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CHAPITRE 2 -LES ENJEUX D’UNE APPROCHE MULTI-MENACES

2. Des modérateurs spécifiques à certaines menaces du stéréotype

spécifiques à certains types de menace, nous développerons notre propos à partir de trois variables : l’identification au groupe, l’adhésion au stéréotype et la conscience de la stigmatisation.

2.1. L’identification au groupe

L’identification au groupe correspond pour l’individu à l’importance qu’il accorde à son appartenance groupale. Cette variable serait alors importante pour l’émergence des menaces ciblant le groupe alors qu’elle ne le serait pas pour celles qui visent l’individu (Shapiro & Neuberg, 2007). Ce raisonnement théorique a été partiellement validé par Shapiro en 2011 sur les perceptions de menace. Plus précisément, elle a montré que des membres qui s’identifient faiblement au groupe (les individus qui souffrent d’un trouble psychologique ou d’un surpoids) perçoivent davantage les menaces qui ciblent l’individu que celles qui ciblent le

61 groupe (Shapiro, 2011).

Wout et ses collaborateurs (2008) ont, quant à eux, montré le rôle modérateur spécifique de l’identification au groupe sur les performances réalisées en situation de menace du stéréotype ciblant le groupe. Ils ont demandé à leurs participantes d’effectuer une tâche mathématique qui n’était pas liée aux capacités en mathématiques (contrôle), qui permettrait de déterminer les capacités personnelles en mathématiques de la participante (cible de la menace : l’individu), ou qui permettrait de déterminer les capacités en mathématiques du groupe des femmes (cible de la menace : le groupe d’appartenance). L’identification au groupe des femmes modère la performance en mathématiques de femmes placées dans la situation de menace qui cible le groupe mais pas la performance de celles placées en situation de menace ciblant l’individu. L’identification au groupe semble être modérateur des performances exclusivement réalisées en situation de menaces ciblant le groupe.

2.2. L’adhésion au stéréotype

L’adhésion au stéréotype correspond à la croyance au stéréotype : le stéréotype refléterait la réalité.

Selon Shapiro et Neuberg (2007), l’adhésion au stéréotype est un modérateur des menaces provenant de soi mais pas de celles provenant des autres. Plus précisément, un individu ne craindra pas de confirmer à ses propres yeux que le stéréotype est vrai pour lui et/ou pour son groupe s’il pense que le stéréotype est totalement erroné. A l’inverse, il peut, même si il pense que le stéréotype est faux, craindre le regard que les autres porteront sur sa performance.

Le fait que l’adhésion au stéréotype soit davantage impliquée dans les menaces provenant de soi a été confirmé au travers des perceptions de menaces. Par exemple, Shapiro (2011, étude 1) a montré que les membres de groupes qui adhèrent en général faiblement aux stéréotypes négatifs (minorités ethniques ou minorités religieuses) rapportent moins de

62 menaces provenant de l’individu que de menaces provenant des autres.

Cette hypothèse est aussi, en partie, validée concernant le rôle modérateur de l’adhésion au stéréotype sur la chute des performances. Cette validation peut être interprétée au regard d’études menées antérieurement au modèle multi-menaces qui n’avaient pas pour objectif de mettre à l’épreuve cette hypothèse. Toutefois, l’analyse de la méthodologie employée tend à valider ce raisonnement théorique.

En situation de menace du stéréotype, l’adhésion au stéréotype est une variable qui joue un rôle modérateur dans certaines études (Bonnot & Croizet, 2007 ; Schmader et al., 2004, étude 2) tandis qu’elle ne tient pas ce rôle dans d’autres études (Leyens et al., 2000). L’étude de Schmader et collaborateurs (2004) s’intéresse aux performances mathématiques des femmes et celle de Leyens et collaborateurs porte sur les performances « affectives » des hommes en situation de menace du stéréotype. Ce résultat contradictoire peut sembler étonnant dans la mesure où l’activation de la menace peut au prime abord paraître analogue. Une première analyse de la méthodologie employée dans ces deux études nous indiquerait que les consignes placent les participants dans des situations de menaces provenant des autres. Les performances étaient en effet publiques ; le regard d’autrui et notamment des chercheurs pouvaient donc être menaçants. Toutefois, une seconde analyse centrée sur les tâches à exécuter par les participants apporte un nouvel élément de compréhension. La tâche des participants était la complétion d’une partie du GRE (Graduate Record Examination) dans l’étude de Schmader et collaborateurs (2004) tandis qu’il s’agissait d’une tâche de décision lexicale dans l’étude de Leyens et collaborateurs (2000). Ces deux tâches se distinguent dans les possibilités d’appréciation de ses résultats par les participants. En effet, les tâches de décision lexicale sont peu communes contrairement aux exercices proposés dans le GRE. On peut donc imaginer que, pour le GRE, les individus ont pu inférer leur performance puisqu’il s’agit d’un test couramment utilisé pour les évaluations scolaires aux Etats-Unis. Dans cette

63 étude, les participants ont donc pu craindre, en plus du regard des autres, leur propre regard. De fait, le rôle modérateur de l’adhésion au stéréotype observé dans cette étude serait, en réalité, lié à la crainte du regard de l’individu sur sa performance. En revanche, dans l’étude de Leyens et collaborateurs (2000), la tâche de décision lexicale, peu commune aux participants, ne leur permettrait pas d’évaluer leur propre performance. Dans cette étude, nous pensons donc que seules les menaces provenant du regard d’autrui sont apparues. Pour les percevoir, il n’est pas nécessaire de croire au stéréotype pour en subir les conséquences. Ainsi, dans cette étude, l’adhésion au stéréotype n’était pas liée à la chute des performances des participants.

Comme nous venons de le présenter, l’absence de consensus sur l’effet modérateur de l’adhésion au stéréotype peut être liée au type de menace induite. L’adhésion au stéréotype concerne le rapport que l’individu a avec le stéréotype. La conscience de la stigmatisation, quant à elle, fait référence à la perception du rapport que les autres ont avec le stéréotype.

2.3. La conscience de la stigmatisation

La conscience de la stigmatisation correspond à la perception d’être probablement perçu par autrui de manière stéréotypée (Pinel, 1999). Elle peut être considérée comme nécessaire aux menaces provenant des autres mais pas à celles provenant de l’individu. Les menaces provenant des autres peuvent émerger même si les individus n’ont ni intériorisé ni même n’adhère au stéréotype ; le fait de penser que d’autres y adhèrent est suffisant à faire émerger les menaces provenant des autres.

Ici encore, certaines études tendent à valider cette hypothèse. Comme nous l’avons souligné dans le chapitre 1, certaines études mettent en exergue le rôle central de la conscience de la stigmatisation sur les performances que l’on observe auprès des individus placés en situation de menace du stéréotype (Brown & Pinel, 2003 ; Sekaquaptewa & Thompson, 2003) alors que d’autres relativisent ce rôle (Aramovich, 2014 ; Inzlicht & Ben-

64 Zeev, 2003 ; Wout et al., 2008). La conscience de la stigmatisation est nécessaire spécifiquement aux menaces provenant des autres : les personnes ayant une forte conscience de la stigmatisation sont effectivement les plus vulnérables aux effets de menaces du stéréotype (Brown & Pinel, 2003 ; Sekaquaptewa & Thompson, 2003). Toutefois, elle n’est pas nécessaire aux menaces provenant de l’individu : des études soulignant la faible possibilité d’être perçu par autrui de manière stéréotypée via le caractère privé et confidentiel de la tâche (menaces provenant de l’individu) retrouvent un effet délétère sur les performances (Inzlicht & Ben-Zeev, 2003 ; Wout et al., 2008).

Dans cette partie, nous ne pouvons pas valider intégralement l’hypothèse selon laquelle les menaces sont modérées par des variables différentes. En effet, la mise à l’épreuve de l’existence des types de menaces reste minoritaire dans la littérature. C’est pourquoi nos raisonnements sont parfois basés sur des inférences à propos des méthodologies employées dans les études. A notre connaissance, aucune étude n’a comparé l’effet modérateur de ces variables en fonction des types de menaces. C’est justement tout l’enjeu de cette thèse.

3. Les enjeux d’une approche multi-menaces et objectifs généraux