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1.2 Les caractéristiques de l’oral en classe

1.2.6 Des obstacles didactiques

Portées par de nombreuses interventions didactiques, les caractéristiques de cet oral attendu en classe devraient être investies par les élèves. Néanmoins, les séances de langage restent difficiles.

Pour l’enseignante, elles sont même « épuisantes », selon ses propres mots.

« Le gros problème, c’est la participation active des élèves, ce sont toujours les mêmes qui

répondent et les autres faut sans cesse aller les chercher » (Journal, le 30 janvier 2014).

Du côté des élèves, les difficultés sont en effet significatives.

Dès les premiers extraits, nous avons pu relever combien les attendus particuliers des séances de langage font l’objet de nombreux énoncés erronés de la part des élèves et d’une évaluation directement négative de la part de l’enseignante.

Dans ce contexte, peu d’élèves semblent participer vraiment et positivement. Beaucoup sont silencieux, invisibles, certains surpris alors en situation de « tu n’écoutes pas », « tu ne peux pas répéter ». Ainsi, le recensement et le classement des prises de parole des élèves lors de la journée du 24 janvier 2014 montrent que cette participation n’est pas évidente.

Elèves qui participent beaucoup Elèves qui participent pas ou peu

sanctionnés légitimés AR silencieux / invisibles surpris en flagrant délit de non écoute Mehdi, Djibril Elisa, Riyad, (Eros) Shana, Madyson Hugo

Cyprien, Sena, Léna, Avana, Lina, David, Nour, Julian, Camila, Mara

Shanis, Anadil, Lylian, Madyson, Camille, Nana, Djibril

Par ailleurs, l’observation du réseau de communication en étoile révèle que, dans ces échanges centralisés, la parole n’est pas la même pour tous.

Nous avons vu ainsi que les énoncés de Riyad sont un appui fréquent pour la progression du discours didactique.

Il en est de même pour Elisa. La maitresse le souligne d’ailleurs :

« Avec Elisa on gagne à tous les coups », « tu as du vocabulaire » (Journal, le 23 janvier 2014).

A l’opposé, des élèves sont régulièrement dans la difficulté. C’est le cas notamment pour Mehdi et Djibril que nous retrouvons dans une activité où les élèves doivent transformer des mots masculins en mots féminins.

L’extrait suivant commence sur une confusion. Les élèves donnent le mot à transformer, donc le masculin, alors que la maitresse attend directement la réponse, à savoir le féminin.

Participation des élèves le 24 janvier 2014

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L’incompréhension dure. Du coup, Mehdi utilise tous les moyens à sa disposition pour répondre au contrat didactique, même l’impensable...

Extrait 16 (Vidéo, 4 février 2014)

1 M ensuite

2 XXX CE1 un canard - canard [plusieurs fois ensemble] 3 M quoi ? quoi ?

4 xx un canard 5 M quoi ? quoi [...] 6 Mehdi CE1 un canarde

7 M la canne de Jeanne [la maitresse chante]

Quelques instants plus tard, Djibril s’agite.

Extrait 17 (Vidéo, 4 février 2014) 5_4 fev 11 un canarde homonyme cane canne 1’35

1 M c’est quoi une canne alors ? Djibril 2 Djibril c’est c’est par exemple

3 M non pas par exemple c’est ?

4 Djibril c’est c’est - c’est un - bâton [en difficulté, bégaye] 5 M ohlala [brouhaha]

6

M oui, oui bien sûr la canne c’est un bâton [mimant le geste de la canne comme Charlie

Chaplin] c’est autre chose aussi Djibril ! [...]

7 Mehdi comme Charlie Chaplin [...] 8

XX c’est la mère du canard [les élèves parlent entre eux pendant une remarque disciplinaire

à un autre élève de CP]

9 Djibril c’est la mère du canard 10 M la ?

11 Djibril mère du canard

12 M oui oui mais c’est parce qu’on vient de te le souffler

Au fil des séances, la configuration asymétrique entre les élèves ne semble donc pas se modifier, ne manquant pas de questionner le renforcement des compétences pour les élèves dont les énoncés sont très valorisés et au contraire, d’interpeler l’absence de progression pour ceux qui n’arrivent pas à sortir de leurs énoncés erronés.

Un autre type de difficultés observé dans ces séances de langage provient du fait que les ressources des élèves ne sont pas facilement exploitables.

Souvent silencieux, les élèves montrent également des marques d’ « insécurité linguistique » dont Michel Francard souligne que c’est :

« l’institution scolaire qui [la] générerait [...] en développant à la fois la perception des variétés linguistiques et leur dépréciation au profit d’un modèle mythique et inaccessible » (cité par Bulot & Blanchet, 2013 : 60).

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C’est certainement le cas de Djibril comme nous venons de le voir ou de Camila dans la séance de vocabulaire suivante.

Extrait 18 (Vidéo, 27 janvier 2014)

1

M

il a mis un polo c’est quoi / qu’est-ce qu’un polo ? QU’EST-CE QU’UN POLO ? vous faites une phrase ! [...] comment peut-on définir en une phrase ce qu’est un polo je t’écoute Lina

2 Lina CP c’est un habit - - - - 3

M c’est un habit - - - qu’est-ce qu’on pourrait rajouter pour préciser comment est cet habit ? qui a une idée Riyad ?

4 Riyad CP c’est un habit pour les garçons 5

M on peut parler de polo aussi pour les filles donc euh c’est pas tout à fait vrai ce que tu dis - Camila

6 Camila¨CE1 un polo c’est un habit qu’on met [tout doucement] 7 M c’est un habit ? j’ai pas entendu

8 Camila c’est un habit qu’on met [encore plus doucement]

9 M qu’on met - oui ça forcément Camila un habit on le met donc c’est pas assez précis

Ailleurs, l’objectif de précision lexicale se satisfait mal de procédés langagiers différents.

Extrait 19 (Journal, le 23 janvier 2014)

1 M comment s’appellent les animaux qui ne mangent que des fruits et des légumes et de - ? 2 X des végétaliens

3 M non

4 X des végétaux

5 M non - - alors, je vous aide, ils mangent de l’herbe 6 Mehdi CE1 des verdiens [dit sérieusement. Et oui, l’herbe, c’est vert] 7 M non, tu inventes - ils mangent de l’herbe ce sont des HERB ? 8 X des herbivores

9 M oui

Dans cet extrait, les élèves font la preuve de compétences significatives dans les procédés de catégorisation thématique et de formation des mots par dérivation. Le monde du végétal est mis en réseau autour des fruits et des légumes (cf. végétal, vert) et une règle de formation des mots s’exerce (ajout du suffixe -IEN).

Néanmoins, au regard des attendus de la langue à approcher en classe, les compétences apparaissent inexploitées - pour ne pas dire inexploitables.