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Avant de prendre en compte la globalité du cahier des charges du système que l’on souhaite développer, regardons tout d’abord les niveaux d’énergie et de puissance crête en question. Comme indiqué ci-dessus, l’énergie visée est de l’ordre du millijoule et les puissances crête de l’ordre de plusieurs centaines de kilowatts. En comparant ces chiffres à ceux de la littérature, les objectifs fixés ne semblent pas déraisonnables. En effet, le record d’énergie délivrée par un système laser fibré dans la gamme nanoseconde date de 2012 [46]. Dans l’article en question, les auteurs présentent un système permettant de délivrer, dans un régime multikilohertz, des impulsions possédant une énergie de 26 mJ et une puissance crête maximum de 500 kW60. Ces chiffres sont extrêmement impressionnants et laisse à penser que notre objectif n’est finalement pas très ambitieux ! Toutefois, il est nécessaire de souligner que le système présenté dans cet article ne correspond en rien à notre cahier des charges… Ainsi, les impulsions délivrées possèdent une durée de l’ordre de 50 ns ainsi qu’une largeur spectrale d’un nanomètre centrée à 1040 nm. Pour rappel, notre objectif est d’amplifier des impulsions de durée comprise entre 3 et 10 ns et dont la largeur spectrale minimale est d’environ 0,1 nm (=1053 nm). Plus gênant encore, au-delà des différences constatées sur les propriétés spectro-temporelles des impulsions, le système proposé est intrinsèquement en désaccord avec notre cahier des charges. Il s’agit en effet d’un système en espace libre dans lequel l’amplification est réalisée au sein de fibres rigides (obligation de les injecter en espace libre). De plus, ces fibres de type LPF (pour l’anglais Large Pitch Fiber) ne sont pas PM et l’obtention d’un faisceau monomode (avec un M² < 1,3 c’est-à-dire proche de la limite de diffraction) est conditionnée à l’extraction d’une puissance moyenne bien supérieure à 50 watts61 (nous constatons Figure II-2 (b) une amélioration du profil spatial de sortie à mesure que la puissance moyenne augmente). Il est donc indispensable de regarder les performances obtenues avec des systèmes plus en accord avec le cahier des charges établi dans le premier chapitre pour évaluer les performances accessibles dans le cadre de notre problématique. Ainsi, un article de 2010 [47], fait état de l’obtention de niveaux d’énergie/puissance crête proches de ceux envisagés pour notre application. Dans cet article, les impulsions amplifiées possèdent une durée légèrement inférieure à la nanoseconde (~0,8 ns) et une largeur spectrale inférieure à 1 GHz à la longueur

59 La durée des impulsions que l’on souhaite amplifier est comprise entre 3 et 10 ns. La puissance crête maximale

envisagée dans nos systèmes est alors de 300 kW (1 mJ sur 3 ns).

60 La puissance moyenne obtenue est alors de 130 W.

d’onde de 1064 nm. Ces impulsions sont amplifiées dans un système de type MOPA (pour l’anglais Master Oscillator Power Amplifier) à deux étages. À une fréquence de répétition de 50 kHz, une énergie de 1,1 mJ par impulsion est obtenue pour une puissance crête de 1,35 MW. L’utilisation de fibres PM monomodes (fibres microstructurées à guidage par réflexion totale interne modifiée) permet également de délivrer un faisceau de polarisation linéaire proche de la limite de diffraction (M² < 1,2). Les performances de ce système sont encourageantes pour notre application. Toutefois, bien que les caractéristiques des impulsions amplifiées et l’architecture utilisée soient plus proches de notre cahier des charges que dans le cas du premier article mentionné, l’utilisation d’une fibre rigide de 100 µm de diamètre de cœur dans le dernier étage d’amplification biaise une nouvelle fois quelque peu la comparaison avec notre cahier des charges. Il est alors nécessaire de se restreindre aux systèmes dans lesquels sont uniquement intégrées des fibres souples.

(a) (b)

Figure II-2 : (a) Section transverse de la fibre amplificatrice utilisée dans le troisième et dernier étage d’amplification du système. Il s’agit d’une fibre de type LPF de 135 µm de diamètre de cœur (MFD~100 µm)

avec un air-clad de 425 µm de diamètre. (b) Illustration de la dégradation du mode spatial à faible énergie (puissance moyenne) (Issues de [46]).

Ainsi, quelques années auparavant [48], un MOPA composé de deux étages d’amplification basés sur une fibre de 40 µm de diamètre de cœur a permis de délivrer des impulsions de 1 ns, de 8 GHz de largeur spectrale (longueur d’onde centrale de 1062 nm) et de 810 µJ d’énergie (> 800 kW de puissance crête et ~8 W de puissance moyenne). L’utilisation de fibre PM monomodes permettait d’obtenir un PER de 20 dB allié à un faisceau proche de la limite de diffraction (M²=1,2). Il s’agit là d’un système très proche du cahier des charges présenté dans le chapitre précédent tant d’un point de vue des caractéristiques du signal que de celles du système. En effet, dans ce dernier, l’utilisation de fibres souples placées sur des diamètres de courbure inférieurs à 40 cm (~38 cm mentionné dans l’article) peut permettre la réalisation d’un système compact et monolithique62. Fort de ce constat, Laure Lago a développé durant sa thèse un système d’amplification de type MOPA composé de deux étages d’amplification. Grâce à ce système basé sur des fibres PM, souples et monomodes, les premières démonstrations de l’amplification fibré forte énergie d’impulsions type LMJ ont été réalisées. L’utilisation dans le

62 Il est toutefois bon de noter que le système présenté dans l’article n’était pas entièrement fibré. L’explication se

trouve certainement dans l’absence, à l’époque, de composants fibrés permettant la réalisation d’un tel système. Aujourd’hui, suite aux évolutions des composants (principalement le MFD des fibres utilisées dans ces composants), il serait tout à fait possible de réaliser à partir de ce qui est présenté dans l’article, un système monolithique conforme aux exigences de stabilité de notre cahier des charges.

dernier étage d’amplification d’une fibre polarisante63 de 30 µm de MFD (40 µm de diamètre

de cœur) [49] a permis d’atteindre une énergie de 1,5 mJ pour des impulsions de 10 ns et une fréquence de répétition de 1 kHz. De même, un faisceau monomode (M²=1,1) et un PER supérieur à 25 dB ont été obtenu en sortie de ce système [8, 50]. Toutefois, la valeur de 1,5 mJ correspond à l’énergie maximale extraite du système et, à ce niveau, la forme temporelle des impulsions n’était plus maitrisée. Plus gênant encore, dès 500 µJ d’énergie par impulsion, l’apparition de composantes spectrales très éloignées de la longueur d’onde du signal a été observée en entrée de fibre (composantes spectrales se propageant en sens contra-propagatif au signal). Des exemples de spectres observés (en entrée de fibre) sont présentés Figure II-3. Leur analyse a permis d’identifier l’apparition de composantes discrètes sur une plage spectrale allant de 640 à 1340 nm. Un écart en fréquence constant (60 THz) entre les composantes voisines a permis de d’orienter les recherches vers un effet de mélange à quatre ondes. Cette hypothèse a été confirmée par simulations numériques [25] et justifie la nécessité d’utiliser des fibres plus courtes et/ou de plus grande aire modale afin d’atteindre des énergies/puissances crêtes supérieures.

(a) (b)

(c)

Figure II-3 : (a) Image de la section transverse de la fibre utilisée dans le dernier étage d’amplification du système développé pendant la thèse de Laure Lago. Spectres observés en entrée de la fibre du dernier étage

d’amplification pour un signal à 1 kHz et des impulsions de 10 ns d’énergie (b) de 650 µJ et (c) 1,51 mJ (Issues de [8]).

Dans ce sens, un travail important est mené depuis quelques années afin de réaliser des fibres optiques souples, monomodes (et dopées) et d’aire effective toujours plus importante. Parmi les voies suivies, les fibres basées sur le mécanisme de guidage par bandes interdites photoniques (BIP) semblent particulièrement pertinentes et prometteuses. Ainsi, dans un article récent [51], un certain nombre de démonstrations de la réalisation de fibres BIP dopées ytterbium, souples,

63 Différentiel de pertes très important entre les deux axes de polarisation, seul un mode de polarisation ayant alors

entièrement solides64 et présentant des diamètres de mode supérieur à 30 µm permettent

d’envisager la conception de systèmes lasers toujours plus puissants et énergétiques. Nous pouvons par exemple noter la fabrication d’une telle fibre présentant un diamètre de mode de l’ordre de 43 µm (diamètre de cœur supérieur à 50 µm) et délivrant un faisceau proche de la limite de diffraction (M²~1,2) [52]. Utilisant un tronçon de 7 m de cette fibre placée sur un diamètre de courbe de 65 cm, les auteurs ont pu démontrer l’amplification jusqu’à 400 W d’un signal continu, centré à 1064 nm et de largueur spectrale inférieure à 5 kHz non limité par la SBS65 témoignant de la capacité de cette fibre à repousser les seuils d’apparition des effets non- linéaires délétères. La structure transverse de la fibre ainsi que le profil spatial obtenu en sortie de fibre pour une puissance de 400 W sont présentésFigure II-4.

Toutefois, nous pouvons constater avec regret l’absence d’un dispositif (par exemple des barreaux de contrainte) permettant d’assurer le maintien de la polarisation du faisceau.

(a) (b)

Figure II-4 : (a) Structure transverse de la fibre présentée dans l’article [52]. Le diamètre du cœur est supérieur à 50 µm. (b) Profil transverse du faisceau en sortie de fibre pour une puissance de 410 W. Le MFD

est de l’ordre de 43 µm et le M² égale à 1,2.

Comme indiqué dans le premier chapitre, l’utilisation de fibre PM est impérative pour notre application en raison notamment du phénomène de conversion FM/AM. Nous avions également indiqué à juste titre la difficulté que représente l’ajout de barreaux de contraintes dans une structure transverse de fibre dont le contrôle des paramètres opto-géométriques est un élément critique pour l’obtention d’une fibre monomode. Malgré ces difficultés, le besoin de fibres PM de large aire modale pour des applications lasers incite les spécialistes de la réalisation de fibres optiques à travailler sur ces challenges techniques complexes et mène à des résultats probants. Nous pouvons par exemple citer la réalisation d’une fibre polarisante63 présentant une aire

effective de 1150 µm² (MFD ~ 40 µm pour un faisceau à symétrie circulaire) [53]. La structure transverse de la fibre ainsi que le profil du mode fondamental obtenu par simulations COMSOL® sont présentés Figure II-5. La présence de barreaux de contraintes mène, comme souligné dans le premier chapitre, à la déformation du mode fondamental de la fibre qui devient elliptique (confinement du faisceau par réflexion total interne au niveau des barreaux). Malgré cette déformation, le faisceau obtenu est proche de la limite de diffraction avec un M² inférieur à 1,2 selon les deux directions et le PER est supérieur à 20 dB pour un tronçon de 2,6 m.

64 La microstructuration de la gaine optique est réalisée grâce à des inclusions de matériaux solides à la différence

des fibres microstructurées air-silice à guidage par réflexion totale interne modifiée dont les inclusions correspondent à des « trous » d’air.

65 La puissance moyenne est alors limitée par la dégradation du profil spatial issue du phénomène d’instabilité

Toutefois, la pertinence de cette fibre pour la réalisation d’un système laser est limitée en raison (1) des fortes pertes par courbures qui obligent à placer la fibre de manière rectiligne et (2) de la trop faible absorption de la pompe à 975 nm (~0,6 dB/m lorsque la pompe est injectée dans la gaine).

(a) (b)

Figure II-5 : (a) Structure transverse de la fibre présentée dans l’article [53]. Le diamètre du cœur est supérieur à 50 µm. (b) Profil transverse du faisceau obtenu par simulation COMSOL® lorsque la fibre est

maintenue droite.

Figure II-6 : Schéma de la section transverse de la fibre hybride présentée lors du congrès Photonics West de 2017 [54]. Un zoom du cœur de la fibre permet de distinguer la zone dopée (verte) de l’anneau de silice pure

Plus récemment, une fibre dite hybride66 LMA et à maintien de polarisation a été présentée

[54]. Un schéma de sa section transverse est visible Figure II-6. Grâce à un cœur de 35 µm de diamètre et une géométrie de dopage optimisée pour l’augmentation du seuil de rétrodiffusion Brillouin stimulée, cette fibre offre une réelle solution pour l’amplification d’un signal de faible largeur spectrale. Pour preuve, un tronçon de 9 m placé sur un diamètre de courbure de 65 cm a permis la démonstration de l’amplification d’un signal continu d’environ 1 GHz de largeur spectrale (=1064 nm) jusqu’à 820 W sans présence de SBS. Une très bonne qualité spatiale de faisceau (M²~1,2) est obtenue jusqu’à 820 W avant une nette dégradation résultant du phénomène d’instabilité modale liée aux effets thermiques (forte puissance moyenne). Cette fibre confirme alors le potentiel des fibres LMA souples pour l’amplification d’impulsions de forte énergie/puissance crête. De plus, la limite en termes de taille de mode semble être sans cesse repoussée. Ainsi, deux articles [55] et [56] rapportent la fabrication de fibres dopées capables de délivrer un faisceau en limite de diffraction malgré des diamètres, respectivement de cœur et de mode, de 60 µm. Bien que ces fibres ne correspondent pas aujourd’hui au cahier des charges du système que l’on souhaite développer (notamment en termes de maintien de polarisation), elles laissent entrevoir de belles perspectives d’augmentations de l’énergie et de la puissance disponibles en sortie des systèmes lasers entièrement fibrés ! Ainsi, d’après ce rapide état de l’art, il semble possible de réaliser un système entièrement fibré capable de délivrer les niveaux d’énergie et de puissance crête visés67. Toutefois, bien que très

avantageuses et prometteuses, les fibres souples LMA présentent un dernier inconvénient lié à leur injection. Celui-ci est explicité ci-dessous et permet d’orienter notre choix vers un autre type de fibres pour la réalisation de nos systèmes d’amplification.