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DÉVELOPPEMENTS ET NOUVEAUX FORMATS JUSQU’EN

Dans ce chapitre, nous chercherons à établir une typologie des outils de vulgarisation musicale depuis la fin du XIXe siècle jusqu’au milieu du XXe siècle. Nous avons déjà mentionné, au chapitre précédent, un certain type d’outils : les guides généralistes sur les œuvres, notamment celles appartenant au répertoire canonique, publiés et donc consultables par l’auditeur dans l’intimité de son foyer. Nous nous attarderons ici sur le guide de Hermann Kretzschmar – le Führer durch den Konzertsaal – et en expliciterons la démarche.

Parmi les autres outils de vulgarisation pour le public – celui de concerts ou celui de salons –, on retrouve la conférence, c’est-à-dire l’intervention orale dans le cadre ou non d’un évènement musical. Nous nous limiterons à deux exemples de musicologues de renom : François- Joseph Fétis (1784-1871), pionnier du genre, et Romain Rolland (1866-1944). Nous nous intéresserons ensuite, toujours sur le mode oral, au format de l’émission radiophonique qui, dans les premiers temps de la radio, est loin de faire l’unanimité auprès de la communauté musicale; dans le rôle de défenseur, on peut citer Charles Koechlin (1867-1950) et dans celui de détracteur, Virgil Thomson (1896-1989). Enfin, nous nous pencherons sur les notes discographiques, à l’aulne d’un nouveau mode de consommation de la musique dans les années 1920, et tenterons de les comparer aux notes de programme habituelles.

Notre choix s’est porté sur des figures marquantes de la musicologie et de la critique musicale qui se sont illustrées par des initiatives nouvelles en matière d’éducation et de transmission des connaissances, ou bien par des propos explicites sur la question de la vulgarisation musicale. Par ailleurs, ce chapitre cherche à jeter les bases d’une réflexion sur les modalités de l’intervention orale, un sujet qui sera au cœur des chapitres 8 et 9 (contexte actuel et outils de vulgarisation à l’ère numérique).

1) Guides généralistes : l’exemple du guide de Kretzschmar

Parmi les guides généralistes346, il existe plusieurs exemples notables datant de la seconde moitié du XIXe siècle. Citons les Études philosophiques et morales sur l’histoire de la musique de Jean- Baptiste Labat (1802-1875), ouvrage qui témoigne, selon Sophie-Anne Leterrier, d’un effort de vulgarisation : « les biographies constituent déjà le genre majeur de l’écriture de l’histoire de la musique, mais quelques ouvrages vulgarisent les acquis de la musicographie sous une forme plus légère, comme l’ouvrage de J.-B. Labat »347. Dans son avant-propos au premier tome, le musicologue précise sa mission et semble bien emprunter cette voie :

Platon et Sénèque nous disent “que le but de l’instruction doit être toujours de rendre l’homme meilleur.” On s’apercevra à chaque page de notre œuvre que c’est surtout ce sentiment qui a guidé notre plume. Dédaignant les moyens vulgaires de popularité, indigné de l’asservissement de notre bel art [c’est-à-dire, la musique] au caprice aveugle et inconstant de la mode, redoutant pour lui ces entraînements funestes dont l’histoire nous montre tant d’exemples, nous avons tenu à lui prêter notre faible voix pour le réhabiliter dans l’esprit de ses détracteurs, pour montrer la grandeur de sa mission à ceux qui le considèrent comme un objet futile, et enfin pour coopérer, dans la mesure de nos forces, au progrès que les idées et les tendances de notre époque semblent lui tracer348. Ajoutons à cela le fait que l’auteur s’adresse volontiers à son lecteur, signe de l’attention qui lui est portée lors de l’écriture de l’ouvrage, comme le fait également Grove dans son dictionnaire et dans ses notes de programme349. De plus, en parlant de sa première étude, Labat indique : « cet exposé nous eût semblé suffisant pour l’intelligence de notre pensée, si nous n’avions tenu à initier le lecteur d’une manière plus intime au cœur de notre ouvrage, en lui disant quelques mots des données principales qui nous ont servi à en établir la base comme à en régler les détails »350.

346 Par « généralistes », nous signifions des guides qui couvrent, sur plusieurs pages de texte et avec extraits musicaux, un grand nombre d’œuvres appartenant à des genres différents (musique symphonique, musique sacrée, musique de chambre…). Les œuvres lyriques, quant à elles, constituent un vaste répertoire qui est le plus souvent présenté et étudié dans des guides spécifiques au genre de l’opéra. Parmi les exemples plus récents, citons l’ouvrage de Gustave Kobbé : Tout l’opéra. De Monteverdi à nos jours, traduction de l’anglais par Marie-Caroline Aubert et Denis Collins, Paris, Robert Laffont, 1976.

347 Sophie-Anne Leterrier, Le Mélomane et l’historien, op. cit., p. 179. Titre complet de cette monographie : Études philosophiques et morales sur l’histoire de la musique ou recherches analytiques sur les éléments constitutifs de cet art à toutes les époques, sur la signification de ses transformations, avec la biographie et l’appréciation des auteurs qui ont concouru à son progrès (Paris, J. Techener (éd.), 1852).

348 Jean-Baptiste Labat, Études sur l’histoire de la musique, op. cit., vol. 1, p. 8. À la lecture de ce passage, nous avons en mémoire ce que Diderot disait de l’Encyclopédie : « s'il importe de rendre les hommes moins ignorants, c'est pour les rendre meilleurs » (déjà cité en introduction).

349 Voir le chapitre 4. 350 Ibid., p. 4.

D’autres musicologues succéderont à Jean-Baptiste Labat et porteront eux aussi, certes de manière moins explicite, de vastes projets de vulgarisation scientifique. Parmi eux, on trouve le musicologue allemand Hermann Kretzschmar, décrit en ces termes dans le dictionnaire Oxford Music Online : « il a cherché à sortir l’éducation musicale du cadre isolé de la salle de conférences et la rendre accessible à un public plus large; il était donc préoccupé par l’enseignement de la musique dans les écoles et les maisons privés, tout comme l’approfondissement de l’apprentissage des musiciens professionnels et amateurs »351.

En 1887, Kretzschmar publie un guide détaillé pour préparer l’auditeur à l’écoute des œuvres dans la salle de concert352. Il rédige des analyses qui s’opposent à la vision d’Eduard Hanslick selon laquelle la musique ne serait pas l’expression d’émotions, de sentiments, mais seulement l’expression de formes préétablies ou de structures analysables. Au contraire, Kretzschmar croit que la musique communique un contenu idéal (Ideengehalt), c’est-à-dire porteur d’idées, et que celui-ci peut être décodé par une approche herméneutique. Le but de cette herméneutique est, selon la formule poétique de l’auteur, le suivant :

Percer le sens et le contenu idéal que les formes renferment, chercher de part et d’autre l’âme qui réside dans le corps, déceler les pensées profondes dans chaque phrase d’un texte littéraire, dans chaque couche de l’œuvre d’art, clarifier et interpréter le tout par la connaissance des moindres détails, en mobilisant toutes les ressources que la formation pratique, la culture générale [Bildung] et le talent personnel mettent à disposition353. La méthode interprétative de Kretzschmar s’appuie à la fois sur une analyse formelle consciencieuse, en retraçant par exemple les éléments musicaux notables de chaque mouvement, et un langage imagé qui touche à l’émotion ou à l’humeur émanant de l’œuvre. Il emploie le terme d’Erläuterung, qui va bien au-delà de la simple « explication ». Il s’agit plutôt d’une

351 Gaynor G. Jones et Bernd Wiechert, « Kretzschmar (August Ferdinand) Hermann », dans Oxford Music Online, 2001. Url : https://doi.org/10.1093/gmo/9781561592630.article.15523 (consulté le 3 décembre 2016).

352 Nous reprenons ici les termes employés dans le titre original de l’ouvrage : Führer durch den Konzertsaal, op. cit. Le guide fera l’objet de nombreuses autres éditions jusqu’à la mort de son auteur, en 1924. En 1919, il contient plus de 2000 pages et couvre une période de plus de 300 ans, de Monteverdi jusqu’à Mahler. Dans les années 1930, il se trouve encore augmenté par d’autres éditions. Voir Ian D. Bent et Anthony Poyle, « Analysis, §II : History », dans Oxford Music Online, 2001. Url : https://doi.org/10.1093/gmo/9781561592630.article.41862 (consulté le 4 décembre 2016)

353 Herman Kretzschmar, « Anregungen zur Forderung musikalischer Hermeneutik », Jahrbuch der Musikbibliothek Peters für 1902, vol. 9, 1903, pp. 47-48. « […] den Sinn und Ideengehalt zu ergründen, den die Formen umschließen, überall unter dem Leib die Seele zu suchen, in jedem Satz eines Schriftswerks, in jedem Glied eines Kunstwerkes den reinen Gedanken nachzuweisen, das Ganze aus der klarsten Erkenntnis der kleinsten Einzelheiten, unter Benutzung aller Hülfsmittel, die Fachbildung, allgemeine Bildung und persönliche Begabung zur Verfügung stellen, zu erklären und auszulegen. »

élucidation scientifique des œuvres, à la manière d’un verrier qui polirait le verre pour lui redonner son éclat (er-läutern).

Certes, Kretzschmar consacre une grande partie de ses analyses à l’exposé des motifs et des thèmes qui participent de la structure musicale de l’œuvre354, mais c’est surtout dans le registre poétique et celui de l’émotion, alliés à l’analyse, que Kretzschmar trouve ses traits distinctifs de musicologue. Au sujet de la Symphonie no 4 de Bruckner, par exemple, l’auteur voit dans la musique tantôt une imitation de la nature (des chants d’oiseaux), tantôt des archétypes (chants de triomphe, hymnes funéraires), tantôt une personnification (congrégation de prêtres). Il attribue également à la musique une humeur (solennité) et une émotion (la joie, la terreur). À partir de cette double approche analytico-interprétative, Kretzschmar nous livre des hypothèses et, plus largement, des pistes de réflexion sur les pensées intimes (reinen Gedanken) du compositeur355. En cela, Kretzschmar fait preuve de nouveauté, au point que ses méthodes se perpétueront chez bon nombre de rédacteurs de notes de programme, comme nous le verrons dans le chapitre 6.

Dans son historiographie de l’analyse musicale, Ian Bent rappelle que, à l’instar de Grove, Kretzschmar a d’abord été l’auteur de notes de programme qui ont ensuite été regroupées et augmentées au sein d’un ouvrage d’envergure, en l’occurrence le Führer durch den Konzertsaal. En faisant le parallèle avec Donald Tovey (1875-1940), autre musicologue britannique attaché à la vulgarisation musicale356, Bent insiste sur la volonté de Kretzschmar de rendre le grand répertoire, notamment symphonique, plus accessible au public de concert : « Comme Tovey, il était soucieux d’éclairer les auditeurs et prenait grand soin des notes de programme qu’il rédigeait pour ses concerts. Par la suite, il a collecté, édité et publié ces notes dans un ouvrage à plusieurs volumes, la musique étant alors catégorisée par genre, qui constituait le Führer dans sa première édition »357. Bent renvoie implicitement à l’avant-propos de Kretzschmar qui nous donne de précieux renseignements sur les motivations de ce dernier. En voici le premier

354 En guise de preuves, il accompagne ses textes d’extraits musicaux, pratique assez courante au XIXe siècle. Déjà au chapitre 4, nous avons constaté la présence d’extraits musicaux dans les guides d’écoute, notamment dans ceux rédigés par les wagnéristes – Hans von Wolzogen en tête – au sujet des opéras de Wagner.

355 Ian Bent, « H. Kretzschmar: “Anton Bruckner: Symphony No. 4” (1898) », dans Ian Bent (dir.), Music Analysis in the Ninettenth Century. vol. 2 : Hermeutic Approaches, Cambridge, Cambridge University Press, 2006, p. 107. Nos observations relatives à l’approche herméneutique de Kretzschmar s’appuient sur celles d’Ian Bent dans l’article cité. 356 Voir les propos de Tovey dans Essays in Musical Analysis, op.cit., reproduits dans l’introduction.

357 Ian Bent, op. cit., p. 108. « Like Tovey, he […] was concerned with enlightening the public, took special care with the programme notes that he wrote for his concerts, and subsequently collected, edited and published these notes in a multi-volume work, the music categorized by genre, which was the Guide to the Concert Hall in its first edition. »

paragraphe, qui ouvre également la deuxième édition de son guide : « Le présent Guide à travers la salle de concert provient de diverses notes individuelles que j’ai écrites au fil des ans pour les concerts dirigés de ma main. Un guide pour que les auditeurs se préparent aux exécutions de compositions inconnues ou difficiles à comprendre »358.

Kretzschmar s’impose comme une figure incontournable de la musicologie et de la vulgarisation musicale à la fin du XIXe siècle. Son influence se propage jusque dans la première moitié du XXe siècle, grâce notamment à la permanence de son Guide qui connaît de nombreuses versions successives. Il fait même une apparition dans Le Docteur Faustus de Thomas Mann (1875-1955) – roman publié en 1947 –, à travers le personnage fictif Wendel Kretzschmar. Ce dernier est certainement une allusion au véritable Kretzschmar, mais il mène une carrière légèrement différente : organiste à la cathédrale de Kaisersaschern et conférencier renommé359.

Le cas de ce Kretzschmar imaginaire nous permet d’orienter notre réflexion vers un deuxième type de vulgarisation musicale : la conférence et, plus largement, l’intervention orale. Dans Le Docteur Faustus, Thomas Mann défend, en creux, leurs vertus en termes d’éducation musicale. Les conférences de Wendel Kretzschmar ressemblent, à bien des égards, à des concerts initiatiques, guidés par la volonté de vulgariser une œuvre du grand répertoire. Dans le rôle du narrateur, un personnage nommé Zeitblom raconte :

Il [Kretzschmar] s’assit alors au piano et nous joua par cœur la composition entière [la Sonate op. 111 de Beethoven], le premier et l’immense second mouvement. Ses commentaires se mêlaient constamment à son jeu et, pour attirer notre attention particulière sur la facture, par intervalles il chantait avec enthousiasme. Tout cela réuni produisait un spectacle mi-entraînant, mi-comique et déchaînait fréquemment l’hilarité du petit auditoire360.

358 Hermann Kretzschmar, « Préface » [« Vorwort »] au Führer durch den Konzertsaal (2e édition), vol. 1, Leipzig, A. G. Liebeskind, 1891, p. vii. « Der vorliegende Führer durch den Konzertsaal ging aus einzelnen Aufsätzen hervor, welche ich im Laufe der Jahre für die von mir geleiteten Konzerte geschrieben habe, um die Zuhörer auf die Aufführungen unbekannter oder schwierig zu verstehender Kompositionen vorzubereiten ». Nous faisons ici le choix de traduire, mot pour mot, le titre de l’ouvrage : Guide à travers la salle de concert. Disponible en ligne à l’adresse suivante : https://archive.org/stream/fhrerdurchdenc01kret#page/n5/mode/2up (consulté le 9 décembre 2016). 359 Les conférences de Kretzschmar, telles que présentées dans Le Docteur Faustus, s’inspirent aussi très probablement des nombreux échanges, notamment épistolaires, qu’a entretenus Thomas Mann (1875-1949), lors de la rédaction de son roman, avec une autre figure de la musicologie allemande : Theodor Adorno (1903-1969). Ce dernier avait trouvé l’exil, comme lui, en Californie durant la Seconde Guerre mondiale. Pour plus de détails, voir Christoph Gödde et Thomas Sprecher (dir.), Theodor Adorno – Thomas Mann; Correspondance 1943-1955, traduction de l’allemand par Pierre Rusch, Paris, Klincksieck, 2009.

360 Thomas Mann, Le Docteur Faustus, traduction de l’allemand par Louise Servicen, Paris, Le Livre de Poche, 1990 (première édition en 1947), p. 83.

Dans son article consacré au musicologue et conférencier fictif, Frédéric Sounac poursuit la réflexion : « l’effet sur le public, lors de ces soirées […], a de quoi faire méditer plus d’un organisateur ou interprète, et devrait sans doute constituer une sorte d’objectif idéal de toute proposition ambitieuse relevant généralement du concert »361.

La forme habituelle du concert public peut, en effet, être conjuguée à un effort d’initiation et de vulgarisation musicales. Comme nous le verrons au chapitre 8, le chef d’orchestre new- yorkais Leonard Bernstein présente, à partir des années 1950, des concerts semblables pour jeune public, intitulés Young People’s Concerts. Toutefois, il n’est pas le premier à avoir pensé à cette forme vulgarisée du concert. Un siècle auparavant, François-Joseph Fétis (1784-1871) organise déjà les « Concerts historiques », faisant ainsi figure de pionnier en la matière.

2) Les conférences, l’intervention orale du musicologue : de Fétis à Rolland

Fétis est un historien de la musique qui a marqué la première moitié du XIXe siècle de ses écrits. Il fait partie, comme le note Sophie-Anne Leterrier, de ces pionniers qui ont contribué au développement de la musicologie en tant que discipline universitaire. Il a œuvré à une réorientation de la sensibilité de ses contemporains en accordant une valeur d’art à la musique ancienne, quoique ses méthodes aient été jugées fantaisistes à l’époque362.

Fétis multiplie les fonctions et les missions dans le domaine musical. Il enseigne la composition au Conservatoire de Paris à partir de 1821, fonde La Revue musicale en 1827 et est notamment l’auteur de la monumentale Bibliographie universelle des musiciens et bibliographie générale de la musique en huit volumes (premier volume publié en 1837)363. Il se pose aussi en vulgarisateur. Comme le décrit Sophie Leterrier, il est « à la fois un compositeur, un professeur et un auteur d’ouvrages didactiques, un publiciste, un grand vulgarisateur, enfin et surtout un

361 Frédéric Sounac, « “Un échec complet” : les conférences de Kretzschmar dans Le Docteur Faustus de Thomas Mann », dans Françoise Escal et François Nicolas (dir.), Le Concert. Enjeux, fonctions et modalités, op. cit., p. 203. 362 Sophie-Anne Leterrier, op. cit., p. 93. L’auteure précise à ce sujet : « avec les années, Fétis se discrédite de plus en plus aux yeux de la critique par le manque de rigueur de sa méthode ». Plus loin dans son ouvrage Le Mélomane et l’historien, elle indique que Fétis « lit trop vite et se trompe souvent, sa volonté d’encyclopédisme nuit à la rigueur de sa méthode et à la perfection de son œuvre » (ibid., p. 183). Nous reviendrons plus tard sur les critiques qui sont adressées à Fétis, notamment par Aristide Farrenc, contemporain de Fétis, et Walter Corton.

363 Sur les réalisations de Fétis dans le domaine musical, et notamment sur son statut d’expert en musique ancienne, voir l’ouvrage majeur de Rémy Campos : François-Joseph Fétis musicographe, Genève, Haute École de Musique de Genève, 2013.

historien. Polygraphe, il est doté d’un goût passionné pour les études historiques, et veut tout expliquer, tout vulgariser, tout remuer »364. La musicologue poursuit à son sujet : « s’il pose des questions théoriques, et peut passer pour un “spécialiste”, il vise un plus large public »365.

Dans La Revue d’histoire et de critiques musicales, Jules Combarieu (1859-1916) reconnaît certes en ses contemporains Guy Ropartz et Édouard Colonne de grands contributeurs au développement des concerts pour le grand public, mais c’est à Fétis que revient, selon lui, la paternité de cette forme vulgarisée de concert : « c’est Fétis, ancien directeur du Conservatoire de Bruxelles, ancien professeur au Conservatoire de Paris, etc., etc., qui a créé le concert musical historique, et, par-dessus le marché, la conférence explicative précédant le concert (peut-être même devrais-je aller jusqu’à dire qu’il est le créateur de la conférence, tout simplement) »366. C’est pour son rôle de conférencier que nous intéressons au père des Concerts historiques, alliant exécutions de musiques anciennes et discours musicologique sur les grandes œuvres du passé367.

Le premier concert a lieu le 8 avril 1832 à la salle du Conservatoire de Paris et est divisé en trois parties. Chacune d’entre elles est introduite par des propos de l’organisateur. Dans sa première intervention, intitulée « Discours sur l’origine et les progrès de l’opéra depuis 1581 et jusqu’en 1650 », Fétis évoque les grandes lignes historiques de ce genre musical. La deuxième partie du concert – « de Lulli à Rameau » – est précédée d’un discours sur les « progrès de l’opéra en Italie, en France et en Allemagne » de 1650 à 1760 qui comporte des considérations sur la vie des compositeurs et présente succinctement les œuvres au programme. La troisième partie traite de l’opéra dans la période contemporaine à Fétis avec un avant-propos sur les « révolutions de la musique dramatique, de 1760 à 1830 ». Une fois encore, Fétis donne au public des éléments de compréhension, des précisions sur chacune des pièces interprétées et des détails biographiques sur les compositeurs.

Le deuxième concert a lieu six mois plus tard le 18 novembre à une salle de concert plus grande, situé au 13 rue Neuve-des-Capucines, l’initiative de Fétis ayant suscité la curiosité du

364 Sophie-Anne Leterrier, op. cit., p. 94. 365 Ibid., p. 100.

366 Jules Combarieu, « Les concerts historiques », dans La Revue d’histoire et de critiques musicales, vol. 1, no 1, janvier 1902, p. 53.

367 Pour plus de détails sur les Concerts historiques de Fétis, voir notamment Robert Wangermée : « Les premiers concerts historiques à Paris », Mélanges Ernest Closson. Recueil d’articles musicologiques offert à Ernest Closson à l’occasion de son soixante-quinzième anniversaire, Bruxelles, Société belge de Musicologie, 1948, pp. 185-196. Voir également Aristide Farrenc, Les Concerts historiques de M. Fétis à Paris, Paris, Vve Dondey-Dupré (éd.),