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Franc-maçonnerie, réseaux maçonniques et dynamiques bordelaises au XVIIIe siècle

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Academic year: 2021

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Franc-maçonnerie, réseaux maçonniques et dynamiques

bordelaises au XVIIIe siècle

Lauriane Cros

To cite this version:

Lauriane Cros. Franc-maçonnerie, réseaux maçonniques et dynamiques bordelaises au XVIIIe siècle. Histoire. Université Michel de Montaigne - Bordeaux III, 2018. Français. �NNT : 2018BOR30008�. �tel-02927765�

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Université Bordeaux Montaigne

École Doctorale Montaigne Humanités (ED 480)

THÈSE DE DOCTORAT EN « HISTOIRE»

Franc-maçonnerie, réseaux

maçonniques et dynamiques

bordelaises au XVIII

e

siècle.

Présentée et soutenue publiquement le 29 mai 2018 par

Lauriane CROS

Sous la direction de François CADILHON

Tome I

Membres du jury

Scarlett BEAUVALET, Professeur, Université d’Amiens Picardie Jules-Verne. Pierre-Yves BEAUREPAIRE, Professeur, Université de Nice Sophia-Antipolis. Michel VERGÉ-FRANCESCHI, Professeur, Université de Tours François-Rabelais. Michel FIGEAC, Professeur, Université de Bordeaux-Montaigne.

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REMERCIEMENTS

Passer du temps parmi les secrets de la franc-maçonnerie, les individus qui peuplent les loges constitue une aventure unique, une chance particulière.

Ce sont plusieurs années de travail qui se sont déroulées parmi les cérémonies d’installation des loges, les tensions qui construisent l’espace bordelais. Ce temps de recherche s’est construit autour des membres vénérables, des parlementaires ou encore des capitaines de navire qui ont porté nos regards jusqu’aux places antillaises et atlantiques ; notre curiosité de connaissances est complété par l’appétit et les goûts des francs-maçons du siècle des Lumières qui transparaissent dans leur commande de boissons ou les agapes qui scandent la vie et les pratiques maçonniques de ces hommes. Et que dire des divertissements proposés par les loges depuis les lectures d’ouvrages maçonniques ou de journaux d’informations, ou encore les tables de billards qui regroupent des hommes unis par des liens fraternels.

Le doctorat n’a pas été un voyage initiatique maçonnique, mais bien un voyage sous le regard bienveillant, attentif de mon directeur vis-à-vis de l’étudiante que je fus et que je suis.

C’est pourquoi tous mes remerciements et ma gratitude s’adressent en premier lieu à mon directeur de recherche, le Professeur François Cadilhon. Je tiens à remercier très sincèrement Monsieur Cadilhon qui a accepté de me prendre sous sa direction pour mener ce travail, pour sa bienveillance, sa très grande disponibilité et ses remarques attentives, ses critiques toujours pertinentes et ses conseils inestimables afin de progresser sans cesse vers la rigueur nécessaire plus que tout je perçois la chance dont j’ai pu bénéficier au long de ces années de recherche et qui ont pu mener à l’aboutissement de ce travail.

Je souhaite également adresser mes remerciements les plus vifs à Caroline Le Mao pour sa disponibilité, son écoute et son aide précieuse depuis les formations impromptues au regard bienveillant sur l’écriture laborieuse, sa patience jamais éprouvée devant mes demandes, et son attention jusqu’au dernier instant. Cette thèse et ce travail se sont

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construits également aux côtés des membres dirigeants du Centre d’Études des Mondes Moderne et Contemporain de l’Université Bordeaux Montaigne, qui ont toujours su faire preuve d’attention et d’intérêt vis-à-vis de mes recherches et m’ont accordé leur confiance. Par là, je souhaite marquer ma profonde reconnaissance à Monsieur Michel Figeac, toujours bienveillant et disponible. Je remercie également Madame Christine Bouneau et Monsieur Laurent Coste, actuelle équipe dirigeante du CEMMC, et Monsieur Michel Figeac et Madame Christine Bouneau qui étaient alors à la tête du Centre lors de mes premiers pas. C’est aussi un lieu de rencontres et d’échanges, notamment sous les regards accueillants des nombreux membres, dont Messieurs Coste, Poumarède, Lastacouérès, Chassaigne, Champ pour ne citer qu’eux. C’est également au CEMMC que j’ai pu mener avec leur confiance l’expérience d’organiser des activités scientifiques en proposant la tenue d’une journée dédiée aux jeunes chercheurs et doctorants. Cette journée, de même que les participations aux événements scientifiques, ont donné lieu à des échanges fructueux jusqu’à des rencontres menant en Pologne.

C’est également le moment pour moi d’adresser mes remerciements aux professeurs et à l’équipe du département d’Histoire de l’Université Bordeaux Montaigne pour leur accueil et leur présence.

Ce travail de recherches n’aurait pu se faire sans le soutien et les recommandations formulées par Le Comité pour l’Histoire de la Poste, auquel j’adresse ma reconnaissance, notamment à Madame Muriel Le Roux, Madame Josiane Foynat et Monsieur Sébastien Richez pour leur accueil, leur gentillesse et leur soutien.

Tout travail de recherches est aussi un travail de rencontres, dont les premières se font devant les sources et les archives. En ce sens, je remercie le Professeur Pierre-Yves Beaurepaire, qui en plus de sa disponibilité et de ses encouragements devant le sujet de mes recherches, a pu me faire bénéficier de nombreuses informations et d’apports particuliers qui ont profité à l’approfondissement du travail initié.

Je ne peux oublier de remercier les différentes personnes rencontrées lors de mes déplacements dans les entrailles des archives. D’abord au magnifique site Richelieu de la Bibliothèque Nationale de France et Madame Sylvie Bourel, responsable des Fonds maçonniques. Mais aussi au siège du Grand Orient de France, rue Cadet, où Madame Irène Mainguy et Monsieur Pierre Mollier ont su me conseiller et m’aider dans mes

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recherches, tout comme le Musée de la Franc-maçonnerie. L’accueil réservé à mes recherches à la Grande Loge de France fut tout aussi enthousiaste et j’en remercie les responsables de m’avoir ouvert les portes de leur bibliothèque. Les sites locaux de Bordeaux, depuis les Archives Départementales, les Archives Municipales et la Bibliothèque Municipale m’ont tous réservé un accès et un accueil privilégiés, je les remercie pour leur attention à mes différentes demandes. C’est également dans ces lieux que j’ai pu faire des rencontres enrichissantes, motivées par l’intérêt des recherches sur la franc-maçonnerie, dont Monsieur Robine ou Monsieur Naditch.

Après ces années de travail, je ne peux que remercier mes amis qui ont su faire la part juste entre le travail et la nécessité de m’éloigner parfois de ces hommes de la franc-maçonnerie : Hélène, Marine, Guillaume, Allison, Dominique, pour ne citer qu’eux.

Et surtout ma famille et mes sœurs pour leur soutien indéfectible, leur patience, leurs remarques et les silences qu’ils ont du supporter.

Exprimer ma gratitude en ces quelques lignes serait insuffisant devant l’ampleur de la tâche, mes pensées, je l’espère, seront suffisantes.

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SOMMAIRE SOMMAIRE ... 5 INTRODUCTION ... 9 PARTIE 1 ... 31 CHAPITRE I ... 33

IMPLANTATION PRECOCE ET POLE MAJEUR : L’ART ROYAL DANS LA CITE BORDELAISE AU XVIIIE SIECLE ... 33

CHAPITRE II ... 133

RAYONNEMENT DE LA FRANC-MAÇONNERIE BORDELAISE ET DE SES LOGES ... 133

CHAPITRE III ... 221

LE VISAGE DE LA FRANC-MAÇONNERIE BORDELAISE ... 221

PARTIE 2 ... 291

CHAPITRE IV ... 293

LES REALITES DERRIERE LES PORTES DU TEMPLE ... 293

CHAPITRE V ... 375

COMMUNICATION ET OUVERTURE DE LA FRANC-MAÇONNERIE BORDELAISE ... 375

CHAPITRE VI ... 447

L’ENCHEVETREMENT DES LIENS, LA QUESTION DES RESEAUX DES HOMMES DE LA FRANC-MAÇONNERIE BORDELAISE ... 447

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PARTIE 3 ... 497

CHAPITRE VII ... 499

LES RELATIONS AVEC LES POUVOIRS : NEGOCIER ET S’AFFIRMER, LES COMPORTEMENTS DE LA SOCIETE MAÇONNIQUE DANS LA CITE ... 499

CHAPITRE VIII ... 599

DANS LA CITE BORDELAISE, L’INSERTION DES LOGES AU CŒUR DE LA VILLE ... 599

CHAPITRE IX ... 691

LE MONDE DE LA CULTURE, L’IMPREGNATION DE LA FRANC-MAÇONNERIE DANS LA SOCIETE DE LA CONNAISSANCE ... 691

CONCLUSION ... 755

BIBLIOGRAPHIE ... 761

INDEX ... 823

TABLE DES FIGURES ET CARTES ... 827

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ABRÉVIATIONS

ADG : Archives Départementales de Gironde AMB : Archives Municipales de Bordeaux

AR : Archives de Réserve du Grand Orient de France BMB : Bibliothèque Municipale de Bordeaux

BNB : Bibliothèque Nationale de Biélorussie BNF : Bibliothèque Nationale de France GLDF : Grande Loge de France

GODF : Grand Orient de France

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INTRODUCTION

C’est en vain qu’une morale austère veut effacer les traits que le plus grand de tous les ouvriers a imprimé dans nos âmes. C’est à la morale, qui veut travailler sur le cœur de l’homme, à régler ses sentiments, et non pas à les détruire. Montesquieu, Pensées1.

En voulant prendre en compte le développement à la fois exponentiel et sensible que connaît la recherche sur la franc-maçonnerie depuis presque un demi-siècle, Pierre-Yves Beaurepaire a pu dresser le constat de la situation contemporaine. « Comment oublier à ce point que la loge maçonnique d’Ancien Régime est intimement liée à l’étude de la « ville sociable » des Lumières ? Qu’elle constitue le laboratoire pionnier d’observation et d’élaboration des structures et des pratiques de la sociabilité urbaine, le miroir des élites, de leurs réseaux, de leurs stratégies et trajectoires sociales, culturelles et politiques ? » 2. Cette forme originale de sociabilité se dégage du regard purement « maçonnologique » et des polémiques qui l’entourent depuis la Révolution française. La franc-maçonnerie est devenue un objet d’études scientifiques qui s’éloigne des mystères qui lui sont attribués et des travaux engagés ou amateurs.

Les études reposent toujours sur les travaux anciens, classiques et solides, de Pierre Chevallier, de Daniel Ligou ou de Jacques Léglise3 et ils restent d’actualité. Les

1 Montesquieu, Pensées1, Paris Gallimard, 1949, p. 993

2 Beaurepaire P.-Y., L’espace des francs-maçons, Une sociabilité européenne au XVIIIe siècle, Rennes,

PUR, 2003, p. 32.

3 Chevallier P., Histoire de la franc-maçonnerie française, La maçonnerie, école de l’égalité, 1725-1799, Paris, Fayard, 1974 ; Ligou D., Histoire des francs-maçons en France, 1715-1815, Toulouse, Privat, 2000 ; Le Bihan A., Loges et chapitres de la Grande Loge et du Grand Orient de France, Paris, BNF, 1967 ; Gayot G., La franc-maçonnerie française, Textes et pratiques XVIIIe-XIXe siècles, Paris, Gallimard, 1980 ;

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vastes enquêtes qu’ils ont menés à partir des fonds maçonniques de la Bibliothèque Nationale de France n’ont pas été repris. Les très utiles répertoires et les inventaires réalisés sous la direction d’Alain Le Bihan ou de Françoise Weil ne peuvent quant à eux pas donner une vue exhaustive du phénomène dans le royaume de France au siècle des Lumières. Un premier renouvellement a été apporté par Maurice Agulhon dans son ouvrage sur sa sociabilité méridionale en 19661 qui ancre le mouvement dans les structures de sociabilité anciennes à la rencontre de l’histoire sociale et l’histoire des idées. Pour sa part, Daniel Roche, dans son travail sur les académies et sociétés savantes, insère la franc-maçonnerie dans ces institutions urbaines où se rencontrent les élites traditionnelles2. Peut-on cependant oser constater que pour une seule comptabilité bordelaise le chiffre des mille maçons qu’il relève reste inférieur à la réalité. Les recherches maçonniques ont profité des travaux menés dans le prolongement du bicentenaire de la Révolution française où la question des liens entre franc-maçonnerie et Révolution a poursuivi des débats sans fin entamés deux siècles plus tôt. Le numéro thématique de la revue Dix-huitième siècle en 1987 en est un prélude3. À la suite de François Furet, Ran Halevi4 s’intéresse ainsi à la sociologie du recrutement au sein des loges et accompagne une réflexion sur la sociabilité maçonnique5 à la rencontre d’une sociabilité démocratique. Son travail propose une chronologie et une cartographie des implantations maçonniques à travers le royaume et il ouvre également une réflexion sur la nature de la loge et ses pratiques humaines, sociales ou même sociables.

Le Forestier R., La franc-maçonnerie templière et occultiste aux XVIIIe et XIXe siècles, Paris, Aubier,

1970 ; Léglise J., Catalogue des manuscrits maçonniques des bibliothèques publiques de France, Paris, SEPP, 1988.

1 Agulhon M., La sociabilité méridionale rééditée sous le titre de Pénitents et francs-maçons de l’ancienne

Provence, Paris, Fayard, 1984.

2 Roche D., Le siècle des Lumières en province, Académies et académiciens provinciaux, 1680-1789, Paris, éd. EHESS, 1984.

3 « La franc-maçonnerie », Dix-huitième siècle, Paris, PUF, 1987.

4 Furet F., La Révolution française, Paris, Hachette, 1986 ; Halévi R., « Les origines intellectuelles de la Révolution française, de la maçonnerie au jacobinisme », Étienne F. (dir.)., Sociabilité et société bourgeoise

en France, en Allemagne et en Suisse, 1750-1850, Paris, 1986.

5 Agulhon M., « La sociabilité est-elle objet d’histoire ? », François É. (dir.), Sociabilité et société

bourgeoise en France, en Allemagne et en Suisse, 1750-1850, Paris, Recherches sur les Civilisations, 1986,

p. 13-22 ; Halevi R., Les loges maçonniques dans la France d’Ancien Régime, aux origines de la sociabilité

démocratique, Paris, A. Colin, 1984 ; Beaurepaire P.-Y., « La fabrique de la sociabilité », Dix-huitième,

2014/1, n°46, p. 85-105 ; Chappey J.-L., Bourdin P. (dir.), Réseaux et sociabilité littéraire en Révolution, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise-Pascal, 2007 ; François É., Rechardt R., « Les formes de la sociabilité en France au milieu du XVIIIe siècle », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1987, n° 34, p. 453-472.

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Outre des monographies régionales, les chercheurs disposent d’outils comme les dictionnaires, vastes recueils de savoirs. Les ouvrages collectifs dirigés par Daniel Ligou, par Éric Saunier ou encore par Pierre-Yves Beaurepaire ou Charles Porset1 offrent des articles nombreux et contribuent au renouvellement de la connaissance. Cécile Révauger,

dans un Dictionnaire prosopographique2, propose des fiches biographiques des hommes

engagés à travers l’espace atlantique au siècle des Lumières. Reflétant le paysage sociologique du monde maçonnique du XVIIIe siècle, cet ouvrage ne prétend pas à

l’exhaustivité mais veut relever des espaces structurants de ce phénomène à une échelle étendue sur l’ensemble des rives de l’Atlantique, de l’Europe à l’Amérique. La sociologie maçonnique doit pourtant aussi chercher à s’éloigner des seuls répertoires qui, s’ils constituent une base approfondie, ne suffisent pas à aborder l’importance des dynamiques qui animent la loge du siècle des Lumières.

Les travaux de Pierre-Yves Beaurepaire mettent justement en évidence l’intérêt des réseaux et des espaces réticulaires pour appréhender ce mouvement au XVIIIe siècle. L’interconnexion des réseaux maçonniques aux espaces professionnels, familiaux, confessionnels ou communautaires s’accompagne en effet du développement de liens d’amitié ou de clientèle et construit une « sociabilité européenne » 3 chère à Montesquieu.

L’Autre et le frère aborde ainsi de manière privilégiée cette confrontation et ces

influences variées qui accompagnent la diffusion du phénomène.

Les recherches sur la franc-maçonnerie française au siècle des Lumières reposent encore sur des monographies locales qui ont été profondément renouvelées. À l’échelle d’un orient, les études menées participent en fait à l’essor global de la recherche maçonnique.

Des monographies régionales, parfois anciennes, sont également des références pour aborder la franc-maçonnerie dans les provinces du royaume. Ces monographies, comme celle conduite par Paul Bouton sur les francs-maçons manceaux qui peut être présentée

1 Ligou D., Histoire des francs-maçons en France, 1715-1815, Toulouse, Privat, 2000 ; Ligou D.,

Dictionnaire universel de la franc-maçonnerie, Hommes illustres, pays, rites, symboles, Paris, éd. du

Prisme, 1974., Saunier É., Encyclopédie de la franc-maçonnerie, Paris, Le Livre de Poche, 2000 ; Beaurepaire P.-Y., Dictionnaire de la franc-maçonnerie, Paris, A. Colin, 2014.

2 Porset C., Révauger C. (dir.), Le monde maçonnique des Lumières, Europe-Amériques et colonies :

Dictionnaire prosopographique, Paris, Honoré Champion, 2013.

3 Beaurepaire P.-Y., L’espace des francs-maçons, Une sociabilité européenne au XVIIIe siècle, Rennes,

PUR, 2003; Beaurepaire P.-Y., L’Autre et le frère : l’étranger et la Franc-maçonnerie en France au XVIIIe

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comme une référence, sont nombreuses : l’étude ancienne de Michel Taillefer, pour un espace toulousain mais avec le port de Bordeaux comme débouché, celles de Marius Lepage sur la Mayenne, de Jacques Fénéant sur l’espace du Val-de-Loire, d’Éric Saunier sur la Normandie sous l’œil éclairé, de Thierry Zarcone et de Jean-Marie Mercier sur la Provence ou encore de Céline Sala sur l’espace frontalier du Roussillon1.

Même privilégié, le prisme parisien reste encore en chantier2 et certaines grandes métropoles sont peu touchées par ces études du mouvement mais la cité portuaire bordelaise, où la franc-maçonnerie s’impose durablement à partir de 1732 dans le tissu urbain et sociable, a bénéficié d’études très différentes et d’ouvrages de vulgarisation. L’étude presque classique de Johel Coutura, les travaux anciens d’Alain Bernheim ou les ouvrages consacrés à une seule loge comme Francis Delord sur l’Anglaise sont complétées par un regard croisé des sources explorées comme celle de la correspondance de l’Harmonie par François Cadilhon3.

1 Lepage M., Histoire de la franc-maçonnerie dans la Mayenne, 1756-1951, Le Mans, Monnoyer, 1951 ; Bouton P., Les francs-maçons manceaux et la Révolution française, 1741-1815, Le Mans, Monnoyer, 1958 ; Fénéant J., Histoire de la franc-maçonnerie en Touraine, Chambray, CLD, 1981 ; Taillefer M., La

franc-maçonnerie toulousaine sous l’Ancien Régime et la Révolution, 1741-1799, Paris, CHTS, 1984 ;

Saunier É., Révolution et sociabilité en Normandie au tournant des XVIIIe et XIXe siècle : 6000

francs-maçons de 1740 à 1830, Rouen, Publications de l’Université de Rouen, 1999 ; Zarcone T., Mercier J.-M., Les francs-maçons du pays de Daudet, Beaucaire et Tarascon ; Destins croisés du XVIIIe au XXe siècle,

Aix-en-Provence, EDISUD, 2004 ; Sala C., Les francs-maçons en terres catalanes entre Lumières et

Restauration, L’Art Royal de Perpignan à Barcelone, 1740-1830, Paris, Honoré Champion, 2009 ;

Beaurepaire P.-Y., Les francs-maçons à l’orient de Clermont-Ferrand au XVIIIe siècle, Clermont-Ferrand,

Université Blaise Pascal, 1991 ; Masgnaud F., Franc-maçonnerie et Francs-Maçons en Aunis et Saintonge

sous l’Ancien Régime et la Révolution, La Rochelle, Rumeur des Âges, 1989 ; Hivert-Messeca Y., La franc-maçonnerie en pays niçois, fin XVIIIe siècle-1940, Thèse dactyl., Université Nice Sophia-Antipolis ; Ladret

A., Le Grand Siècle de la franc-maçonnerie, la franc-maçonnerie lyonnaise au XVIIIe siècle, Paris, Dervy,

1976. On pourrait y ajouter les mémoires universitaires qui ne manquent pas.

2 Le Bihan A., Francs-maçons et ateliers parisiens de la Grande Loge de France, Paris, BNF, 1973 ; Diet I., « Pour une compréhension élargie de la sociabilité maçonnique à Paris à la fin du XVIIIe siècle »,

Annales Historiques de la Révolution Française, 1991, n°1, p. 31-47; Amiable L., Une loge d’avant 1789, La Respectable Loge des Neufs Sœurs, Paris, EDIMAF, 1989.

3 Coutura J., La franc-maçonnerie à Bordeaux, XVIIIe-XIXe siècles, Marseille, éd. Laffitte, 1978 ; Coutura

J., Les francs-maçons à Bordeaux au XVIIIe siècle, Bordeaux, éd. du Glorit, 1988 ; Bernheim A., « Notes

on Early Freemasonry in Bordeaux, 1732-1769 », Ars Quator Coronatorum, 1988, p. 33-102 ; Ducaunnes D., « Les sociétés maçonniques de Bordeaux pendant la Révolution Française », Revue historique de

Bordeaux, 1909 ; Delord F., Histoire d’une loge maçonnique bordelaise, la loge Anglaise 204, Bouliac,

Connaissance historique, 2007 ; Cadilhon F., « Quelle harmonie maçonnique pour les réalités bordelaises ? », Beaurepaire P.-Y., Loiselle K., (dir.), Diffusions et circulations des pratiques maçonniques, Paris, Garnier, 2012, p. 101-113 ; Figeac M., « La maçonnerie bordelaise revisitée à la lumière des sources russes, l’Anglaise de 1732 à 1817 ou les Frères dans la ville », Beaurepaire P.-Y., Loiselle K. (dir.),

Diffusion et circulation des pratiques maçonniques, XVIIIe siècle-XXe siècle, Paris, Garnier, 2012, p.

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Bordeaux connaît une prospérité sans équivalent au XVIIIe siècle qui fascine et

attire dans toute l’Europe1. La cité médiévale et provinciale s’ouvre sur le fleuve et associe à son développement les faubourgs qui la bordent. Ses berges animées et sa façade étendue sur plusieurs lieues, des chantiers de Sainte-Croix au faubourg négociant des Chartrons en passant par la place Royale et la Bourse, illustrent la réussite indissociable de la ville et de ses élites.

Le large croissant de la Garonne s’impose depuis longtemps comme un marqueur identitaire qui structure la cité et ses activités mais c’est aussi par ce fleuve que s’implante le phénomène maçonnique. Le fleuve et son réseau fluvial drainent l’arrière-pays et ses productions où dominent les vins, les farines et les textiles ; le vaste estuaire est bien la porte vers les espaces antillais et ses riches produits exotiques ou vers l’Europe du Nord et les villes hanséatiques qui sont des partenaires commerciaux privilégiés du négoce bordelais. Les navires aux cales chargées, après avoir évité, sur une centaine de kilomètres, les pièges et les méandres du fleuve, peuvent jeter l’ancre devant les façades de pierre blonde de la place royale ou défier l’imposante forteresse. Cette forêt de mâts marque les témoins de ce spectacle permanent.

La série des ports de France commandée à Joseph Vernet par le marquis de Marigny2 témoigne de cet essor portuaire et maritime dans lequel Bordeaux tient la première place et marque l’ambition du pouvoir royal et des autorités locales. L’identité portuaire et océanique n’efface pas la richesse des vignes et des terres, le prestige et la fierté de la cité parlementaire dont les magistrats marquent de leur empreinte les façades d’une ville en chantier permanent, bénéficiant de son opulence pour faire construire ou aménager bâtiments de spectacle, jardins et places encadrés d’hôtels particuliers qui cachent le lacis de ruelles médiévales.

1 Cadilhon F., Figeac M., Histoire des Bordelais, La modernité triomphante, 1715-1815, Tome 1, Bordeaux, Mollat, 2002 qui succède à des études classiques, Higounet C. (dir.), Histoire de Bordeaux, tome V,

Bordeaux au XVIIIe siècle, Bordeaux, FHSO, 1968 ; Jullian C., Histoire de Bordeaux depuis les origines jusqu’en 1895, Bordeaux, Fréret, 1895 pour ne citer que ces études. Butel P., Poussou J.-P., La vie quotidienne à Bordeaux au XVIIIe siècle, Paris, Hachette, 1980 ; Butel P., Les négociants bordelais,

l’Europe et les îles au XVIIIe siècle, Paris, Aubier, 1996 ; Butel P., Les dynasties bordelaises, Paris, Perrin,

1991 ; Gallinato B., Les corporations à Bordeaux à la fin de l’Ancien Régime, Bordeaux, PUB, 1992, Poussou J.-P., Bordeaux et le Sud-Ouest au XVIIIe siècle, croissance économique et attraction urbaine,

Paris, éd. EHESS, 1983 ; Figeac M., Destins de la noblesse bordelaise, 1770-1830, Bordeaux, FHSO, 1996 ; Minvielle S., Les comportements démographiques des élites bordelaises au XVIIIe siècle, Angers,

éd. du Sud-Ouest, 2009 ; Gardey P., Négociants et marchands de Bordeaux de la guerre d’Amérique à la

Restauration, 1780-1830, Paris, PUPS, 2009 ; Taillard C., Bordeaux à l’âge classique, Toulouse, Eché,

1987.

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Les dynamiques humaines font du port un creuset démographique, une terre de migration mise en avant depuis longtemps par Jean-Pierre Poussou : la ville voit sa population doubler en un demi-siècle passant de 60 000 habitants au mitan du siècle à 1100001 aux débuts de la Révolution. Du petit peuple aux élites – où parlementaires et négociants occupent le sommet des hiérarchies économique, sociale et politique – tous se retrouvent sur les berges animées ou dans les ruelles encombrées de la vieille ville. Les dynamiques urbaines impulsées par les intendants ou le gouverneur font de la cité portuaire, qui sort de sa gangue emmuraillée, un gigantesque chantier où le désordre savant vaut bien les embarras de Paris. La prospérité et à certains égards l’insolence des habitants marquent les témoignages des contemporains qui s’empressent de noter l’opulence et les démonstrations bordelaises dans un tourbillon de plaisirs et de réceptions défrayant la chronique scandaleuse. Mais Bordeaux n’est pas seulement une ville de plaisirs, cette seule image est dépassée par l’affairisme des négociants et des portefaix sur les berges, l’occupation des commis ou les joutes oratoires et politiques des parlementaires sous les toits du palais de l’Ombrière. La capitale de Guyenne s’enorgueillit de son importance : ouverte sur un monde que Toulouse ne maîtrise pas, elle dispose aussi d’un faisceau d’institutions qui l’ancre dans le monde des savoirs et de la connaissance que les Nantais ou les Marseillais ne peuvent avancer.

Dans cet espace dynamique les élites parlementaires, marchandes, ecclésiastiques participent aux évolutions de la métropole provinciale. Ces élites mêlent sans réticence leurs dynasties et leurs destins familiaux et se retrouvent dans un cadre de vie comparable.

Les activités multiples qui occupent le port et ses protagonistes, les sociabilités qui s’y nouent, construisent autant que les évolutions architecturales ou l’affluence des navires, l’identité bordelaise. Les cinétiques économiques appuyées sur l’essor fulgurant du commerce antillais sont un des pans de l’affirmation urbaine comme le sont la place des parlementaires qui défendent les intérêts de la province, la culture de la vigne ou encore le réseau de correspondance de l’Académie royale au cours du siècle des Lumières.

Bordeaux est au carrefour des espaces de circulations : au débouché d’un réseau fluvial prolongé par le canal des Deux-Mers, qui rejoint la mer Méditerranée, ou le couloir

1 Poussou J.P., Bordeaux et le Sud-Ouest au XVIIIe siècle, croissance économique et attraction urbaine, op.

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rhodanien, porte des Antilles et premier port du royaume celui-ci étend ses regards jusqu’à l’océan Indien et l’Extrême-Orient à la fin du siècle. Le port assure une place d’intermédiarité entre les rivages atlantiques et les espaces nord-européens, entre les deux rives de l’Atlantique. Cette nodalité renforce les dynamiques territoriales, humaines, économiques qui animent la cité depuis un large arrière-pays qui remonte la Garonne et un avant-pays étendu vers l’Atlantique et l’Europe. L’océan Atlantique est alors perçu comme un pont davantage qu’une frontière et appartient à l’horizon quotidien des populations locales. La connexion océanique contribue à la définition de l’identité bordelaise et dessine une géographie, une perspective atlantique1 qui ne peuvent être ignorées dans cette métropole littorale.

Les récits des voyageurs étrangers à Bordeaux, comme l’anglais Arthur Young qui évoque la « forêt de mâts » venus de toute l’Europe et des Amériques et qui souligne « que toutes les parties de la ville exposent aux yeux [de tous] des preuves indubitables de son importance »2. C’est encore l’allemande Sophie de la Roche qui aperçoit «comme dans un rêve, le trafic du port, les merveilleuses façades, la Place Royale et le Château Trompette »3 dès son arrivée au printemps 1785. Les mêmes perspectives sont abordées par François de La Rochefoucauld en 1783: « La ville forme une demi-circonférence, appuyée sur la rivière qui elle-même est un croissant. Je n’ai rien vu de si beau à Lyon ou à Marseille. Presque tous les bâtiments sont beaux, et beaucoup sont réguliers ». Si tous les voyageurs se repaissent du dynamisme économique et démographique du port, de l’opulence et des débordements des mœurs, tous paraissent silencieux sur le phénomène maçonnique qui s’impose au cours du siècle, alors même que nombre de ces visiteurs étrangers de passage fréquentent également les rangs de la maçonnerie, comme les capitaines de navire ou les négociants, où ils retrouvent cette douceur d’être inclus dans une société fraternelle. Cette étude s’attache à considérer la place de hommes dans la franc-maçonnerie locale et les ressorts qu’ils utilisent à travers cette appartenance. Il s’agit de se détacher des seules listes comptables des hommes initiés pour les appréhender dans leur environnement.

1 Bailyn B., Atlantic history, concepts and contours, Londres, Harvard University Press, 2005 ; Armitage D., Braddick M., The british atlantic world, 1500-1800, New-York, Palgrave Mac Millan, 2002 ; Harland Jacobs J., Builders of Empire, Freemasons and British Imperialism, 1717-1927, Chapel Hill, University of

North Carolina Press, 2007, ouvrage qui ouvre une perspective mondiale ; Marzagalli S., « L’histoire atlantique en Europe », Nuevo Mundo, Mundos Nuevos, EHESS, 2008.

2 Young A., Voyages en France, trad. H. Sée, Paris, A. Colin, 1931, p. 901.

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La franc-maçonnerie touche les bords de la Garonne dès 1732 et devient prégnante au sein des dynamiques de la ville. Il s’agit alors de placer l’étude dans son environnement et se dégager de la seule histoire des loges et de la franc-maçonnerie à l’échelle locale pour considérer les liens maçonniques dans leur environnement social, professionnel, politique, social ou confessionnel. La perspective de la sociabilité des acteurs et des pratiques permet de dépasser le seul cadre de la loge et articule cette société à secrets avec son environnement urbain. Dominique Poulot définit la ville des Lumières comme la « ville sociable »1 rythmée par des sociétés nombreuses (académies, salons, cafés, et bibliothèques) parmi lesquelles les loges s’insèrent rapidement. Ville ouverte et pleine d’audace, il n’est pas étonnant que la capitale de la Guyenne soit touchée très tôt par la franc-maçonnerie.

À la veille de la Révolution ce sont donc 40 à 50 000 maçons que l’on essaye de comptabiliser en France, parmi lesquels plus de 2 000 bordelais. Les sources renouvellent la question de la franc-maçonnerie bordelaise et légitime le choix de se consacrer à cet orient actif. La première loge de Bordeaux est créée le 27 avril 1732 et dès lors la franc-maçonnerie s’impose comme un espace incontournable au sein de la société locale qui y retrouve son dynamisme, son ouverture cosmopolite et son ancrage multiscalaire. Dans ce foyer maçonnique se remarquent également des questions originales sur la place de ces hommes dans les structures civiles locales, leur rôle dans les phénomènes propres à l’espace bordelais. Ce choix bordelais aborde un questionnement particulier, la place des femmes dans cette société fermée, élargissant leur position à celles d’épouses ou de salonnières2. Au sein de l’association maçonnique fraternelle, dont le profil sociologique reste ancré au sein des élites économiques, politiques et sociaux, la question de la place des femmes se pose rapidement dans cet espace particulier. Les Constitutions d’Anderson

interdisent catégoriquement l’admission des femmes dans les loges maçonniques mais de nombreuses femmes furent initiées à travers le continent et la place bordelaise fait en cela figure de précurseur. Des réflexions sont ouvertes sur le sujet dans le prolongement des

1 Poulot D., Les Lumières, Paris, PUF, 2000 : terme de sociabilité qui s’étend avec la publication par l’abbé Pluquet de l’ouvrage De la Sociabilité publié à Paris en 1767.

2 Beauvalet-Boutouyrie Scarlett, Les femmes à l’époque moderne, XVIe-XVIIIe siècles, Paris, Belin, 2003 ;

Godineau Dominique, Les femmes dans la société française, XVIe-XVIIIe siècles, Paris, A. Colin, 2003 ;

Timmermans Linda, L’accès des femmes à la culture sous l’Ancien Régime, Paris, H. Champion, 2005 ; Lilti A., Le monde des salons, sociabilité et mondanité à Paris au XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 2005 ;

Grellet-Dumazeau A., La société bordelaise sous Louis XV et le salon de Mme Duplessy, Bordeaux, Fréret et fils, 1897.

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travaux de Margaret C. Jacob et Janet Burke avec la thèse de Marie-Anne Mersch1 qui

s’interroge sur la place des femmes dans les loges. À Bordeaux, si les femmes sont formellement exclues des ateliers, elles créent pourtant une première loge d’adoption reconnue et participent pleinement aux grandes festivités données en l’honneur du Grand Maître et de son épouse initiée elle aussi à la franc-maçonnerie. Ce double phénomène apporte un regard complexe sur les évolutions de la société maçonnique au siècle des Lumières et son impact à l’échelle d’un orient si dynamique. Au-delà des positions parfois antagonistes quant à la place des femmes dans cette société fermée, l’étude sur le terrain permet de dessiner une prosopographie des francs-maçons qui se détache des études menées sur les élites, où la perspective maçonnique est, peut-être, trop envisagée au regard de la catégorie sociale considérée. Les études locales sur la noblesse menées par Michel Figeac, sur le monde de la bourgeoisie ou des avocats de Laurent Coste abordent la question de l’adhésion maçonnique, tandis que celle sur le monde du négoce au tournant révolutionnaire des XVIIIe et XIXe siècles de Philippe Gardey ou l’étude de Paul Butel2 laissent paradoxalement dans l’ombre cette participation maçonnique des femmes qui pouvaient gérer l’entreprise de leur mari ou de leurs enfants.

La représentation des élites mérite de s’attarder de manière préliminaire sur la qualité des membres. Si les trois catégories de la société de l’Ancien Régime sont présentes, du noble au clerc en comptant les négociants et les représentants des professions libérales, leur répartition définit un profil attaché aux dynamiques de la ville bordelaise. Le monde des armes reste peu représenté, tout comme le clergé malgré la présence remarquée des abbés et curés de campagne ; c’est bien le monde de la loi et le monde du négoce qui dominent le profil sociologique de l’orient bordelais. Spécificité d’un grand port atlantique, d’une capitale parlementaire ? L’étude permet de dégager alors le visage de la franc-maçonnerie locale.

1 Burke J., Jacob M., Les premières franc-maçonnes au siècle des Lumières, Pessac, PUB, 2011 ; Snoek J.,

Le rite d’adoption et l’initiation des femmes des Lumières à nos jours, Paris, Devry, 2012 ; Mersch M.-A., La franc-maçonnerie et les femmes au temps des Lumières : Angleterre, France et territoires allemands,

Thèse dactyl. Université Bordeaux Montaigne, 2016 ; Révauger C., « Les femmes et la franc-maçonnerie, des origines à nos jours », REHMLAC, 2013-4/2.

2 Coste L., Messieurs de Bordeaux, Pouvoirs et hommes de pouvoir à l’Hôtel de ville, 1548-1789, Bordeaux, FHSO, 2006; Figeac M., Destins de la noblesse bordelaise 1770-1830, Bordeaux, FHSO, 1996 ; Gardey P., Négociants et marchands de Bordeaux de la guerre d’Amérique à la Restauration, 1780-1830, Paris, PUPS, 2009 ; Butel P., Les dynasties bordelaises, de Colbert à Chaban, Paris, Perrin, 1991 ; Loupès P., Chapitres et chanoines de Guyenne aux XVIIe siècle-XVIIIe siècle, Bordeaux, FHSO, 1985.

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Au-delà de la composition socio-professionnelle, la fréquence des appartenances maçonniques et les stratégies d’adhésion sont significatives et composent un espace réticulaire qui dépasse les portes du temple maçonnique. Il s’agit alors de s’éloigner du seul comptage des francs-maçons à partir des listes pour constater les affiliations éphémères et les visiteurs dans un atelier : composition complexe de la cellule maçonnique qui évolue, change, se restructure et s’adapte. Les rapprochements familiaux et les liens affectifs doivent être considérés comme constitutifs de l’identité maçonnique. La perspective cosmopolite répond également aux particularités de l’espace littoral. Port fréquenté par des négociants venus de toute l’Europe, par les marchands remontant la Garonne ou les créoles revenus des plantations coloniales, les berges et les places sont des lieux cosmopolites où se mêlent une foule bigarrée partageant, adaptant modes, langues et idées1. La recherche d’un goût nouveau par ces élites, d’une sociabilité distinguée renforce aussi le succès de la franc-maçonnerie dans la société bordelaise. Bordeaux s’impose très vite comme un orient actif, un centre maçonnique dynamique traversé par des influences nombreuses. À une échelle plus fine, la loge s’impose comme un lieu privilégié de rencontres. Les liens fraternels qui s’y manifestent renforcent et dépassent les liens nationaux, professionnels, familiaux ou confessionnels par un entre-soi novateur mais qui conserve cependant des particularismes traditionnels dans la société d’Ancien Régime. Le phénomène maçonnique met en évidence des espaces de sociabilités particuliers alors que se multiplient les sociétés de pensées, les institutions savantes, les cafés ou des lieux de promenade. La perspective sociable permet de se pencher sur l’observation des liens multiples et la loge en est bien un observatoire unique.

Nouer des relations de confiance, échanger et se côtoyer, se retrouver auprès de « gens honnêtes et de bonnes mœurs », pratiquer un catéchisme commun, tous ces éléments identifient les francs-maçons comme partie prenante d’une société distinguée où ils peuvent construire des réseaux de sociabilité supplémentaires et complémentaires de l’habituel ou de l’ancien, ainsi que le développe Kenneth Loiselle dans son étude sur l’amitié fraternelle qualifiant les francs-maçons de « nouveaux mais vrais amis »2.

1 Cadilhon F., Figeac M. (dir.), Histoire des Bordelais, La modernité triomphante, 1715-1815, Tome 1, Bordeaux, Mollat, 2002 ; Le Mao C., Les villes portuaires maritimes dans la France moderne, Paris, A. Colin, 2015 ; Hilaire-Perez L., L’expérience de la mer, les Européens et les espaces maritimes au XVIIIe

siècle, Paris, éd. Seli Arslan, 1997 ; Van Hille J.-M., (dir.), Dictionnaire des marins francs-maçons, gens de mer et professions connexes aux XVIIIe-XIXe-XXe siècles, Nantes, éd. le Phare de Misaine, 2008.

2 Loiselle K., « Nouveaux mais vrais amis, La Franc-maçonnerie et les rites de l’Amitié au XVIIIe siècle »,

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Entre espace clos et surveillé, entre secret et sphère publique, la loge répond au goût de la convivialité, d’une vie en société qui réunit des pairs. Par l’adhésion volontaire et sélective, la franc-maçonnerie séduit les élites locales. L’étude permet d’aborder la sociabilité maçonnique dans une perspective culturelle, économique, sociale politique ou encore matérielle au sein de l’espace bordelais. La centralité bordelaise résonne d’une pertinence particulière pour les études réticulaires, port majeur et ville carrefour, Bordeaux s’insère dans des espaces étendus jusqu’aux rives antillaises et américaines, portée par son activité économique et son dynamisme démographique. L’originalité de l’étude repose en effet sur la définition d’un territoire particulier : celui de Bordeaux et de sa zone d’influence. Ce concept, dont les frontières sont mouvantes sur l’ensemble du siècle, démontre la capacité bordelaise à étendre son attractivité et asseoir sa domination sur des espaces étendus. Ce sujet amène à se concentrer sur de vastes territoires depuis l’arrière-pays immédiat qui se définit dans un rayon de quelques kilomètres jusque Libourne ou Langon en amont, et jusqu’à l’estuaire en aval, jusqu’à des espaces atlantiques plus lointains : les Antilles ou les rivages nord-américains ; et cela sans oublier l’Europe du Nord1. Ces territoires sont en effet traversés par des liens étroits avec la cité bordelaise : liens économiques, liens humains, liens de communication. La franc-maçonnerie bordelaise au siècle des Lumières n’est pas uniquement centrée sur une ville close, mais sur une ville ouverte et attractive.

Les bornes chronologiques de ce XVIIIe siècle ne sont pas les mêmes selon les

espaces observés et la pertinence de celles-ci. Si pour le Roussillon Céline Sala étend l’étude de la franc-maçonnerie des Lumières au-delà de la Révolution et observe les comportements de cette société jusqu’à la Restauration, nous avons procédé au choix d’une coupure déterminée par les temps révolutionnaires avec toutes les transformations qu’ils impliquent au sein de l’espace maçonnique bordelais. Le bornage de l’étude repose sur la vie même des ateliers, de la naissance de la première loge à la mise en sommeil de la franc-maçonnerie durant les événements révolutionnaires et les transformations de son recrutement. Pour les Antilles, les révoltes, la distance géographique, les guerres et les

1 Les espaces considérés dans cette étude sont donc : l’arrière-pays immédiat girondin dont les liens sont étroits et multiples ; un arrière-pays plus lointain lié par les voies de communication essentiellement fluviales sur la Garonne et la Dordogne. Ce sont également les avant-pays portuaires : l’Europe du Nord, partenaire commerciale majeur de Bordeaux, et le monde américain qui assure la richesse bordelaise au siècle des Lumières et avec lequel les relations s’accroissement considérablement dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle.

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exils impliquent un découpage différent qui répond aux tendances locales, tandis que dans l’arrière-pays girondin, celui de l’hinterland maçonnique qui vaut celui des flux démographiques, les ateliers de campagne sont confrontés à l’absence de leurs membres et aux impacts économiques, politiques et sociaux de la Révolution. De manière précoce, certains d’entre eux votent une mise en sommeil dès 1789. Les perceptions varient cependant selon les cas, Bordeaux fonctionne selon les structures de l’Ancien Régime jusqu’à la fin de la Terreur.

Cette période de 1732 à 1794 correspond à un temps de l’histoire, un temps long. Plusieurs générations de loges et d’hommes marquent la cité de leur empreinte et affichent des élans qui leur sont propres. La coupure de 1794 paraît centrale dans l’orient bordelais : au-delà de l’interdiction qui ne dure qu’un temps, c’est un marqueur de changement dans les ateliers mêmes, avec leurs pratiques et leur recrutement, ce qui justifie ce bornage.

Cette thèse souhaite apporter un regard novateur sur Bordeaux, foyer maçonnique majeur du XVIIIe siècle. Elle repose sur une masse considérable d’archives dont certaines sont inconnues ou redécouvertes. Il s’agit de se dégager de la mono-exploitation des seules sources administratives de l’ordre par l’apport massif de documents maçonniques nouveaux d’une richesse exceptionnelle et de les confronter autant que possible aux archives locales. Cette stratégie d’exploration et d’analyse de l’orient s’engage donc aussi à sortir du temple afin de l’insérer dans son environnement riche et complexe, reflet des dynamiques qui organisent la société bordelaise du siècle des Lumières.

Les recherches menées dans le cadre de ce travail s’appuient donc sur une pluralité de sources : des sources internes parmi lesquelles se retrouvent des documents anciennement traditionnellement exploités par les chercheurs et des archives nouvellement redécouvertes ; et des sources externes profanes qui permettent d’insérer ce sujet dans son environnement profane. Ces sources permettent de reconstituer l’histoire fragmentée des loges, leur recrutement, leurs difficultés ou leur essor, percevoir leurs activités lors des réunions, qui s’insèrent dans le cadre de la ville portuaire au siècle des Lumières. Comme un échange d’influences et au croisement de l’histoire maçonnique, voulue creuset d’humanisme et d’universalité, l’histoire politique, sociale, économique ou intellectuelle de Bordeaux sont alors renforcées par l’apport de ces documents.

Les lieux de conservation sollicités sont nombreux : les archives départementales et municipales conservent quelques documents maçonniques qui permettent d’aborder

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l’histoire de la franc-maçonnerie bordelaise à travers des biais précis, essentiellement liés aux structures des loges1. En plus de ces quelques pièces maçonniques, il est pertinent de se confronter aux individus par le prisme de documents profanes. Les archives des fonds anciens, des registres de l’Amirauté aux minutes notariales, des fonds consulaires aux gazettes contemporaines, éclairent leur vie professionnelle, civile et leurs pratiques économiques, politiques ou sociales.

Mais aborder la franc-maçonnerie bordelaise au XVIIIe siècle nécessite de s’appuyer

également sur un faisceau de sources internes, qui, contrairement aux idées reçues, sont peu secrètes pour les temps de l’Ancien Régime. Elles amènent l’historien à se pencher sur l’histoire sociale, l’histoire des idées ou même l’histoire matérielle des loges maçonniques et des hommes de l’Art Royal.

Les sources proprement maçonniques sont multiples, réparties à travers plusieurs ensembles, tous accessibles. Le fonds bien connu de la Bibliothèque Nationale de France au Cabinet des manuscrits occidentaux recèle des documents officiels relevant des fondations des ateliers, des tableaux de membres ou encore des correspondances entretenues entre les différentes structures2. Des fonds sont désormais également entreposés au Grand Orient de France. Ces documents, revenus en France au début du deuxième millénaire après un parcours atypique, sont d’une grande richesse quant à l’orient bordelais. Composés de documents divers depuis les correspondances à des livres de comptes ou des catéchismes, ils offrent une nouvelle lecture du phénomène. La Grande Loge de France3 conserve, quant à elle, quelques dossiers concernant la première loge

locale, l’Anglaise. Enfin, des fonds maçonniques sont encore conservés, comme nous

1 Léglise J., Catalogue des manuscrits maçonniques des bibliothèques publiques, op .cit. ; Coutura J., « Ouvrages maçonniques imprimés à Bordeaux au XVIIIe siècle », Annales Historique de la maçonnerie, avril 1977, n°18. Cela a été également utilisé pour des orients majeurs comme Lyon avec le fonds Willermoz, le fonds Gaborria à Alençon dans La Franc-maçonnerie en Alençon et dans l’Orme, 250 ans de

fidélité aux libertés, 2003 ou encore l’inventaire des archives de la ville de Strasbourg au sein du legs Paul

Gerschel en 1975.

2 C’est notamment à partir de ces fonds que Johel Coutura a pu mener ses études ; de manière habituelle, les chercheurs se réfèrent aux travaux de Johel Coutura pour aborder la franc-maçonnerie bordelaise et surtout les maçons bordelais ; Coutura J., Les francs-maçons de Bordeaux au XVIIIe siècle, op. cit. ; Coutura J., La franc-maçonnerie à Bordeaux, XVIIIe-XIXe siècles, op. cit.

3 Il existe différentes obédiences pour la franc-maçonnerie française : les documents des loges du XVIIIe siècle sont attachés aux archives du Grand Orient de France et de la Grande Loge de France, les deux obédiences existant sous l’Ancien Régime.

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allons le voir, dans les pays de l’Est européen, notamment en Biélorussie à la Bibliothèque Nationale de Minsk ou à la bibliothèque de Poznań1.

Les sources spécifiquement maçonniques consultées concernent les documents relevant de l’obédience centrale en construction au XVIIIe siècle et les relations entretenues avec les loges de provinces. Ce sont également des sources internes aux loges comme les registres de procès-verbaux, les correspondances diverses ou les tableaux des membres qui ont été dépouillés. Au sein de la Bibliothèque nationale de France, sont conservés nombre de documents de la maçonnerie du siècle des Lumières. Malgré la diversité des obédiences, les loges du XVIIIe siècle entretiennent toutes des relations épistolaires avec l’obédience parisienne2, ce qui permet d’appréhender le paysage maçonnique de ce siècle à partir de ces documents. Ce sont essentiellement des planches qui relèvent de tableaux des membres, des correspondances officielles avec leurs limites puisque ces documents sont stéréotypés. Toutefois, à ce jour, ce sont les seuls documents qui renseignent en partie de l’existence de la diversité maçonnique à Bordeaux et apportent un regard élargi sur la connaissance de la vie sociale et intellectuelle de la cité bordelaise à l’époque des Lumières. En 1940, Bernard Fay, directeur de la Bibliothèque Nationale de France est chargé par le régime de Vichy de collecter les documents concernant la Franc-maçonnerie qui vient d’être interdite par le régime qui mène une politique antimaçonnique délibérée3. En complément des saisies nazies4, il s’agit pour Vichy de s’approprier des informations sur les membres d’une société condamnée. Ces documents prélevés sont conservés dans les locaux de la bibliothèque pendant la guerre. Ces derniers sont laissés après-guerre au sein de l’institution par les autorités maçonniques, régularisant une situation qui de prime abord avait été imposée. Le Grand Orient de France, au sortir de la guerre, n’a plus les ressources suffisantes pour récupérer, organiser et entretenir des fonds de cette importance. De plus, durant la guerre, les fonds publics sont ceux qui ont le mieux

1 La Bibliothèque universitaire de Poznań abrite plus de 60 000 documents maçonniques venus de toute l’Europe transférés pendant la Seconde Guerre mondiale, un fonds français y est entreposé.

2 Le fonds maçonnique conservé à la Bibliothèque Nationale de France concerne majoritairement les loges reconnues et constituées par le Grand Orient de France après sa création en 1773. Peu de ressources concernent les temps de la Grande Loge, lors de la Grande Maitrise du comte de Clermont. Le Grand Orient de France est l’héritier de cette première autorité maçonnique qui s’est imposée dans le royaume de France et c’est sous son autorité que les échanges se multiplient.

3 On peut renvoyer également à l’exposition tenue à la Bibliothèque Nationale de France : « La Franc-maçonnerie », BNF Site François-Mitterand, du 12 avril au 24 juillet 2016, où plus de 450 pièces sont présentés ; Bourel S., Mollier P., dir, La franc-maçonnerie, Catalogue d’exposition, Paris, BNF, 2016. 4 Dès le 1er juillet 1940, les services nazis, sous la direction d’Alfred Rosenberg, organisent la prise des archives maçonniques qui sont ensuite envoyées en Allemagne.

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préservé les archives maçonniques des pillages1. Suite à des accords les fonds déposés à

la Bibliothèque Nationale constituent le Fonds maçonnique du Cabinet des Manuscrits2 et sont classés. Ce fonds représente plus de 300 mètres linéaires soit plus de 2500 cartons3 organisés en cinq séries, cotées de FM1 à FM5. Le fonds coté FM1 rassemble les archives centrales de l’obédience, les correspondances avec les différentes Chambres du Grand Orient, notamment la Chambre des Provinces. La série FM2 organise les archives par orients, c'est-à-dire par villes, jusque 1900. Y sont rassemblés essentiellement les correspondances administratives entretenues entre les loges de province et l’obédience centrale ainsi que les tableaux de membres envoyés annuellement. Plusieurs cartons concernent les loges bordelaises et girondines pour le XVIIIe siècle, sans oublier les loges militaires ou les loges coloniales, associées pour certaines au dynamisme du port de la lune. Au sein de la Bibliothèque Nationale de France, huit cartons concernent dix des loges bordelaises; les loges de la sénéchaussée de Bordeaux sont quant à elles réparties entre six cartons pour les six orients concernés4. Le fonds FM3 conserve les livres d’architecture qui recensent toutes les dates des réunions, les frères présents et relèvent les discussions, mais la présence bordelaise y est anecdotique. La série FM4 conserve les rituels maçonniques pratiqués dans toute leur diversité en France tandis que le dernier fond sous la côte FM5 organise les diplômes maçonniques et patentes des loges, classés par ordre alphabétique des orients et concernent trois loges de l’orient de Bordeaux5.

Ces fonds maçonniques bien connus de la Bibliothèque Nationale de France renforcent évidemment en contrepoint l’intérêt des archives russes qui complètent notre appréhension de la vie de l’orient bordelais. Au Grand Orient, la bibliothèque conserve et donne accès à ses archives jusqu’en 19406. Pour la compréhension du phénomène au

1 À la fin des années 1950, le Grand Orient de France cède à la BNF ses documents concernant la période 1850-1880, puis en 1983 les documents relatifs à la période 1880-1900.

2 Mollier P., « Le voile levé sur les archives « secrètes » de la Franc-maçonnerie », Laurent S. (dir.),

Archives secrètes, secrets d’archives, historiens et archivistes face aux archives sensibles, Paris, éd. CNRS,

2003, p. 125.

3 BNF moteur de recherche : http://archivesetmanuscrits.bnf.fr/ark:/12148/cc94879m

4 Les loges bordelaises au XVIIIe siècle sont réparties entre les dossiers FM2 169bis et FM2 174bis ; les loges girondines sont celles de Blaye FM2 167 ; Coutras FM2 219 ; Langon FM2 249 ; Libourne FM2 253 ; Pauillac FM2 343 ; Saint-Émilion FM2 396 ; les loges coloniales et américaines sont conservées dans les fonds FM2 516 à FM2 561.

5 Il s’agit des loges de l’Amitié, l’Essence de la Paix et Saint Étienne des Amis Joyeux. Kerjan D., Le Bihan A. (dir.), Dictionnaire du Grand Orient de France au XVIIIe siècle, Rennes, PUR, 2012.

6 Les documents postérieurs sont consultables uniquement par les frères de ces loges ou par autorisation spéciale.

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siècle des Lumières, les archives dites russes sont d’une grande richesse. Il s’agit d’une collection importante de documents prélevés par les occupants nazis en 1940, envoyés en Allemagne puis considérés comme prises de guerre de l’Armée Rouge en 1945 lors de sa marche vers Berlin. Acheminés par train vers Moscou via la Pologne, la Biélorussie et l’Ukraine, le transfert est parfois compliqué d’arrêts imprévus et les dommages subis par les réseaux pendant la guerre entrainent également un éparpillement des pièces dont une majorité atteint néanmoins Moscou. Les fonds maçonniques y sont conservés à côté d’autres fonds français, comme ceux de la Sûreté Générale ou les archives confisquées au siège la SFIO ou chez Léon Blum. Conservés de 1945 à 2000 au sein des Archives Spéciales Centrales de Moscou, leur retour longuement négocié par le ministère des Affaires étrangères est effectif en décembre 2000. Les archives du Grand Orient de France saisies par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale ont été déposées à la Bibliothèque Nationale de France, inventoriées et rendues disponibles pour les chercheurs depuis 20021. Cet ensemble de 750 cartons, dits russes, est aussi revenu aux différentes obédiences selon les appartenances des loges. C’est par ces affiliations que la Grande Loge de France conserve quelques dossiers relatifs aux loges bordelaises, dont la principale est l’Anglaise n°204. Les pièces concernant le XVIIIe siècle sont toutefois peu nombreuses. Ces archives rapatriées en France ont conservé le système de cotation soviétique, elles sont laissées dans l’ordre alphabétique de l’alphabet cyrillique et sont réparties dans les fonds 75 et 91 entreposés à la Grande Loge de France2 tandis que les

fonds 133, 175 et 191 sont relatifs au Conseil supérieur des grades de rite ancien et écossais. Le Grand Orient de France quant à lui, conserve les fonds 92 relatifs aux archives administratives et le fonds 133 qui concerne les archives des loges organisées par ordre alphabétique selon les villes du royaume, des colonies et de l’étranger.

1 Cœuré S., Monier F., « De l’ombre à la lumière, Les archives françaises de retour de Moscou, 1940-2002 », Laurent S. (dir.), Archives secrètes, secrets d’archives, op. cit., p. 133-148 ; Mollier P. « Les archives de la franc-maçonnerie », Laurent S. (dir.), Archives secrètes, secrets d’archives, op. cit., p. 123-132 ; Grimstead Kennedy P., Returned from Russia, Nazi archival plunder in Western Europe and recent

restitution issues, Builth Wells, Institute of Art and Law, 2007; Mollier P., « Paris-Berlin-Moscou, les

archives retrouvées », L’Histoire n°256, juillet-août 2001 ; Baumard R., Le Grand Orient de France et ses

archives : entre protection et ouverture, Mémoire dactyl., Université d’Angers, 2012 ; Beaurepaire P.-Y., L’espace des francs-maçons, une sociabilité européenne au XVIIIe siècle, op. cit., p. 93-97.

2 Grande Loge de France, rue Puteaux, XVII arrondissement Paris, notamment l’Anglaise n°204 qui appartient aujourd’hui à cette obédience ; son parcours est plus mouvementé au XVIIIe siècle et explique la diversité des lieux de conservation de ses archives du siècle des Lumières. Ces fonds comptent une centaine de cartons.

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L’historienne américaine Patricia Grimstead Kennedy qualifie ces archives russes de « deux fois pillées et deux fois sauvées » par leur parcours étonnant1.

Pour autant, les archives russes, par leur diversité2, voire leur rareté, à l’image des livres de comptes, des contrats de location ou des listes nominatives précoces, sont essentielles pour appréhender l’essor de l’orient bordelais. Celui-ci, mieux associé aux sources classiques, peut alors être abordé sous de nouvelles perspectives qui éclairent l’histoire des loges au sein de leur environnement social, culturel, cultuel politique et économique. Ces documents apportent une connaissance, qui certes reste parfois embryonnaire, de loges jusqu’alors inconnues ou seulement mentionnées au détour des correspondances et notamment les ateliers qui n’obtiennent jamais leurs constitutions. Les enjeux qui dynamisent l’espace maçonnique local gagnent un nouvel éclairage, avec des documents qui n’ont pas tous la consonance officielle et précautionneuse des correspondances entretenues avec l’obédience centrale et conservées à la Bibliothèque nationale de France. Ce « gisement prometteur »3 pour Pierre-Yves Beaurepaire tient toutes ses promesses et apporte un complément précieux pour la compréhension de la franc-maçonnerie sur les rives de la Garonne aux portes de l’océan atlantique, comme une fête des lumières bordelaises rapprochées de leur environnement profane.

D’autres archives sont conservées à l’étranger, et n’ont assurément pas encore relevées tous leurs mystères. Cet apport des sources russes est ainsi encore enrichi par d’autres éléments conservés dans les archives européennes, évidemment souvent selon le trajet des trains de l’armée rouge. C’est le cas de dossiers entreposés en Biélorussie, comme le livre d’architecture n°1 de la loge Anglaise. Si l’un des plus anciens livres d’architectures connus en France est celui de la loge dite Coustos-Villeroy établie à Paris, qui concerne les années 1736-17374, le livre de l’Anglaise, conservé à la Bibliothèque Nationale de Biélorussie à Minsk5, permet d’approfondir un peu plus la connaissance des premiers temps de la franc-maçonnerie dans le royaume de France. Loge précoce en

1 Pierre Mollier présente ces archives du Grand Orient de France sous trois ensembles, les archives d’obédiences, les archives des loges et les archives des francs-maçons eux-mêmes. L’intérêt de ces derniers, les ego-documents de francs-maçons est rappelé par Pierre-Yves Beaurepaire ; toutefois pour l’orient bordelais du XVIIIe siècle, ces écrits du for privé de frères engagés n’ont pas été trouvés.

2 D’une grande richesse, ces fonds ont été consultés par les chercheurs, maçons et érudits au XIXe et au début XXe comme Alain Bernheim.

3 Beaurepaire P.-Y., L’espace des francs-maçons, op. cit., p. 93.

4 Mollier P., « Le voile levé sur les archives « secrètes » de la Franc-maçonnerie »,art. cit. Ces 17 folios du registre sont conservés

5 Bibliothèque Nationale de Biélorussie à Minsk (BNB Minsk) ; j’adresse mes remerciements à Pierre-Yves Beaurepaire et Anatole Stebouraka pour leur aide et leurs apports.

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province, l’Anglaise révèle son parcours à travers ce livre – qui débute le 27 avril 1732 et court jusqu’au 13 mai 1755, chronologiquement le premier de son histoire – dont l’utilité scientifique est exceptionnelle. Il montre la complexité des documents internes à la maçonnerie. Les livres d’architecture relèvent en effet les dates des tenues de la loge, les officiers opérants, parfois les noms des frères et les grands points recensés durant ces tenues, enfin les visiteurs. Toutefois selon les secrétaires, selon les périodes, leur richesse peut rester lacunaire et les informations incomplètes. Ces livres procèdent d’une mise en forme qui tend à s’uniformiser selon un modèle stéréotypé et les évènements relatifs à la vie de l’atelier comme les discours ou les prises de paroles ne sont pas toujours mentionnés ou ne le sont que succinctement, comme peuvent l’être les présences des frères.

Les fonds Latomia sont également précieux pour l’appréhension des loges écossaises. Ces dossiers concentrent des documents au parcours original. Rassemblés par le franc-maçon britannique Alfred Sharp affilié à la loge bordelaise de l’Anglaise après la Première Guerre Mondiale, loge qui existe depuis presque deux siècles, ces documents concernent essentiellement des pièces anciennes, manuscrites, de la vie maçonnique du XVIIIe siècle. Leur publication par l’éditeur Latomia permet de découvrir des écrits perdus sous leur forme originale ou inaccessibles. Ce sont six volumes qui rassemblent les pièces retrouvées par Sharp, numéroté de 126 à 131 concernant ces ateliers écossais répartis entre Bordeaux, Toulouse et les îles antillaises voire jusqu’à la Nouvelle-Orléans. Les imperfections du fonds maçonnique, du fait des pertes ou des insuffisances des secrétaires, responsables de la régularité et de l’assiduité des correspondances envoyées à Paris1, taisent parfois le quotidien au profit des grands événements qui agitent

loges et orients. Ces sources internes sont parfois complétées par des documents appartenant à une réflexion maçonnique comme les discours prononcés par des frères ou encore des documents plus atypiques comme les livres de compte ou encore des correspondances personnelles qui nous permettent alors d’appréhender davantage les quotidiens des loges et des frères. L’exploitation de ces documents nous permet désormais de renouveler les travaux jusqu’alors entrepris.

La diversité des fonds et leur pluralité nécessitent de rationnaliser leur exploitation en vue de constituer un corpus cohérent, autant des loges que des hommes de la franc-

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