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2.1 Langue(s) d’Ici

2.1.1 De l’hétérogène en sociolinguistique

Retenons l’avertissement de Pierre Encrevé dans son positionnement de linguistique auprès de William Labov :

« La linguistique a toujours reconnu l’existence d’une variation dite stylistique, mais sans jamais lui donner de statut que vague, de définition qu’impressionniste ; sans l’intégrer au système de la langue - sauf en formes ‘optionnelles’ ». (Encrevé, 1976 : 19).

La première assise est ainsi donnée par un précurseur d’importance dont témoigne l’auteur pour la tradition française et Ronald Wardhaugh dans le monde anglophone :

« […] Labov, the most influential figure en sociolinguistics in the last forty or so years. » (Wardhaugh, 2010 [1986] : 3).

Dans le sillage de William Labov, la linguistique entre en variation contre le projet de son père fondateur : Ferdinand de Saussure. Renvoyé aux temps troubles d’une Europe en crise19, ce projet se comprendra plus tard contre une vision « homogène » du social, voire une vision « unificatrice » pour Pierre Encrevé.

« La différenciation linguistique (la variation) ne relève pas de la nature sociale de la langue mais de la nature individuelle de l’emploi de la langue [...]. Du langage, tout ce qui différencie, distingue, oppose des locuteurs, tout ce qui divise la communauté linguistique, est renvoyé à l’enfer du fait individuel : la ‘variation libre’ » (Encrevé, 1976 : 11).

Avec le temps de la « parole » retrouvée, l’autre concept saussurien, la variation s’affiche contre le primat scientifique de la « langue » mais aussi contre la conception d’un « locuteur idéal » de Noam Chomsky.

« Dans les approches structuralistes et générativistes, parole et performance ne sont donc que des avatars délibérément exclus de l’étude du langage, qui, au final, n’est donc pas décrit et analysé dans l’exercice de l’une de ses fonctions fondamentales : communiquer. » (Trimaille, 2003 : 12).

Cette fonction essentielle marche alors de concert avec le contre-projet de l’hétérogène linguistique.

« D’un côté on mettrait l’accent sur l’organisation des phonèmes d’une langue, sur sa syntaxe, de l’autre sur la stratification sociale des langues ou sur les différents paramètres qui dans la langue varient selon les classes sociales » (Calvet, 2013 : 4).

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De cette répartition, retenons avec William Labov des points d’appui arbitrairement choisis pour leur valeur heuristique à la réflexion présente, sans oublier pour autant les développements critiques dont certains peuvent faire l’objet.

Appui 1 - Les traits révélant la variation sont de nature phonologique.

Appui 2 - Les formes alternantes - « variantes » - sont sémantiquement équivalentes. Appui 3 - L’angle d’étude de la variation est plus synchronique que diachronique. Appui 4 - Cette approche « distributive » est conduite par des paramètres sociaux.

Appui 5 - Cette conduite génère des modèles, « une prédictibilité » (Encrevé, 1976 : 16) qui redonne à la sociolinguistique une légitimité « scientifique » perdue lors de son orientation sur la variation « libre », tournée vers la « parole », voire l’individu.

Appui 6 - Les variantes ont une valeur sociale pour les membres d’une communauté linguistique et sont utilisées de façon socialement significative. Elles portent des « identités conflictuelles », une division par appartenance entre locuteurs de « divers groupes et fractions de groupes en lutte » (Encrevé, 1976 : 15).

Appui 7 - Le « vernaculaire », unité stylistique représentative d’un groupe social, n’est pas pour autant :

« le lieu enfin trouvé de l’invariance structurale [...] La variance sociale et/ou stylistique peut être conçue comme la coexistence dans une communauté et/ou chez un même locuteur d’un nombre quelconque de sous-systèmes homogènes, coexistence qui ne menace en rien l’analyse de chaque sous-système comme structure de régularités invariables. » (Encrevé, 1976 : 30).

En conséquence (8 et 9) :

Appui 8 - Il n’y a pas de locuteur monostyle.

Appui 9 - La variation est intrinsèque au système linguistique. Une conception qui n’est pas sans balayer :

« l’interprétation classique en terme de code-switching, alternance stylistique ou dialectale, qui ferait du locuteur une sorte de bilingue basculant sans arrêt d’un système à un l’autre » (Encrevé, 1976 : 30).

Appui 10 - Le « style » ne se catégorise pas en présence ou absence de variables mais par leur fréquence « (ni 0 % ni 100%) » (Encrevé, 1976 : 31).

Appui 11 - Le « style » est contextuel. La variation des paramètres par l’enquêteur modifie la fréquence des variables retenues.

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Appui 12 - Cette fréquence s’établit selon la quantité d’attention que le locuteur porte à son langage. Un seul axe détermine ainsi les variétés stylistiques : de la plus familière, le vernaculaire qui est le langage nécessitant peu ou pas d'attention, à celle qui en exige le plus, le standard.

Opérant à l’échelle individuelle et sociale, la variation marque avec cet apport de William Labov le champ théorique mais aussi didactique, comme nous le verrons. Une contribution majeure dont l’influence n’a d’égale que la critique ; critique concernant notamment la question unidimensionnelle que nous retrouverons dans l’exploration pédagogique. Ainsi, pour Dell Hymes, un auteur fondamental de notre étude :

« La difficulté c’est que les techniques et les variations mises en évidence dans une telle approche ne semblent pas adéquates à une explication générale des styles d’une communauté. Il semble que le degré d’attention porté à la parole présente aussi d’autres propriétés et que ces propriétés ne soient pas nécessairement les mêmes dans tous les groupes. Labov a tendance à faire du vernaculaire la base d’où divergent les autres variétés ; mais il existe des locuteurs pour lesquels le vernaculaire serait la variété qui exigence l’attention la plus soutenue. » (Hymes, 1991 : 147).

Pour l’heure, demeure avec William Labov le point d’appui qui permet d’appréhender les langues dans leur usage polymorphe : une hétérogénéité constitutive du langage dont les effets d’imposition sont questionnés à présent à travers une autre conception, celle des registres et des niveaux. Sur ce terrain didactique, l’équivalence sociolinguistique, à savoir

langue égale variation, est cependant loin d’être une évidence. Avançant à pas feutré, la

variation propose alors des procédés distincts du self monitoring introduit par William Labov.