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De l’éclairage conceptuel de l’identité professionnelle

6-1 La définition de l’identité professionnelle

Osty (2008) définit l’identité professionnelle comme une identité de métier. Selon Fray et Picouleau (2009, p.113), l’identité de métier répond pour l’individu, « à un besoin d’intégration sociale en vue d’atteindre une certaine reconnaissance de soi. L’identité professionnelle serait dans ce cas le sentiment d’appartenance à une profession issue d’une socialisation et dont le résultat est la conformité aux normes collectives. Cette dernière se caractérisant par l’usage de pratiques, de vocabulaire et de gestes communs ». L’identité professionnelle regroupe l’ensemble des normes, des valeurs, des règles et des appartenances qui constituent les références de base d’une profession et auxquels les membres d’une profession s’identifient en faisant la leur (Gonnet, 1992).

6-2 Les composantes de l’identité professionnelle

L’« identité professionnelle » est souvent confondue avec l’« identité métier », toutefois, Albert et al (2003) appellent à une nette distinction entre les deux concepts, ils postulent que

l’« identité métier » n’est qu’une des facettes de l’ « identité professionnelle ». En effet, ces

derniers définissent l’identité professionnelle en tant que construction sociale faisant intervenir trois facteurs : l’identité par le métier, l’identité par l’appartenance à un groupe, et l’identité par l’appartenance à une entreprise.

La première composante de l’identité professionnelle, soit l’identité par métier est intimement liée aux caractéristiques de la profession. Pour chaque profession, il y a deux définitions, une définition objective commune partagée par l’ensemble des acteurs et une définition subjective propre à chaque acteur et qui se manifeste différemment via la manière avec laquelle il mobilise ses savoirs, ses logiques d’actions, ses stratégies et ses compétences. Cette

catégorisation plaide en faveur de l’existence d’une « diversité intra-professionnelle ». Par ailleurs, au-delà de la diversité des professions entre elles, une même profession peut être appropriée de manières différentes par les acteurs, conduisant à une disparité intra professionnelle, « Malgré, le fait qu’une profession possède son identité avec ses caractéristiques historiques intrinsèques, le sujet est unique et s’approprie les gestes et les logiques de son métier. L’individu construit donc son identité professionnelle tout au long de son apprentissage du métier et de son perfectionnement » (Fray et Picouleau, 2009, p.114). Bien avant eux, Aranya et Ferris (1984) et Hall (1967) ont conclu à l’existence de différences

à l’intérieur des groupes professionnels et entre eux. Champagne et al (1998), pour mettre en

exergue l’individualité de la construction identitaire professionnelle, en parlent en termes d’« identité manifeste » et d’ « identité latente ». L’identité manifeste fait référence à la fonction officielle de l’individu dans l’organisation. En revanche l’identité latente, repose sur les valeurs auxquelles un individu s’identifie de façon prédominante et fondamentale.

La deuxième composante de l’identité professionnelle relève de l’identité par l’appartenance au groupe. Il peut s’agir d’une équipe de personnes appartenant au même niveau hiérarchique ou bien des individus partageant des activités communes, « tout collectif d’appartenance homogène sur le plan des actions, des valeurs, des normes, des comportements et des croyances est source de construction identitaire » (Fray et Picouleau, 2009, p.115).

Enfin, la troisième et dernière composante de l’identité a trait à l’appartenance à l’organisation. Cette dernière intervient également comme vecteur d’identité professionnelle. L’individu, en faisant partie d’une organisation, intègre presque inconsciemment ses gestes, ses paroles et ses valeurs.

En se penchant sur les composantes de l’identité professionnelle, il ressort que cette dernière est à la fois une construction individuelle et collective. Elle se place en médiane entre l’identité individuelle et l’identité collective organisationnelle.

6-3 De la relation entre identité professionnelle, identité individuelle et identité organisationnelle

L’identité professionnelle ne pourra pas être étudiée en marge de l’identité individuelle et de l’identité organisationnelle. En effet, nous posons comme hypothèse que l’identité professionnelle en ce qu’elle puise dans l’identité individuelle pour construire in fine l’identité organisationnelle, se place en médiane entre les deux. La relation entre « identité

individuelle » et « identité professionnelle » est ténue, « l’identité professionnelle commence avec sa propre identité…l’identité professionnelle est construite en soi et avec les autres » (Fray et Picouleau, 2009). Selon Gohier (2000), l’identité professionnelle fait partie intégrante de l’identité globale de la personne. Un individu en s’inscrivant dans des formes de vie sociale se forge une identité personnelle qui ne manquera pas de se répercuter sur son identité professionnelle. L’ensemble de ces identités individuelles et des identités groupales professionnelles vont s’agréger les unes aux autres pour façonner l’identité organisationnelle. Celle-ci est entendue comme l’ensemble des éléments qui font la spécificité d’une entreprise et fondent son développement (Larçon et Reitter, 1979). L’identité est ce qui fait l’originalité d’une organisation à un instant précis de son existence (Anastassopoulos, Blanc, Nioche et Ramanantsoa, 1985). Krief (2009, p.7), conçoit « l’identité comme l’image collective de ce qu’est l’organisation pour ceux qui y travaillent ». Il considère que si la légitimité est l’organisation face au reste du monde, l’identité est l’organisation face à elle-même.

6-4 Les caractéristiques de l’identité professionnelle

L’identité professionnelle, en tant qu’une construction sociale, fait l’objet d’un ajustement permanent. Elle n’est pas acquise une fois pour toute, n’est pas immuable et fait l’objet constamment de changements émanant aussi bien de l’organisation, de l’environnement ou de l’individu lui-même. Dubar (2000) souligne le caractère dynamique de l’identité professionnelle, « le processus de construction de l’identité est permanant dans le temps, car l’identité est à la fois stable et provisoire ». Nous ne pouvons pas donc conclure à l’existence d’une identité unique, mais uniquement à identifier les caractéristiques de l’identité à un instant donné, « l’identité professionnelle est le fruit d’expérience, de choix, d’habitudes, de rencontres. Elle n’est donc pas une caractéristique intrinsèque de la personne, mais elle se construit et évolue dans le temps » (Fray et Picouleau, 2009, p.116). L’identité professionnelle, découlant directement de l’identité individuelle, hérite de ses caractéristiques. Kaspi et Ruano-Borbalan (1997, p.4) attestent que « l’identité est aujourd’hui conçue comme le résultat de constructions et de stratégies, elle est toujours en évolution et en recomposition ». Pour sa part, Giroux (2001, p.14) dénombre les caractéristiques de l’identité individuelle et affirme qu’elle, « …n’est pas un phénomène concret bien qu’elle puisse être reliée à des traits ou à des activités observables. C’est un phénomène abstrait, comportant des dimensions cognitives et affectives « ensemble de représentations », une « configuration », un « sentiment », mais qui doit être activé pour être effectif ».

6-5 De la réciprocité de la relation entre légitimité et identité

Les liens entre légitimité et identité demandent à être précisés (Buisson, 2005), il existe une ambigüité quant à l’ordre de causalité entre légitimité et identité. Si Brown (1997) soutient que l’identité organisationnelle est un levier pour la légitimité, ce n’est pas le cas pour Scott et Lane (2000, p.52) qui avancent que la légitimité est un préalable à l’identification organisationnelle, « dans la mesure où les parties prenantes choisissent librement les identités organisationnelles, les attributions de la légitimité sont des pré-requis à l’identification organisationnelle » (Buisson, 2005).

Buisson (2005) pose l’hypothèse d’une causalité circulaire entre légitimité et identité. Elle

soutient qu’il existe une relation réciproque entre l’identité et la légitimité. La légitimité, étant une construction sociale, elle puise dans les registres identitaires pour extraire ses fondements, et intervient donc comme une ressource de la légitimité. Les parties prenantes lorsqu’elles légitiment une organisation, elles ne s’appuient pas uniquement sur leurs logiques d’action, leurs intérêts et les informations à leur portée, mais font appel également à leur identité (Rowley et Moldoveanu, 2003, p.208), une identité qu’ils définissent comme « un ensemble de propositions logiquement connectées qu’une personne utilise pour se décrire à elle-même et aux autres ». A travers le processus de légitimation, les acteurs seront en mesure d’affirmer leur identité. D’autre part, la légitimité conduit à l’identification, dans la mesure où l’individu ne s’identifie qu’à ce qui lui est légitime. Des changements d’identité peuvent s’avérer nécessaires pour conserver la légitimité en externe (Glynn et Abzug, 2002), l’identité étant le

résultat d’un processus cognitif de négociation par les acteurs. Le système social englobant

exerce une influence sur les acteurs, en leur faisant apprendre « qui ils sont (leur identité) et aussi ce qu’on attend d’eux (leurs rôles) » (Buisson, 2005). C’est en s’immergeant dans ce système social, qu’ils apprennent leur identité et leur rôle. Les identités sociales et organisationnelles interviennent comme des cartes cognitives qui guident les individus dans leurs comportements (Lamertz et Baum, 1998). Toutefois, ce pouvoir aussi fort soit-il ne neutralise pas le pouvoir des acteurs qui restent capables d’action et de réaction. L’individu n’est pas réductible au groupe, il est doté d’une certaine autonomie.

En postulant l’existence d’une réciprocité identité-légitimité, il serait plausible de penser que ces deux notions se partagent des caractéristiques communes. A ce titre Giroux (2001, p.14- 15) définit l’identité comme un « phénomène relationnel, temporel, communicationnel, multidimensionnel, processuel et paradoxal ». Parmi les caractéristiques qu’il reconnait à

l’identité (et que nous pensons appliquer à la légitimité), est qu’elle est fortement et intimement liée au temps, « elle est construite par cumul historique, elle fait le lien passé- futur, c’est dans l’instant, dans le cadre de certaines circonstances et dans un contexte particulier, que l’identité se construit, est activée et se transforme… » (Giroux, 2001, p.15). D’autre part, ce dernier met l’accent sur le caractère relationnel de l’identité, « l’identité suppose toujours la référence à l’autre pour se différencier ou se conformer, lui donner une bonne impression de soi ou encore s’en protéger » (Ibid., p.15). Par rapprochement, entre identité et légitimité, ceci lui serait également valable, la légitimité s’inscrit dans une interaction. Elle suppose une relation entre deux individus ou deux organismes. Le problème de légitimité se pose parce que ces derniers appartiennent à des univers différents et font appel à des référents différents.

Par analogie aux strates de l’identité, nous proposons les strates de la légitimité.

Identité organisationnelle Légitimité organisationnelle

=

=

Identités individuelles + Identité professionnelles Légitimités individuelles + Légitimités professionnelle

Figure 2 : La hiérarchie des légitimités « intra-organisationnelles »

Identité Légitimité organisationnelle Identité organisationnelle Légitimité Identité professionnelle Légitimité professionnelle groupale