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Migration individuelle

2.3 Rôle des paramètres physiques de la matrice

2.3.1 La densité et la rigidité

 La densité

In vivo, les tissus interstitiels sont extrêmement variés en terme de porosité, ou de texture de

fibres de collagène (figure 33). Il a été démontré que la migration est optimale si la taille du pore dans lequel la cellule va s’infiltrer est de la même taille ou légèrement plus resserré que le diamètre de la cellule (Friedl and Wolf, 2009). Si le pore est plus gros, le manque d’interaction cellule/MEC ralentit la migration jusqu’à ce que la cellule trouve au moins une fibre le long de laquelle elle peut évoluer (Doyle et al., 2009).

Le concept émergeant actuellement est qu’en réponse à un confinement, les cellules s’allongent pour réduire leur diamètre cellulaire et éventuellement utilisent leurs protéases pour élargir les pores de la matrice, tandis qu’au sein d’une matrice avec des pores plus larges, elles adoptent un phénotype arrondi et se faufilent par déformation du corps cellulaire. (Friedl and Wolf, 2009). Cependant ce concept n’est valide que si on observe les mêmes cellules dans les deux contextes environnementaux. C’est effectivement ce qu’ont remarqué les équipes de Christophe Marshall et d’Erik Sahai où la même lignée tumorale adopte un phénotype plutôt mésenchymal au sein d’une tumeur tandis que, dans l’environnement autour de cette même tumeur, les cellules évoluent préférentiellement selon un phénotype amiboide (Pinner and Sahai, 2008b; Sanz-Moreno et al., 2008). Cependant la comparaison peut être criticable dans le sens où les deux environnements ne sont pas comparables, l’un étant composé essentiellement de cellules et l’autre de MEC. Ces mêmes équipes ont par ailleurs montré qu’au sein de la même matrice reconstituée in vitro (Matrigel™), certaines cellules tumorales évoluaient selon un mode amiboide tandis que d’autres selon un mode mésenchymal (Sahai and Marshall, 2003), montrant ainsi que la matrice seule n’est pas prédictrice du mode migratoire des cellules et que les capacités intrinsèques de la cellule à se déformer et/ou à dégrader sont également importantes.

 La rigidité

La rigidité du substrat dépend du contenu en collagène, de la présence de ponts covalents, de l’épaisseur des fibres… Cela définit la stabilité et la déformabilité (élasticité) de la matrice.

La plupart des études sur l’impact de la rigidité sur la migration des cellules ont été menées en 2D : par exemple sur les neutrophiles, plus le substrat est rigide, plus les neutrophiles adhèrent

et plus leur migration est ralentie (Oakes et al., 2009; Stroka and Aranda-Espinoza, 2009). De plus les macrophages alvéolaires s’étalent de plus en plus à mesure que le substrat se rigidifie (passage d’une mono-couche de cellules épithéliales à du verre) (Fereol et al., 2006) et ceci s’accompagne par la rigidification du cytosquelette d’actine (Fereol et al., 2008). Les cellules sont capables de détecter la rigidité de la matrice via leur récepteurs intégrines qui transmettent alors l’information au cytosquelette d’actine afin de moduler la tension cellulaire (Revues : (Berrier and Yamada, 2007; Moore et al., 2010)). Ainsi si la rigidité augmente, cela favorise la formation de protrusions et d’adhérences tandis que si la matrice est souple, elle favorise un phénotype arrondi (Friedl and Wolf, 2009). Dans la même idée, il a été montré dans un modèle 3D in vitro, que si la rigidité de la matrice (mélange de collagène I et de Matrigel™) était augmentée à un niveau comparable de celui rencontré dans l’environnement d’une tumeur mammaire (il y a un facteur x6 entre le tissu d’une glande mammaire saine et le stroma lié à une tumeur mammaire), il y avait induction de la croissance tumorale, du clustering d’intégrines, de la formation d’adhérences focales et de la contractilité

via le chemin Rho/ROCK (Paszek et al., 2005). Ainsi les auteurs proposent que la rigidité de

la matrice déclenche la formation d’adhérences focales (rôle de mécano-senseurs des intégrines) ce qui augmente la tension du cytosquelette via Rho/ROCK. Le chemin Rho/ROCK activerait la signalisation Erk qui régule la prolifération cellulaire. De plus, l’augmentation de la contractilité cellulaire favorise l’accroissement de la rigidité du substrat. Ainsi cette boucle autocrine favoriserait la croissance tumorale (Huang and Ingber, 2005).

En 2D, si elles ont le choix, les cellules ont tendance à migrer vers le substrat de plus forte rigidité ou plus riche en ligands (Lo et al., 2000). C’est le phénomène de durotactisme. En revanche en 3D, lorsque la migration est observée en faisant varier la concentration en ligands intégrés à la matrice et la densité de cette matrice (Matrigel™), la migration optimale n’apparaît pas aux concentrations les plus élevées en ligands ni dans les matrices les plus denses mais à des valeurs intermédiaires de ces paramètres (Zaman et al., 2006). Cependant cette étude reposant sur la mesure de vitesse dans les différentes conditions testées ne permet pas de conclure si le durotactisme observé en 2D s’applique en 3D. In vivo, dans les biopsies de cancer du sein, la densité de collagène I est accrue, elle s’accompagne de la présence de foci fibrotiques et est corrélée avec le risque métastatique (Levental et al., 2009). De plus, il a été montré que la présence de cette densité accrue de collagène promeut l’apparition d’adhérences focales (invadopodes) et l’invasivité des cellules tumorales in vivo dans un

Figure 34: Illustration du ré-arrangement de la MEC par les cellules tumorales mésenchymales

Dans la glande mammaire, le collagène entoure les cellules épithéliales (bleu). Dans le cas d’une tumeur, les cellules transformées (rouge) réorientent le collagène perpendiculairement à la glande pour faciliter leur sortie.

modèle de cancer mammaire (Levental et al., 2009)et in vitro en 2D (Parekh and Weaver, 2009)où la dégradation des invadopodes est également accrue.

Nous avons déjà vu que la présence de ponts covalents dans le collagène influencait grandement le mode migratoire de cellules tumorales en 3D in vitro, les faisant passer d’un mode indépendant de MT1-MMP dans du collagène dénaturé à un mode dépendant entièrement de cette protéase dans le cas du collagène natif (figure 31) (Sabeh et al., 2009). Ainsi à nouveau les capacités intrinsèques de la cellule sont à considérer en parallèle des paramètres environnementaux (ici capacité à compenser l’inhibition de la protéolyse dans une matrice très rigide).

D’autre part, en plus des liaisons covalentes, la concentration de la matrice impacte sa rigidité : dans les modèles in vitro couramment utilisés pour mimer la migration 3D, la concentration de collagène utilisée ne dépasse pas les 5mg/mL alors qu’in vivo, un épiderme contient à peu près 70% de collagène de type I soit environ 140mg/mL en poids humide. Ainsi, les conditions in vitro ne miment pas parfaitement les conditions in vivo (Even-Ram and Yamada, 2005).

Ainsi, même s’ils manquent encore des données 3D, il apparaît que la rigidité du substrat influence la migration des cellules en 3D.