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Des rapports entre généricité et discursivité

Le 26 mai, le jeune roi Edouard III [ ] s'embarquait (R.iso) à Douvres pour venir prêter hommage à son cousin de France [ ] Un souverain de seize ans, confié à la surveillance de deux évêques,

6. Des rapports entre généricité et discursivité

Les genres constituent des formes textuelles standards momentanément stabilisées par l'usage, leur confection procédant de “choix” effectués par les formations sociales pour que les textes soient adaptés aux activités qu'ils commentent, adaptés à un médium communicatif donné, efficaces face à tel enjeu social, etc. En raison de ce statut, ces genres changent nécessairement avec le temps, et en outre, à l'instar des autres œuvres humaines, sont susceptibles de se détacher des motivations qui les ont engendrés, pour s'autonomiser et devenir ainsi disponibles pour l'expression d'autres finalités (la finalisation actuelle d'un genre constituant généralement un mixte dépendant, et des décisions originelles d'une formation sociale, et de processus ultérieurs de “récupération” ou de “travestissement”). Enfin, comme toute œuvre humaine encore, les genres font l'objet d'évaluations au terme desquelles ils se trouvent affectés de diverses indexations sociales : indexation référentielle (quel est le champ pratique ou la pratique que le texte est susceptible de commenter ?), communicationnelle (pour quel type d’interaction ce commentaire est-il pertinent ?) et culturelle (quelle est la “valeur socialement ajoutée” de la maîtrise d'un genre ?).

Cette situation explique que l'on ne puisse poser de relation directe et stable entre sortes d’activités langagières et genres de textes, les tentatives en ce sens procédant en fait d'une adhésion non critique (ou oublieuse de l'histoire) à des indexations sociales synchroniques. Elle explique aussi l'impossibilité de classement stable et définitif des genres, soulignée par maints auteurs ; soit en effet on tente de classer les genres en fonction de leurs finalités sociales, et l'on se heurte alors aux aléas et renversements qui viennent d'être évoqués ; soit on adopte des critères ayant trait aux mécanismes structurants mobilisés par les genres et à leurs combinaisons possibles, et les classements obtenus varient alors en fonction du statut hiérarchique attribué à ces mécanismes par les chercheurs. Sous ce dernier aspect, l'impossibilité de classement n'est que la conséquence de l'hétérogénéité et du caractère généralement facultatif des sous-systèmes contribuant à la confection de la textualité.

C’est manifestement pour faire pièce à ce genre de difficulté qu’a émergé la conception des « archigenres » (cf. Genette, 1986), comme catégories surplombant et organisant la distribution des genres : la catégorie de l’« attitude narrative » ou des « textes narratifs » engloberait des genres comme le roman, la nouvelle, le reportage, l’autobiographie, etc. ; la catégorie de l’« attitude argumentative » engloberait des genres comme le sermon, la monographie scientifique, l’exposé didactique, etc. Ce type d’approche revient en fait à transférer, à un niveau supra-ordonné eu égard aux genres, les propriétés des « modes » factuellement infra- ordonnés à ces mêmes genres (c’est-à-dire les propriétés des types de discours) ; et si elle doit pour cette raison être rejetée en tant que telle, elle invite néanmoins à une clarification de la nature des relations existant nécessairement entre le niveau des genres et celui des types de discours.

Un genre étant quasi toujours composé de plusieurs types de discours, il est tout d’abord parfaitement légitime de s’interroger sur les restrictions de sélection discursive dont pourrait témoigner un genre donné ; en d’autres termes, on pourrait et devrait examiner dans quelle mesure un type discursif est “possible” ou non dans un genre donné, ainsi que les formes de distribution et d’articulation de types qui seraient propres à un genre. Il s’agit là de questions empiriques, dont les réponses fourniraient une réelle contribution à la caractérisation même des genres. Mais il semble en outre que l’on puisse distinguer, dans les textes relevant d’un même genre, d’une part un type de discours dominant ou majeur, et d’autre part des types de discours dominés ou mineurs (cf. ATD, pp. 257-261) ; distinction qui ne se fonde pas nécessairement sur la taille respective de ces types (sur une comparaison de leur longueur), mais surtout sur un examen des modalités linguistiques de leurs articulations, qui fait apparaître que certains types

sont manifestement « enchâssés » dans d’autres. Ce type d’examen est aussi à développer, dans la même perspective de contribution à la caractérisation des genres.

Sur la base de la distinction qui vient d’être posée, il nous apparaît alors que ce qui est de fait visé par la notion d’archigenre, ce sont des ensembles de genres témoignant de la dominance d’un type de discours donné : la catégorie des « genres narratifs » ou des « textes narratifs » engloberait ainsi l’ensemble des genres au sein desquels le type de discours narratif est instauré comme majeur par rapport aux autres types susceptibles d’y être mobilisés ; la catégorie des « genres interactifs », l’ensemble de genres où le discours interactif est majeur, etc.

Le marasme en ce domaine nous paraît résulter d’une confusion des niveaux d’approche, ainsi que d’une absence de prise en compte de la dimension “fonctionnelle” et/ou “psychologique” des rapports des personnes à la textualité.

Si l’on s’en tient à un niveau d’approche proprement linguistique, c’est-à-dire centré sur les propriétés sémiotiques effectives de la textualité, les termes de « narration », « récit interactif », « discours théorique » ou « discours interactifs » (avec leurs variantes) ne peuvent désigner que des segments de textes exhibant des configurations différenciées d’unités et de structures (et sous-tendus par des opérations spécifiques de constitution de mondes discursifs). Et il paraît dès lors parfaitement injustifié de “faire comme si” les propriétés linguistiques spécifiques d’un type inclus se trouvaient automatiquement transférées ou transférables au niveau du texte dans son entier, et partant pouvaient “objectivement” caractériser un genre ou un archigenre.

Cela posé, nous ne contesterons pas cependant que puisse exister, chez les producteurs de textes et surtout chez leurs interprétants, une sorte d’intuition textuelle dont la mise en œuvre conduit à considérer que tel ensemble de genres produit plutôt un “effet de narration”, tel autre ensemble plutôt un “effet argumentatif”, etc. ; intuition ou sentiment qui a donné lieu à d’intéressantes études empiriques (cf. Kuyumcuyan, 2002) et que nous analyserions comme suit.

- Etant en permanence confrontés aux genres, les personnes s’en construisent des connaissances qui sont notamment objectivement fondées sur les effets produits par les propriétés linguistiques des types majeurs que ces derniers comportent.

- Mais la prise en compte de ces propriétés linguistiques des types majeurs demeure cependant généralement implicite ou non technique (un interprétant ordinaire n’a pas nécessairement pris connaissance de l’analyse technique des types proposée dans ATD !), et les connaissances qui se construisent font donc abstraction de ces propriétés linguistiques, pour donner lieu à des intuitions globales de « ce qu'est raconter », « ce qu'est commenter », « ce qu’est décrire », ainsi qu’à une certaine connaissance des divers genres où se manifestent particulièrement ces attitudes discursives.

- Ces intuitions constituent alors des cadres interprétatifs, ou génèrent des « horizons d’attente » (cf. Jauss, 1986) sur la base desquels des valeurs « narratives », « argumentatives » ou autres peuvent être secondairement projetées sur certains ensembles de genres, au-delà de (ou sans prise en compte de) leurs propriétés linguistiques objectives. C’est ce processus qui nous paraît être aux fondements de la conception des archigenres, mais s’il est en soi intéressant à analyser, au plan d’une « science des textes », il ne doit pas conduire à la création de ces évidentes “fausses fenêtres” que désignent les expressions de « texte narratif », « texte descriptif », « texte argumentatif », etc., mobilisée notamment parfois par François Rastier, et dont nous évitons pour notre part soigneusement l’emploi.

CHAPITRE IV