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DE NOS DIVERS GROUPES DE PATURAGES

Dans le document CANADIEN NATURALISTE (Page 138-144)

par L.-J. BOULET

Ministère de l'Agriculture, Collège Macdonald

Le « Comité Provincial des Pâturages », dans ses recomman-dations I sur l'amélioration des pâturages, classe ces récoltes en cinq groupes: les pâturages naturels, les pâturages à long terme, les pâturages à court terme, les gazons dans la rotation et les gazons complémentaires. Ce dernier groupe comprend les pacages annuels et les pacages de regain. Vu que ces pâturages de regain sont, tant au point de vue botanique qu'écologique, de vrais pacages dans la rotation, nous les traiterons ici comme tels.

Les autres gazons complémentaires sont tous annuels.

Ce groupement agronomique est très pratique: il correspond à des possibilités et à des besoins différents. Mais, à la base même de cette classification, se trouvent des caractères botaniques et écologiques particuliers à chacun de ces cinq groupes. C'est le but de cet article d'exposer brièvement la nature de ces caractéristi-ques.

Dans la Province de Québec, l'homme s'est plus ou moins asservi la végétation d'un domaine agricole d'une quinzaine de millions d'acres. Les degrés de « servitude végétale » y varient beaucoup. Dans ce domaine humanisé, il y a encore de la forêt vierge, sur laquelle l'homme n'a pas encore établi son influence écologique, et des associations forestières « progressives », qui marquent des stages intermédiaires d'un retour vers une complète 1. Ministère de l'Agriculture, Québec. Recommandations du Comité pro-vincial dot Pâturages pour 1944. Circulaire n° 119.

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indépendance vis-à-vis de l'homme. Nous y trouveront encore des types de végétation herbacée naturelle, situés dans des habitats naturellement trop humides pour l'établissement de formes végé-tales forestières; ce sont là, croyons-nous, nos seuls gazons natu-rels, que nous trouvons, par exemple, le long du fleuve St -Laurent.

Puis, dans les endroits où l'homme a détruit la forêt et où son influence, directe ou indirecte, se continue pour empêcher k retour de cette végétation forestière, une autre végétation herbacée s'établit spontanément, c'est-à-dire sans ensemencement artificiel préalable, à condition que le sol arable ne soit pas bouleversé par la charrue pendant quelques années. Cette végétation herbacée constitue nos pâturages senti-naturels. Enfin, grâce à des bou-leversements fréquents du sol à l'aide des instruments aratoires, l'homme réussit à établir des types de végétation artificielle et à les maintenir, durant quelques années, contre les poussées enva-hissantes des associations naturelles et semi-naturelles. Parmi cette végétation artificielle, il faut ranger surtout nos récoltes de céréales, nos pacages annuels, nos récoltes herbagères de l'asso-lement, etc.

d ' os pâturages naturels

Les gazons naturels et semi-naturels possèdent une composi-tion botanique stable, plus ou moins en équilibre avec les facteurs écologiques environnants. Cet équilibre implique, de la part des espèces qui constituent ces gazons, non seulement une grande adaptation aux conditions édapho-climatiques, mais aussi la possibilité de survivre indéfiniment sous les conditions adverses d'une paissance animale parfois intense et continue. De telles espèces possèdent généralement, sous nos climats, des rhizomes ou des stolons. Les principales graminées de ces pâturages naturels sont soit indigènes, telles que la Danthonie à épi (Dantho-nia spicata L. Beauv.), l'agropyre grèle ou ray-grass de l'Ouest (Agropyron tenerum Vasey), soit naturalisées, telles que le pâ-tùrin des prés (Poa pratensis L.), la fétuque rouge traçante (Festuca rubra L.), etc. Enfin, contrairement à tous les autres groupes de pacages, ces pâturages naturels sont constitués, entre autres, de graminées non ensemencées directement par

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l'homme: elles sont plutôt siultanées, généralement agressives, formant un cas (le dynanisme végétal intéressant, dont il faut se rendre compte pour bien comprendre certains de nos problèmes (l'herbages.

a) Les gazons naturels proprement dits. Ces pâturages, rela-tivement très rares dans Québec, sont cependant très abondants dans l'Ouest canadien. C'est la végétation naturelle des steppes.

Dans notre province, le « foin » de mer, tantôt pacagé, tantôt récolté, où les rouelles abondent, peut servir (l'exemple de

« pâturages » naturels. Il va sans dire que ce ne sont pas de vrais gazons. Cependant cette végétation herbacée naturelle existe sans l'intervention de l'homme. Elle est une fidèle ex-pression de la nature des conditions climatiques. Sa stabilité botanique est en fonction de la stabilité du climat et des conditions du sol. La concurrence des formes végétales supérieures n'y existe pas.

I)) Le.? gazon.? senti-naturels. Ces types de pâturage sont traités comme gazons naturels dans les « Recommandations du Comité provincial des Pâturages », pour éviter un vocabulaire inusité dans la pratique courante. Cette végétation semi-naturelle dépend de la Nature et de l'intervention plus ou moins continue de l'homme, qui se partagent l'influence écologique. La stabilité de sa composition botanitpie n'est pas dominée par la nature du climat, mais par la nature de l'intervention humaine. De tous nos gazons, les semi-naturels forment probablement le groupe le plus imposant. Grâce à leur agressivité, ils font une concurrence

« mortelle » à la grande majorité des pâturages ensemencés et ils ont tôt fait de les remplacer. On les voit apparaître de bonne heu-re dans les jeunes prairies où le mil domine. Dans une rotation de cinq ans, il arrive très souvent que la dernière sole, surtout si elle est pacagée, soit dominée par des espèces graminoides semi-naturelles, telles que le pâturin des prés, la fétique rouge traçante, l'agrostide coloniale (Agrostis tenuis Sibth.) etc.

Nos pâturages ensemencés

Les pâturages ensemencés diffèrent assez des gazons naturels.

Il y a toute une gamme botanique dans ce groupe. Les uns Vol. I.XXIII, Nos 6 - 8, juin - août 1946.

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sont caractérisés par un défaut plus ou moins complet de résis-tance à la paissance, tels ces regains de prairie à base de mil (Phleum pratense L.), de trèfle rouge (Trifolium pratense L.), tels aussi ces pacages annuels d'avoine (Avena saliva L.), d'herbe de Soudan (Sorghum vulgare var. sudanense, D'autres, par -ailleurs, ressemblent beaucoup au groupe des pâturages semi-naturels, en ce sens qu'ils en ont la stabilité botanique, l'agressi-vité, la résistance à la paissance. C'est le cas des pacages ense-mencés à long terme.

Mais, en général, ces gazons ensemencés sont caractérisés par une composition botanique instable, un manque d'harmonie entre leurs propriétés biologiques et les conditions dominantes du milieu environnant. Pour se maintenir un peu longuement, ils

nécessi-tent l'intervention de l'homme sous forme de protection culturale:

bonne préparation du terrain, destruction du vieux gazon agressif, fertilisation adéquate. En somme, bien souvent, leur milieu est artificiel, indépendant de la nature du climat et des conditions.

naturelles du sol (v. g. la luzerne (Medicago saliva L.), au point de vue chaulage et fertilisation).

a) Les gazons à long terme. En équilibre relatif avec espèces à foin y sont incluses pour fin temporaire, en vue d'établir rapidement une couverture végétale et de donner une production hâtive, en attendant l'établissement complet des espèces caracté-ristiques du pâturage à long terme. En vieillissant, ces gazons à long terme s'identifient avec les gazons naturels, du moins quant à leurs propriétés écologiques. Souvent, les espèces spontanées des pâturages semi-naturels y sont co-dominantes avec les espèces , caractéristiques ensemencées. Dans ce cas, ce seraient des pâtu-rages moitié semi-naturels, moitié ensemencés. Le type botani-que où le pâturin des prés, la fétubotani-que rouge traçante et des agros-tides se partagent la composition du gazon en serait, dans

cer-LE NATURALISTE CANADIEN,

LES PRINCIPAUX CAR ACTF;RES BOTANIQUES 141 taises régions du Québec, un exemple. En somme, on peut consi-dérer ce groupe comme renfermant toute une gamme de gazons intermédiaires entre le groupe des vrais pacages semi-naturels et le groupe des vrais gazons artificiels.

I,es gazons il court terme. Le but. particulier des pâturages à court terme est leur productivité supérieure. Ils sont surtout formés d'espèces productives: trèfle rouge et alsike (Trifolium hybridum L.), mil, brome (Bromus inermis I,eyss), dactyle pelo-tonné (Doctes glomerata L.), trèfle Ladino ( Trifolim m repens car.

latum), fétuque des prés ( Fest ara pratensislluds.); ces espèces sont incapables de lut ter indéfiniment et avec succès contre les espèces spontanées agressives, et, au bout de quelques années, celles-ci les ont remplacées. Aussi, comme une production intense et. une.

haute teneur en légumineuses sont particulièrement recherchées, on les renouvelle assez fréquemment. Si on ne les laboure. pas, ils se transforment généralement, comme nous venons de le (lire, en gazons senti-naturels. ('es pâturages ont donc une composition botanique instable, où les espèces spontanées sont, au début, négligeables et non caractéristiques.

Autrefois, sinon aujourd'hui, il était recommandable d'inclure dans les mélanges de semence pour gazons à court terme des

« herbes de fond », i. e. des espèces capables de tolérer l'ombre des plantes productives à croissance dressée, des espèces douées de la propriété de remplir le « fond du gazon », grâce à leur végéta-tion étalée. De tels mélanges semblent disparaître maintenant.

Ces herbes de fond demeuraient toutefois (l'importance secondaire.

e) Les pâturages organisés dans la principale rotation de la fer-me. Avec la disparition au moins partielle de l'habitude d'ense-mencer des herbes de fond dans les gazons à court terme, ce groupe de pacages de l'assolement peut se confondre avec le précédent.

Ce qui les distingue l'un de l'autre, ce sont plutôt les modes d'utili-sation que leurs aptitudes écologiques. Quant aux espèces botani-ques qui les caractérisent, elles sont plutôt les mêmes. Les gazons à court terme n'étaient généralement pas conçus pour être récoltés à l'état de foin: on n'y faisait généralement que de la paissance.

Quant aux gaz•►ns de l'assolement, ils sont, dans notre province,

ré-Vol. I,X XIII. Nos 6 - 8. juin -août 1946.

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coltés comme foin pour une couple d'années, et ensuite susceptibles d'être pacagés pendant un an ou deux. Mais aujourd'hui, en Nouvelle-Angleterre, il y a tendance à pratiquer indifféremment, soit la paissance, soit la récolte de foin en premier lieu. De plus en plus, ces deux sous-groupes vont se confondre et leur distinc-tion disparaître plus ou moins complètement, même dans Québec.

d) Les pâturages annuels. Les plantes utilisées dans ce groupe sont, pour ce qui est de la Province, totalement inadaptées à l'habitat de paissance. Ce sont « les moins gazons des gazons s.

Dans Québec, les espèces les plus recommandées sont l'avoine, l'herbe de Soudan, le seigle (l'automne (Secale cereale L.), la navette (Brassica campestris L.). Ils y sont totalement dépourvus d'équilibre avec le milieu climat et le facteur paissance animale.

Résumé et conclusion

Nous avons vu que les gazons spontanés, subdivisés en pâtu-rages naturels et serai-naturels, possèdent une composition bota-nique stable, impliquant généralement une grande adaptation au milieu de paissance intense.

Quant aux gazons ensemencés, ils sont subdivisés en quatre classes; leur composition botanique est plus ou moins instable et nécessite, pour se maintenir quelques années, la protection humai-ne sous forme de façons culturales. Si les pacages à court terme et ceux qui sont organisés dans l'assolement ont une composition botanique dont la productivité supérieure compense pour leur adaptation médiocre à l'habitat de paissance, les pâturages à long terme ressemblent finalement beaucoup à nos gazons semi-naturels. Enfin, les pâturages annuels sont reconnus comme étant

totalement inadaptés à l'habitat de paissance.

Nous n'avons qu'effleuré la question des principaux carac-tères botaniques et écologiques de nos diverses catégories de ga-zons. Ces quelques remarques suffisent cependant à mettre en évidence la base écologique qui distingue fondamentalement ces diverses catégories.

LE NATURALISTE CANADIEN.

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