prend pied dans la partie occidentale de l’île de Saint-Domingue qui s’affirme comme la perle des Antilles au long du XVIIIe siècle1. Sur les frontières de cet arc antillais, le royaume de France est présent sur le continent sud-américain en Guyane depuis les premières tentatives d’installation en 1626, et au nord sur le Golfe du Mexique en Louisiane. Cette province louisianaise s’étend entre le Golfe jusqu’aux grands Lacs et la frontière canadienne, et s’étale sur l’ensemble du bassin versant du Mississippi jusqu’aux Rocheuses. Occupée officiellement en 1692, la Louisiane est cédée à l’Espagne en 1763 par le traité de Paris tandis que la rive gauche est laissée aux Anglais et aux tribus indiennes alliées. Restituée par l’Espagne en 1783, l’héritage colonial franco-espagnol reste fort dans cet espace au même titre que les influences maçonniques construites au cours du siècle.

1-Les hommes et l’Atlantique, une relation privilégiée depuis l’espace bordelais au siècle des Lumières

Le commerce colonial participe à la richesse des ports du royaume de France, parmi lesquels le port bordelais se démarque et s’affirme au XVIIIe siècle, lié à son espace colonial et à l’Europe vers laquelle est majoritairement destiné le commerce de réexportation. Cette activité portuaire est favorisée par la mise en place de la législation de l’Exclusif organisé par les lettres patentes de 1717 et 17272. Dès son instauration, le système de l’Exclusif comprend des exceptions accompagnées d’une fraude intense plus ou moins tolérée par les autorités. Le système lui-même évolue au cours du siècle, les lettres patentes de 1717 instaurent un privilège exclusif sur le commerce colonial au bénéfice de treize ports, dont la liste s’étend au cours du siècle jusqu’à concerner tous les grands ports de métropole à la fin du siècle. Ce monopole est battu en brèche dans les colonies devant les nécessités et les aléas des voyages. La fraude est quotidienne et les violations de l’Exclusif tolérées. Depuis l’interdiction de tout trafic direct entre les

1 Bucher C., La lutte pour l’espace Caraïbe et la façade atlantique de l’Amérique centrale et du sud,

1672-1763, Paris, Librairie de l’Inde, 1991.

2 Tarrade J., Le commerce colonial de la France à la fin de l’Ancien Régime, tomes I et II, Paris, PUF, 1972.

Antilles françaises et les colonies étrangères, le commerce interlope est limité mais il prend une extension spectaculaire qui participe à l’essor de Saint-Domingue, suppléant aux approvisionnements insuffisants du négoce français en vivres et en esclaves. Les colonies hollandaises de Saint-Christophe et de Curaçao s’affirment alors comme des bases actives de la contrebande avec les territoires espagnols, anglais et français ; Saint-Eustache, Saint-Thomas et la Jamaïque anglaise complètent ces trafics nationaux en fournissant des esclaves à un prix inférieur au prix de la traite légale ou en achetant des quantités de sucre et d’indigo, violant délibérément les règles de l’Exclusif. Dénoncées par les négociants métropolitains, favorisées par les capitaines et marchands étrangers, hollandais, espagnols ou à la fin du siècle, américains, les violations sont régulières. La fraude est renforcée lors de périodes de guerre qui perturbent les circuits commerciaux traditionnels, avec la diminution du nombre de navires et les limites des convois. Les relations avec les îles sont, de plus, motivées par la nécessité de les ravitailler, de les protéger en temps de guerre et de les approvisionner en armes, munitions et vivres, tout en assurant la protection des convois. En 1744, au cours de la guerre de Succession d’Autriche qui s’étend dans les espaces coloniaux, le Gouverneur des Îles-du-vent, le marquis de Champigny1 autorise le commerce avec l’île hollandaise de Saint-Eustache et Curaçao afin de ravitailler la Martinique et la Guadeloupe devant le retard des convois venus de France2. Au cours de la guerre de Sept ans, la suprématie britannique navale s’affiche, les destructions des flottes françaises ont provoqué l’isolement des îles des Antilles et la conquête par les forces anglaises de l’île de la Guadeloupe dès 1759, puis de la Martinique en 1762. Les deux îles retrouvent la souveraineté française en 1763 et le traité de Paris attribue de plus l’île de Sainte-Lucie, jusqu’alors neutre, à la France. L’Exclusif est nuancé après la guerre de Sept ans alors que les îles ont été occupées par les forces ennemies, et les convois inefficaces, et dès 1767 est mis en place un Exclusif mitigé. La contrebande a assuré en partie la survie des îles pendant les guerres et la diminution, voir l’absence de relations avec la métropole. Les marines française et anglaise font davantage jeu égal pendant la guerre d’Indépendance américaine3 ; l’île de

1 Jacques-Charles Borchart marquis de Champigny commence une carrière dans la Marine royale avant d’être nommé gouverneur de la Martinique entre 1721 et 1728, puis gouverneur des Îles-du-Vent de 1728 à 1748, pendant les troubles militaires.

2 Schnakenbourg É., Entre la guerre et la paix, Neutralité et relations internationales, Rennes, PUR, 2013, p. 289.

3 Tarrade J., « Guerre et économie, les Antilles françaises pendant la guerre d’Indépendance américaine », Butel P. (dir.), L’espace caraïbe théâtre et enjeu des luttes impériales XVI-XIXe siècles, Bordeaux, MPI,

Grenade et la Dominique sont occupées par les forces françaises pendant la guerre. Pendant le conflit, la Guadeloupe est plus touchée par le phénomène de l’interlope, davantage délaissée que les territoires de Martinique et de Saint-Domingue par les convois venus du royaume. Devant les nécessités et les évolutions, l’Exclusif mitigé est régulé et amène une ouverture relative des ports insulaires aux navires étrangers parmi lesquels s’insèrent les bateaux battant le pavillon des jeunes États-Unis. Après cet adoucissement, deux entrepôts sont ouverts aux étrangers, un premier à Saint-Domingue en 1784, et le deuxième à Sainte-Lucie. Si dans les tableaux des loges maçonniques domingeoises, cette ouverture reste limitée, au sein des loges de Sainte-Lucie, occupée un temps par les troupes anglaises, la venue de frères anglais est visible, à l’image de leur insertion dans les réseaux de commerce. Sous l’impulsion des négociants, ces îles deviennent un carrefour de l’interlope1 en relation avec les îles hollandaise de Saint-Eustache, les entrepôts danois de Saint-Thomas2 où un certain nombre de négociants nord-américains de Nouvelle-Angleterre et de Rhode-Island s’installent durant la guerre de Succession d’Espagne et y prirent la nationalité danoise pour commercer librement avec Saint-Domingue ou encore avec les territoires britanniques. Au XVIIIe siècle l’ouverture du marché américain se renforce et se constate par la présence de navires américains et de représentants de maisons dont le siège est établi à Boston, New-York ou Philadelphie et Baltimore. Les commissionnaires des États-Unis, en violant sans problème l’Exclusif qui a pourtant été allégé en 17843, rencontrent alors l’hostilité des négociants de la métropole. À Bordeaux la Chambre de commerce et ses membres élèvent plusieurs manifestations et contestations contre l’exclusif mitigé qui viole leurs intérêts.

L’essor du port de Bordeaux est associé à l’essor des colonies antillaises mais c’est essentiellement Saint-Domingue qui enrichit le commerce bordelais au XVIIIe siècle. Au long de ce siècle, le royaume de France connaît une américanisation de ses échanges commerciaux, loin derrière l’Angleterre à la fin du XVIIe siècle et malgré la perte du Canada en 1763, la France rattrape son retard rapidement, soutenu par la « perle des Antilles » qu’est Saint-Domingue : l’île connaît un trafic de quelques 550 à 600

1 Butel P., Histoire des Antilles françaises, op. cit., p. 76.

2 Schnakenbourg É., Entre la guerre et la paix, op. cit., p. 283-309.

3 En1767 un arrêté crée un entrepôt au port du Carénage à Sainte-Lucie où une loge s’y installe en 1784 sous le nom du Choix Réuni et un au Môle de Saint-Nicolas à Saint-Domingue.

bateaux par an à la fin de l’Ancien Régime. Bordeaux réalise une majorité de ses échanges en droiture car son port est bien ravitaillé depuis son arrière-pays en produits demandés par les colons : dans la décennie 1780 ce sont quelques 250 bâtiments qui partent de Bordeaux vers Saint-Domingue en droiture auxquels s’ajoutent les navires négriers. En droiture, la rotation des navires et des hommes d’équipage est plus rapide et les trajets effectués plus nombreux ; en moyenne un aller-retour vers les îles des Antilles dure entre cinq et six mois.

Les îles antillaises connaissent un apport migratoire qui contribue à leur développement de population blanche mais aussi et surtout d’esclaves qui sont majoritaires parmi les populations insulaires1. Le port de Bordeaux est un port de transit privilégié pour un départ souvent sans retour vers les îles. De 1713 à 1787, plus de 30 000 passagers quittent le port de la Lune pour les Antilles et ce flux s’envole dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, surtout entre la guerre de Sept ans et la Révolution, avec un pic d’un millier de départs en 17882. Parmi ces migrants, 80% se rendent à Saint-Domingue : en 1787, ce sont 299 départs pour Saint-Saint-Domingue, contre 97 pour l’île de la Martinique3. À ces migrants, se rajoutent des marins déserteurs qui ne rejoignent pas leur bâtiment après l’escale. La population blanche est hiérarchisée entre des Grands-blancs propriétaires jusqu’aux Petits-blancs. L’ensemble de cette catégorie est dominante mais

moins importante en terme numérique face à l’afflux d’une population esclave4. Monde

particulier, dominé par le système de l’Exclusif, l’éloignement, l’insularité et l’orientation économique, les colonies sont organisées socialement par la distinction entre libres et non-libres, autrement dit esclaves, au sein de laquelle intervient l’altération de couleur.

1 Laux C., Ruggiu F.-J., Singaravelou P., « Réflexions sur l’historiographie des élites impériales », Laux C., Ruggiu F.-J., Singaravelou P., Au sommet de l’Empire, les élites européennes dans les colonies, XVIe-XXe

siècles, Bruxelles, Peter Lang, 2009, p. 13-33 ; Debien G., Les esclaves aux Antilles françaises XVIIe- XVIIIe siècles, Paris, Société d’Histoire de la Guadeloupe, 1974 ; Élisabeth L., La société martiniquaise aux XVIIe et XVIIIe siècles, 1664-1789, Paris, Karthala, 2003 ; Butel P., Histoire des Antilles françaises, op. cit. ; Hayot É., Les gens de couleur libres du Fort Royal 1679-1823, Paris, Société française d’Histoire

d’outre-mer, 1971 ; Perrotin-Dumon A., La ville aux îles, la ville dans l’île, Basse-Terre et Pointe-à-Pitre,

Guadeloupe, 1650-1820, Paris, éd. du Karthala, 2001 ; Pluchon P. (dir.), Histoire des Antilles et de la Guyane, Toulouse, Privat, 1982.

2 Gaubert J., Les colons aquitains de Saint Domingue à la fin de l’Ancien Régime, 1787-1791, TER dactyl., Université Bordeaux III, 1971.

3 Butel P., Histoire des Antilles françaises, op. cit. p. 93. Le départ vers les îles pouvait aussi se faire à partir de liens et de réseaux de parenté, appel de clocher.

4 En proportion le nombre de loges est alors bien plus élevé qu’en métropole pour une population libre, puisque ne peuvent être acceptés comme francs-maçons que des hommes libres.

Dans les îles, les libres de couleur sont considérés comme une catégorie sociale intermédiaire et particulière, classification à laquelle la métropole apporte un regard parfois différent. Dans les principales colonies françaises, les libres de couleur sont minoritaires à l’exception notable de Saint-Domingue ; en Martinique, ils sont deux fois moins nombreux que les Blancs, en Guadeloupe quatre fois moins nombreux, très minoritaires en Guyane, tandis qu’à Saint-Domingue ils font rang égal en terme numérique avec les Blancs1.

Ces installations ne prennent pas en compte les populations provisoires, présentes dans les ports des Antilles le temps de régler leurs affaires. Capitaines de navire, marchands, commissionnaires ou planteurs descendus de leur habitation le temps de s’approvisionner ou de vendre leurs marchandises fréquentent les quais et les magasins avant de se retrouver dans les espaces de sociabilité qu’offrent les villes littorales. Après la longueur du trajet, le souhait de chercher des structures d’accueil et de fraternité lors de l’arrivée motive capitaines et négociants et les oriente évidemment vers les temples maçonniques présents dans les villes des colonies.

Dans les îles, l’urbanisation reste faible du fait la structure économique et démographique de ces espaces insulaires2. À Saint-Domingue, il est d’environ 6% à la veille des événements révolutionnaires, et seules trois villes atteignent le seuil de 2 000 habitants : le Cap Français au nord de l’île, Port-au-Prince et les Cayes, où se comptent d’ailleurs de nombreux ateliers maçonniques. Le Cap Français domine les échanges de l’île de Saint-Domingue et redistribue les marchandises reçues ou renvoient les navires vers les ports secondaires qui scandent la côte. Plus au sud sur l’arc des Antilles, la Guadeloupe compte deux villes importantes dont la population dépasse les 3 000 habitants, c’est-à-dire Basse-Terre et Pointe-à-Pitre3 qui comptent respectivement trois loges chacune. Cette dernière ville se développe après la décennie 1770, et encore plus après l’ouverture d’un entrepôt en 1784. En position privilégiée sur la route de navigation en droiture et disposant d’un

1 Dubesset É., Cauna J. de, Dynamiques caribéennes, Pour une histoire des circulations dans l’espace

atlantiques, XVIII-XIXe siècles, Pessac, PUB, 2014, p. 28.

2 Butel P., « Le modèle urbain colonial au XVIIIe siècle, l’investissement immobilier dans les villes de Saint-Domingue », Butel P., Cullen L.-M., Cities and Merchants : French and Irish perspectives on Urban

development, 1500-1900, Dublin, 1986, p.146-164 ; Loupes P., « Le modèle urbain colonial au XVIIIe

siècle », Butel P., Cullen L.-M., Cities and Merchants : French and Irish perspectives on Urban

development, 1500-1900, Dublin, 1986, p. 165-182.

3 Élisabeth L., La société martiniquaise aux XVIIe et XVIIIe siècles, 1664-1789, op. cit. ; Perrotin-Dumon

mouillage favorable, Saint-Pierre elle s’affirme comme pôle majeur du commerce français dans les Antilles et la ville la plus peuplée de Martinique, atteignant plus de 20 000 habitants. Ville active, commerçante, le nombre de loges est associé à ce dynamisme

Littorales et portuaires, les villes des Antilles sont au débouché des échanges commerciaux, points d’entrée vers l’espace atlantique et américain, et lieux de rencontres pour les voyageurs et les planteurs disséminées sur leur habitation installée dans les hauteurs. Saint-Domingue avec à sa tête la ville de Cap Français présente une société coloniale florissante où les populations blanches ont accès à une vie sociale et culturelle variée1. Six théâtres ouvrent leurs salles aux habitants et y proposent les dernières pièces parisiennes. Le développement de la presse ne tarde pas, la Gazette de Saint-Domingue est publiée dès 1764 et se retrouve dans la bibliothèque du Cap Français qui ouvre en 1765. À la fin du siècle, Saint-Domingue se dote d’une société académique, le Cercle des Philadelphes, et s’affirme comme un foyer prospère de la maçonnerie. L’avocat Moreau de Saint-Méry qualifie le Cap de plus grande ville de l’Amérique française alors qu’elle n’en est pas la capitale administrative, position qui est tenue par Port-au-Prince. Les trois principales villes de la colonie regroupent aussi six loges sur l’ensemble des ateliers installés dans l’île, soit le tiers des loges de l’île. C’est dans ce cadre de vie urbain que les loges s’inscrivent à travers les îles de l’Amérique française. Ces dernières s’installent dans les espaces urbains, à proximité des lieux de pouvoir, siège de l’intendance ou du Conseil souverain, dans l’attraction des activités marchandes et portuaires en majorité.

La franc-maçonnerie française, après l’installation de la première loge dans les colonies antillaises en 1738, rayonne dans ces territoires organisés par l’exploitation et les échanges vers la métropole.

1 Pluchon P., « Le cercle des Philadelphes du Cap Français à Saint-Domingue, seule académie coloniale de l’Ancien Régime », Mondes et cultures, 1985-45, p. 157-185 ; Dessens N., « Élites et diasporas : les réfugiés de Saint-Domingue dans les Amériques au XIXe siècle », Lerat C. (dir.), Élites et intelligentsias

2.3.2 L’espace antillais et américain, lieu d’extraversion de la franc-maçonnerie française

La première loge française installée dans les Antilles est la loge de la Parfaite

Union, en 1738 en Martinique. Sur l’île, sept autres loges sont installées jusqu’à la fin du

siècle. Trois décennies plus tard, dans le tableau de 1769 des loges françaises présenté à Paris, sont recensées dix-sept loges existantes aux Antilles et Guyane. L’obédience française compte alors une loge à Saint-Vincent, deux en Guyane, trois en Guadeloupe, trois en Martinique et huit à Saint-Domingue. Vingt ans plus tard, à la veille de la Révolution, les îles de l’arc antillais recensent plus de trente loges1 en activité dont onze installées dans les villes insulaires. Au tournant révolutionnaire2, la « perle des Antilles » qu’est Saint-Domingue, compte vingt-deux loges constituées par le Grand Orient de France et une Grande Loge provinciale constituée en 1778 au Fond-des-Nègres. Ce sont plus de 530 maçons qui fréquentent ses temples. La Martinique, touchée précocement par le phénomène maçonnique après les premiers feux en métropole, compte neuf loges essentiellement réparties entre les cinq orients portuaires majeurs, dont la loge écossaise de la Saint Jean d’Écosse fondée par la loge marseillaise. L’espace guadeloupéen

1 À Saint-Domingue nous pouvons relever la trace d’environ 25 000 maçons entre 1740 et1804.

2 Odo G., La franc-maçonnerie dans les colonies, 1738-1960, Paris, Éditions Maçonniques de France, 2001, p. 28-29 ; Escalle É., Gouyon Guillaume M., Francs-maçons des loges françaises aux Amériques, op. cit.

comporte treize loges pour une population blanche d’environ 15 000 habitants. Les îles de la Grenade et de Sainte-Lucie ne sont pas ignorées par ce mouvement d’implantation des loges françaises, parfois en concurrence avec l’obédience anglaise du fait des évolutions du contexte politique dans cet espace antillais1. À l’image du mouvement métropolitain, l’apogée de la maçonnerie dans les îles des Antilles est atteint après la création du Grand Orient de France, mais dès les premières décennies, le mouvement est d’importance. Ce sont au total cinquante-huit loges réparties dans les orients antillais entre 1738 et 1789, dont sept créées avant 1740 et vingt-cinq avant la fondation du Grand Orient2, la guerre de Succession d’Autriche et ses retentissements coloniaux puis la Guerre de Sept ans freinent les relations avec les Antilles, et parallèlement, le développement des loges coloniales.

Plus au nord, dans les terres canadiennes, la franc-maçonnerie est un apport britannique après la prise de la colonie par les armées britanniques, prise de possession