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Le développement du jeu symbolique en relation avec le langage

4. Jeu symbolique et narration

4.2. Le jeu symbolique

4.2.1. Le développement du jeu symbolique en relation avec le langage

Reposant sur la théorie de Piaget, cinq niveaux de développement du jeu symbolique sont décrits par McCune (1981). 1) Schèmes présymboliques : ce stade, comme son nom l’indique, ne comporte pas d’élément de faire semblant à proprement parler; l’enfant, par les actions qu’il exécute, démontre qu’il a développé une compréhension de l’usage ou du sens d’un objet. L’action et la signification font ici corps. Cette connaissance qu’il a des fonctions des vrais objets dans des situations réelles constitue néanmoins la base du développement du jeu de faire semblant; elle agit comme un levier qui permettra éventuellement la transition de la fonction sensorimotrice à la fonction symbolique (exemples : il prend un chiffon et frotte le plancher avec; il prend un oreiller et couche sa tête dessus alors que ce n’est pas le moment du coucher). 2) Stade où l’enfant réalise des activités de fiction sur lui-même : l’enfant démontre, par des activités dirigées vers lui- même, qu’il possède maintenant une certaine connaissance de l’activité de faire semblant (exemples : il fait comme s’il dormait en couchant sa tête sur la table et en

fermant très fort les yeux; il fait semblant de boire avec une tasse vide ou avec un autre contenant rappelant un verre ou une tasse). 3) Stade durant lequel le jeu de faire semblant se décentre des actions sensorimotrices de l’enfant et revêt un caractère plus abstrait : ce stade fait référence à deux formes de jeu de faire semblant. Ou bien l’enfant introduit une autre personne ou un objet substitut dans son jeu – d’où ce rapport maintenant plus distancié entre l’objet et sa signification –, ou bien il réalise une activité qui est normalement accomplie par une autre personne – en d’autres mots, il imite les actions des autres (exemples : un enfant utilise du sable pour faire un gâteau; il joue à donner à manger à sa poupée; il fait semblant de lire le journal, comme ses parents le font). 4) Stade où le jeu de fiction comprend des combinaisons : ce stade comporte deux sous-stades, un premier où l’enfant va répéter un schème d’action simple sur plusieurs participants et un second où il combinera différents schèmes d’action (deux ou plus) à l’intérieur de la même séquence (exemples : un enfant fait semblant de boire dans un verre – représenté par un petit contenant vide –, puis donne à boire à son ourson et à sa poupée; à un stade plus avancé, le même enfant joue à faire semblant de préparer une pizza, la met ensuite au four, puis la partage avec ses invités imaginaires). 5) Stade où le jeu de faire semblant est planifié : ici, avant de s’engager dans l’activité de faire semblant, l’enfant annonce ce qu’il va faire (exemple : un enfant annonce qu’il va jouer à préparer un gâteau de fête pour sa mère), ce qui nécessite le recours au langage et qui peut correspondre à un épisode simple complet en matière de narration. Le jeu existe donc dans l’esprit de l’enfant avant d’être réalisé et il est indépendant des objets; ceux-ci seront au contraire transformés selon ses besoins. À ce stade, l’intention de l’enfant précède son activité de faire semblant.

Selon Veneziano (2005), dont les recherches s’inscrivent également dans le courant piagétien, le jeu de faire semblant « […] met en scène, de manière fictive, des activités de vie, d’abord réelles, ensuite possibles ou totalement imaginaires […] » (p. 6). Voilà une définition qui, tout en mettant l’accent sur l’aspect imaginaire du jeu de fiction,

possède un caractère développemental et donne une certaine idée de l’évolution que connait le jeu symbolique au fil du temps.

Cette chercheure expose ensuite un peu plus en détail le développement de ce type de jeu, qu’elle met en relation avec celui du langage, vu l’hypothèse piagétienne selon laquelle le jeu de fiction et le langage relèvent d’une seule et même capacité, la fonction symbolique ou sémiotique, c’est-à-dire la capacité de représentation de réalités absentes par l’intermédiaire de signifiants : alors que l’enfant réalise ses premières activités de fiction sur lui-même (comme faire semblant de dormir ou de manger), il énonce ses premiers mots; par la suite, au moment où ses activités impliquent un autre acteur (l’enfant va, par exemple, offrir de la nourriture à un chien en peluche) et des objets substituts (des cailloux représenteront les croquettes du chien), son vocabulaire connait une expansion; enfin, lorsque l’enfant commence à combiner des actions dans son jeu, il effectue ses premières combinaisons de mots (préparer un repas et l’offrir à sa poupée). Deux aspects sont importants à considérer. Premièrement, bien que relevant de la même fonction, aucun lien de cause à effet n’a été clairement établi entre le développement du vocabulaire et celui du jeu de faire semblant. Il est donc question de liens temporels entre ces deux éléments : relevant de la même capacité, celle de la représentation, ils apparaissent au cours de la même période. Deuxièmement, peu importe le degré de complexité du jeu symbolique, il sous-entend toujours, chez l’enfant, des capacités de représentation. Ainsi, quand il joue, en utilisant ou non des objets substituts, une action (aussi simple que de faire semblant de dormir), un état (faire semblant d’être blessé et d’avoir mal), un comportement (aller à la chasse au lion) ou un évènement (un verre de jus est tombé sur le tapis et maman est fâchée), il s’agit toujours d’une représentation de ces réalités : un signifiant (par exemple, un objet substitut employé ou les gestes évocateurs de l’enfant) représente une réalité, un signifié, à laquelle le signifiant se reporte.

Bien que le jeu de faire semblant puisse se réaliser sans le langage (par des gestes et des mimiques), ce dernier peut participer à son enrichissement; éventuellement, la fiction pourra même s’exprimer par lui exclusivement. À ce sujet, Veneziano (2005) identifie trois contributions possibles du langage au jeu symbolique, soit la transformation, la complexification et l’organisation. Lorsqu’un enfant tient dans sa main un petit cube de plastique et qu’il dit, en le faisant s’envoler, « avion », le langage transforme la signification de l’objet. C’est le langage qui donne son sens à l’objet, d’où « le pouvoir créateur de signifiant du langage » (Veneziano, 2005, p.8). Veneziano parle ici de représentation de représentation car, si la boite représente l’avion, le mot « avion » représente la boite qui représente l’avion. Il faut préciser que ce concept de représentation de représentation (ou d’évocation d’évocation) s’applique également en présence exclusive de langage puisque celui-ci permet alors d’évoquer des réalités qui sont elles-mêmes des représentations mentales (comme dans l’exemple suivant, où le bateau n’est qu’une évocation – le signifiant est ici le langage, les mots faisant référence à l’idée d’un bateau de pirates s’approchant : « Regarde, un bateau de pirates s’approche de nous… Vite, trouvons un abri! »). Le langage peut aussi amener une complexification du jeu de fiction en faisant progresser le scénario. Il faut ici mentionner que l’enfant peut avoir un ou des partenaires de jeu – l’adulte faisant partie des possibles partenaires – et que ceux-ci peuvent participer à ce processus de complexification partagée, comme dans l’exemple qui suit : après qu’un enfant ait dit à sa maman qu’un loup s’approche d’eux (« Loup, loup! Vois loup! ») et qu’il semble affamé (« Manger loup! »), la maman propose de l’attraper avec une corde (« Oh! non! Il y a un loup qui veut nous manger! Que faire? Vite, il faut prendre une corde pour l’attraper! »). Enfin, le langage peut servir à organiser le jeu de fiction en permettant de départager les moments de planification et de création du jeu (lors de ces moments, l’enfant peut procéder à l’annonce du jeu, le planifier ou même en sortir pour effectuer des ajustements ou encore poursuivre la création du scénario) des moments de jeu comme tels.

Veneziano (2005) mentionne, de façon encore plus spécifique, quatre types de relations entre le jeu de faire semblant de l’enfant et ses verbalisations. Il faut d’emblée préciser que, contrairement au premier et au deuxième types, les deux derniers participent à la construction de la fiction et à sa compréhension par des personnes qui regardent le jeu de l’extérieur (des spectateurs, en quelque sorte), lorsque cette situation se présente. Le premier type de verbalisations n’est pas en lien avec les aspects symboliques de la fiction; il se greffe plutôt aux actions et aux objets du jeu en leur apportant des précisions (exemple : un enfant dit « en haut » en déposant une petite poule au dernier étage de son poulailler). Le deuxième type de verbalisations vient tout simplement redoubler ce que l’enfant est en train de mettre en scène; dans ce cas, il y a signification symbolique, mais elle peut facilement être dégagée (exemple : une enfant dit « mange » en faisant semblant de donner à manger à sa poupée). Le troisième type de verbalisations contribue à spécifier ou à enrichir le contenu symbolique véhiculé par le jeu de fiction; par l’intermédiaire des mots qu’il emploie, l’enfant transforme les réalités et leur donne de nouvelles significations (exemple : un enfant prend une poignée de cailloux en les nommant « bonbons » et fait semblant de les manger avec gourmandise). Le quatrième et dernier type de verbalisations, le plus avancé des quatre, se manifeste lorsque les mots seuls créent la fiction; ici, c’est le langage et rien d’autre qui permet l’évocation de réalités – absentes, il va sans dire, et non représentées par des signifiants autres que les mots eux-mêmes (exemple : un enfant crée une situation fictive en annonçant qu’il entend des bruits de pas qui s’approchent… et qu’il s’agit sans doute d’un géant en quête de son repas). Il est important de souligner que le développement suivant a été observé : avec le temps, les enfants vont produire une majorité de verbalisations appartenant aux deux derniers types, c’est-à-dire à ceux qui contribuent à la construction des significations symboliques.

En somme, le jeu symbolique de l’enfant se manifeste d’abord par des actions et un comportement très proches du sens de l’objet ou de l’action qu’il représente dans son jeu. Avec le temps et le développement de ses capacités de représentation, ce rapport

entre l’objet ou l’action et la signification de cet objet ou de cette action se dissocie et revêt un caractère de plus en plus abstrait, ce qui permet à l’enfant de leur attribuer une signification plus générale et, éventuellement, de n’employer que le langage, c’est-à-dire des représentations de représentations, pour réaliser ou exprimer le scénario de son jeu imaginaire – que ce soit en cours de jeu ou même avant, pour le planifier.