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Partie I. Détermination du corpus et présentation générale

II. C.a Approche langagière

Comme nous venons de le voir, la poésie est donc souvent préférée pour sa forme courte. En effet, celle-ci permet une utilisation adaptée aux lecteurs débutants par sa brièveté et l’unité qu’elle représente. De plus, elle permet de présenter un texte authentique et non fabriqué dans un objectif scolaire. Que ce soit dans les nouveaux manuels scolaires traditionnels français comme celui de Léo et Léa223 ou dans le premier manuel de lecture des écoles Waldorf Der rote Gockel224, la présence de la poésie perdure et est souvent liée à des apprentissages scolaires. Pour la tranche d’âge que nous étudions, les élèves ont déjà appris à lire et à écrire, bien que, suivant les pédagogies, pas aux mêmes âges et pas selon les mêmes méthodes. Cependant, cet apprentissage n’est pas considéré comme « acquis » et fait encore l´objet de toutes les attentions. Il est même, dans les écoles traditionnelles, défini comme un des buts prioritaires de l ´éducation. L´école a pour objectif de présenter un « langage standard »225 aux élèves qui devront le considérer comme principal moyen de communication. A la vue de cette objectif fondamental, on peut se demander en quoi la poésie qui rappelons-le est principalement utilisée en cours de langue dans les pédagogies traditionnelles – peut- être un moyen de soutenir ces apprentissages langagiers.

Dans toutes les pédagogies, on retrouve la présence commune de « récitations » qui doivent être mémorisées par les élèves. Cet exercice semble être une constance dans le domaine de la poésie puisqu’on le retrouve dans toutes les pédagogies, mais aussi à toutes les époques où il y est fait référence226. Dans les pédagogies traditionnelles, cet apprentissage de mémoire est spécifié dans les programmes généraux, mais aussi dans les compétences à avoir acquis en fin d´année. On note tout de même la précision

223CUCHE Thérèse, SOMMER Michelle. Léo et Léa, Textes et expression. Édition BELIN.127 p.

224BÖTTCHER Gabriele. Der rote Gockel,Übungsbuch für Leseanfänger. Kassel, Allemagne: Édition Waldorf. 2007. 123 p.

225« Standardsprache“, Bildungsplan Grundschule, p.42.

226BONCOURT Martine. « La poésie dans les instructions officielles: un discours ambigu ». Carrefours de l'éducation, 2003/1, n°15, p.102-117.

française qui signale « une dizaine de textes (poème et prose) à apprendre »227. Dans les deux pédagogies, les élèves pourront en général choisir entre deux ou plusieurs propositions le poème qu´ils souhaitent apprendre. Cet apprentissage se fait de façon solitaire et hors du cadre purement scolaire (à la maison en France et dans le Hort en Allemagne). Il est précisé pour les écoles allemandes que la « Cloze-Technik »228 pourra être utilisée pour cet apprentissage. Dans les écoles Freinet, la plupart des exemples rencontrés témoignent d´un apprentissage collectif fait en plusieurs étapes. La première peut être celle d´une imprégnation auditive, où l´enseignant lit en marquant l'intonation, puis où les enfants ferment les yeux et enfin par imprégnation visuelle où l´enseignant accompagne sa récitation de gestes. Les élèves sont ensuite amenés à réciter le poème en groupe trois ou quatre fois. Le constat est fait que «la plupart des élèves d´une classe de cours moyen habitués à aborder ainsi un texte d´une dizaine de lignes, relativement simple dans son lexique et sa syntaxe, peuvent parvenir à le mémoriser rien qu'en l'écoutant trois ou quatre fois de cette manière»229. Dans ce cas, l´apprentissage se fait donc collectivement et en classe et ne débouche pas sur un exercice de restitution individuelle. Dans la pédagogie Waldorf, on constate que la plupart des textes poétiques utilisés en classe sont connus par cœur par les élèves, sans qu´un exercice de mémorisation n´ai été particulièrement demandé. La seule activité demandant explicitement un apprentissage par cœur est celle du « Zeugnissprüche », une des activités caractéristiques des écoles Waldorf sur laquelle nous reviendrons plus tard, dans la partie consacrée à l´aspect thérapeutique. Pour le moment, sans nous attarder encore sur le «pourquoi» de cette activité, nous constaterons simplement sa présence et son fonctionnement identique, dans toutes les classes du cycle primaire (de la première à la cinquième classe). L´enseignant doit, à la fin de chaque année scolaire, écrire un texte pour chaque enfant, en rime et en vers. Chaque élève devra apprendre ce poème par cœur et le réciter l'année suivante, de façon hebdomadaire. Cet exercice de récitation 227« Cycle des approfondissements- Programme du CE2, du CM1 et du CM2 ». Hors-série n°3 du 19 juin 2008.

http://www.education.gouv.fr/bo/2008/hs3/programme_CE2_CM1_CM2.htm

228Vient de l´anglais « Cloze-Test », en résumé une méthode de texte à trous qui enlève progressivement de plus en plus de mots.

229BONCOURT Martine, La poésie à l´école : l´indispensable superflu. Fiche d´activité numéro 10, p 167.

étant quotidien, on constate que l'ensemble des élèves finissent par connaître aussi par cœur la plupart des poèmes de leurs camarades.

Outre cet exercice de mémorisation commun à toutes les pédagogies, on retrouve, à part dans la pédagogie Waldorf, l’association de la poésie au travail d’écriture. Le manuel Mot de Passe privilégiera des consignes sur la forme et le sens du poème à écrire, comme c´est le cas dans la consigne suivante :

Écris un quatrain sur un objet ménager de la cuisine. Fais rimer tes vers deux à deux. Donne le même nombre de syllabes pour chaque vers.230

De plus, il est précisé dans un encadré pour aider les élèves «Des idées pour m´aider» ainsi que dans le guide du professeur que le quatrain doit commencer par «C´est…». Le guide pédagogique précise cependant que selon le niveau des élèves, l´exigence des alexandrins pourra être contournée et que «l´exigence portera sur les rimes»231. L ´objectif de la leçon est ici de «rédiger un quatrain composé d´alexandrins qui riment»232. L'exercice est donc formel et extrêmement précis puisque une consigne est donnée tant sur la forme que sur le contenu. Les élèves disposent de vingt minutes pour la rédaction, ce qui parait assez court quand on pense à la difficulté de l´exercice.

Dans le manuel allemand, les consignes liées à l´écriture de poème concerne toujours le sens général et jamais la forme. On retrouve par exemple ce type de consignes :

1. Gedichte leben von besonders schönen, bildhaften Wörtern. Suche auf diesen beiden Seiten solche Wörter und Wendungen, die dich besonders berühren.

2. Schreibe deine Frühlingseindrücke in einem Gedicht auf.233

1. Les poèmes vivent de mots particulièrement beaux et imagés. Recherche sur ces deux pages de tels mots et tournures qui te touchent particulièrement.

230Mot de passe, p.74.

231Mot de passe, guide pédagogique, p.53.

232Mot de passe, guide pédagogique, p.53.

2. Note tes impressions de printemps dans un poème.234

Sur la première page, on trouve deux poèmes d´auteur (Erwin Strittmatter et Heinz Kahlau) sur le thème du printemps, et sur la deuxième page on peut voir la présence d'un poème d´auteur (Eduard Mörike) mais aussi celle de deux « poèmes » d´enfants. Alors que dans le manuel français on retrouve pour objectif principal celui de faire attention au nombre de syllabes et aux rimes, l’aspect important dans le manuel allemand consiste à utiliser des mots particulièrement «beaux» et «imagés», qui touchent particulièrement l’élève. Dans la pédagogie Freinet, nous avons répertorié deux principaux types d´activités d'écriture. Nous nous intéresserons, dans cette partie, à celle se rapprochant le plus des activités faites en systèmes traditionnels, c´est-à-dire celle qui consiste à donner des consignes précise d´écriture. Nous nous intéresserons plus particulièrement à l´écriture « libre » dans notre troisième partie qui sera consacrée aux activités faites uniquement en systèmes alternatifs et n´ayant pas d´équivalent en systèmes traditionnels. Certaines activités reprennent les techniques habituellement utilisées par l’OuLiPo235. Ces activités sont plus perçues comme des activités de « déblocage » et on remarque que « dans une classe qui vit la poésie au quotidien, on observe que les enfants délaissent rapidement ces jeux ou stimuli pour écrire des textes d’inspiration poétique plus personnelle »236. Ces activités permettent de présenter la langue sous un aspect ludique et d´offrir aux enfants une façon de se l’approprier en l ´utilisant dans un autre contexte. Elles peuvent permettre aux enfants les plus hésitants de se familiariser avec l´écriture à caractère poétique, mais elles ne peuvent constituer l ´«essence» de la poésie. Dans ces trois pédagogies, il est donc sous-entendu dans ce type de pratique que le poème répond à un aspect formel précis dans le manuel français et dans les exercices types OuLiPo dans les classes Freinet, et dans le manuel allemand, qu´il est ce qui utilise des « jolis mots ». On peut également penser que des lors, l ´activité poétique sera aussi assimilée à une sorte de recette qu´il suffit de suivre pour « fabriquer un poème ». La pédagogie Waldorf se caractérise quant à elle par une

234T.d.A.

235Exemple de l'acrostiche, l'anagramme, le typogramme, l´idéogramme, le calligramme, le lipogramme, les mots valises, les mots déformés, etc…

absence totale de production écrite de type poétique. Ce genre de production apparaîtra seulement à partie de la 5ème classe.

De façon marginale, on retrouve comme spécialité française dans le manuel Mot

de Passe l´utilisation d´un support poétique à des fins uniquement grammaticales. Cet

usage est cependant répandu puisqu'il concerne à peu près la moitié des poèmes utilisés dans le manuel. Nous pourrons illustrer ce type d´utilisation par la page 88 du manuel237. Il n’est, dans cette utilisation, à aucun moment fait allusion au poème, ni dans les questions posées aux élèves, ni dans le guide de l'enseignant. Celui-ci sert uniquement à l’illustration du thème de la leçon, à savoir ici les adjectifs qualificatifs. Cette approche semble considérer le poème à un degré zéro et apporter une vision morcelée de la langue écrite, qui est vue tantôt comme ce qui doit s´expliquer, tantôt comme ce qui illustre un aspect grammatical. Pour reprendre les propos de Georges Jean, « On risque, en « grammaticalisant » les textes poétiques, de les détruire tout simplement, et d´abord en tant que parole globale du corps et des sens ».238

Toutes les pédagogies associent donc la poésie à des apprentissages langagiers, bien que de façon plus ou moins présente.