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Partie I. Détermination du corpus et présentation générale

III. B.b Développement de la personnalité et lien avec l’altérité

L’activité d’écriture poétique entièrement libre est spécifique à la pédagogie Freinet. Cependant, les activités rythmiques et de scansion proposées dans la pédagogie Waldorf permettent aussi à l’élève, dans une autre mesure, de se confronter au langage, de l’éprouver, et, par là-même, de se confronter a lui-même.

Il semble que dans les deux cas, les pédagogies alternatives entendent confronter l’élève à l’expérience du langage, de façon plus corporelle chez Waldorf et plus tournée sur l’expression de soi chez Freinet. En effet, dans les deux pédagogies alternatives, le langage poétique est le signe d’une expérience active. En ce sens, nous pouvons parler de confrontation, car le rapport à la langue est pleinement investi. En investissant le langage poétique et en s’y confrontant, l’élève sera également, dans un même mouvement, amené à se confronter à lui-même.

L’approche de l'écriture poétique, telle que la pédagogie Freinet la conçoit, permet de prendre un pouvoir créateur sur le langage. En effet, en couchant sa pensée sur le papier, l’élève se situe dans une aire réflexive, non seulement sur le langage, mais aussi sur lui-même. Par conséquent, si l’acte d’écriture demande de « chercher ses mots », il semble qu’elle implique aussi de se chercher soi-même. L’écriture, en concrétisant la pensée en mots, la cristallisera et permettra alors de s’en distancer. A ce titre, nous citerons Georges Jean lorsqu’il dit que, « écrire un texte, et même le dire, le produire, et un texte poétique en particulier, est pour l'enfant une manière de se projeter comme un autre et de se garder à soi »325. De plus, en pratiquant cette activité d'écriture, l'élève adopte aussi une autre attitude face à la poésie. En effet, en plus de recevoir l'objet poétique en tant que récepteur, l'écriture lui permet également d'appréhender, à son échelle, le rôle d'écrivain, de poète. Cette nouvelle approche de l'objet poétique aura forcément des répercutions sur la relation que l’enfant entretiendra avec la poésie. Ayant découvert les difficultés de l'écriture et s'étant essayé à la poésie, on peut penser qu'il sera plus attentif aux poèmes des autres. De plus, dans le cadre de la pédagogie Freinet,

324On trouvera à ce sujet plus de précision dans la dernière partie (p. 108 à 123) de l'ouvrage suivant: SREINER Rudolf, Éducation des éducateurs.

l'activité d'écriture est également motivée par sa dimension collective. En effet, comme nous l'avons vu lors de la description des différentes pratiques de classe, les élèves qui le souhaitent sont invités à partager leurs productions avec la classe lors du « choix de textes » et donc aussi à écouter celles des autres. Le fait d'offrir ses productions au regard des autres, de se livrer et d'accepter, par la même, la critique et le jugement, permet de prendre du recul par rapport à soi et de passer d'un état de subjectivité à un rapport plus objectif avec sa production. Ce rapport de production et de partage permet aussi de créer un climat de confiance entre les élèves. Comme certains des textes produits seront aussi destinés à l'impression et à la publication dans le journal scolaire, on pourrait dire que l'élève acquiert aussi une expérience, à moindre échelle, de la publication. Par la multiplicité des rôles autour du même objet poétique, l'élève assimile des compétences variées et développe une vision plus globale de la poésie. Par conséquent, celle-ci n'est pas simplement perçue comme un produit fini mais aussi dans son processus de maturation et de création. Comme nous le dit Yves Reuter lors de l’observation d’une classe Freinet, « C'est dans la variétés des relation établies avec les savoirs et dans leur mode de saisie que les apprentissages se trouvent facilités »326.

Dans les deux pédagogies, la poésie est un lieu de rassemblement. Dans les écoles Waldorf, elle réunit les élèves dans une expérience commune de mise en voix, en mouvement et en respiration des textes ; dans la pédagogie Freinet, elle est une activité reliant l’individu aux autres, de façon coopérative. A ce propos, Martine Boncourt nous dira que :

C'est à travers ces échanges profonds que se tissent des liens affectifs réels, que se soude le groupe, que naît cet être collectif capable de respiration unique, qui, par une écoute attentive, une connaissance très affinée des autres et de soi, réussit à reconnaître, à chacun de ses membres, une identité profonde, garante de son autonomie.327

Dans les deux cas, des activités de rassemblement autour du langage poétique permettent d'établir des relations de confiance et de respect entre individus et d'élaborer une véritable communauté scolaire.

Dans la partie du « Erzählzeit », comme nous l’avons vu, les élèves sont amenés

326REUTER Yves. Une école Freinet: fonctionnements et effets d'une pédagogie alternative en milieu populaire. Paris: l'Harmattan, 2007. p.22.

à écouter des grands mythes fondateurs. Si chaque année est généralement consacrée à l'étude d'un grand mythe, il est intéressant de noter que la plupart des grands mythes fondateurs seront travaillés. Les enfants n'apprendront pas simplement les classiques comme l'Iliade ou l'Odyssée, mais apprendront aussi ceux des mythologies d'Europe comme avec l'Edda poétique de la mythologie scandinave, et plus largement, les mythes fondateurs des autres continents comme le Mahâbhârata indien en 5ème classe. Cet apprentissage, doublé parfois de la récitation quotidienne des passages forts de ces mythes fondateurs, crée une connaissance culturelle extrêmement riche. Le fait que les mythes de plusieurs civilisations soient abordés permet une plus grande connaissance non seulement de sa culture, mais aussi de celle d'autrui. Aussi, une telle connaissance peut mener à un plus grand respect des autres et à la tolérance.

Au-delà de la connaissance de soi et du groupe classe, ces mythes fondateurs sont directement en lien avec la connaissance de ses origines. En effet, il nous semble que cette approche, si elle n'est pas faite de façon dogmatique, comme c'est le cas dans les écoles Waldorf, peut avoir toute son importance dans la formation personnelle d'un individu.

Dans les deux écoles alternatives, l’importance donnée à la connaissance de soi et des autres passe, entre autre, par l’utilisation de la poésie. Cependant, les deux pédagogies usent, là encore d’approches très différentes pour un objectif qui leur est commun. En effet, on remarquera que Célestin Freinet se situe plus dans une volonté de connaissance du « moi » et de sa place au sein du groupe restreint de la communauté scolaire. Dans la pédagogie Waldorf, l’accent sera plutôt mis sur la connaissance de ses origines et de sa place dans le groupe classe, mais surtout dans l’humanité en générale.