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Face à un récit, van den Broek (1990a) insiste sur le fait que la perception de cohérence est le résultat d’un processus complexe de résolution de problème à l’intérieur duquel le lecteur doit inférer des relations entre les idées, les évènements et les états décrits dans le texte.

Avant de pousser plus loin ce concept d’inférence, il convient de procéder à la présentation des métarègles qui, selon la grammaire du texte, établissent les fondements de la cohérence d’un texte. Selon Vanderdorpe (1996), elles concernent les aspects suivants : la continuité thématique, un texte étant généralement consacré au développement d’un thème; la progression, qui donne au lecteur l’impression que le sujet traité progresse, que l’information est organisée plutôt qu’éparpillée; la cohésion, qui assure une gestion locale de l’information et qui est imbriquée à l’intérieur même de la gestion globale du texte, s’attarde aux opérations assurant des enchainements et des transitions sans heurts d’une phrase à l’autre – essentiellement des reprises (reprise par un pronom, reprise par une répétition et reprise par un synonyme ou un hyperonyme); l’absence de contradictions qui, lorsqu’elles sont constatées, portent directement atteinte à la crédibilité de l’auteur du texte; la gestion adéquate du temps et de l’espace, notamment en ce qui a trait à la concordance des temps, à la précision des lieux et des moments auxquels l’auteur fait référence dans son texte puisque ce dernier sera lu à un moment et dans un lieu sans doute bien différents du contexte où il aura été produit (d’où cette nécessité de « décontextualiser » le texte écrit – c’est-à-dire de l’extirper du contexte dans lequel il est écrit afin de le rendre accessible au lecteur qui en fera la lecture ultérieurement, dans un tout autre contexte) et, en dernier lieu, en ce qui a trait à la gestion adéquate du registre temporel; enfin, l’absence d’ellipses trop fortes, qui pourraient occasionner des impressions de lacunes ou même affecter la compréhension du lecteur si le texte lui demande de faire des inférences trop importantes, rendant ainsi difficile ou hasardeuse la tâche de relier entre elles les informations fournies.

Pour en revenir au concept de cohérence selon van den Broek (1990a), il faut souligner que les liens entre les différents éléments composant un récit ne sont que très rarement explicites, d’où la grande importance du concept d’inférence. Puisque la notion d’inférence se trouve directement reliée au concept de causalité, les travaux de van den Broek (1990a et 1990b) s’appuient sur un ensemble de quatre critères formels, soit la priorité temporelle, l’opérativité, la nécessité et la suffisance, qui permettent l’identification de relations causales dans un texte ainsi que le regroupement des différents évènements et de leurs interrelations à l’intérieur d’un réseau représentant l’ensemble du texte et permettant de capturer sa structure causale complexe. Étant donné leur importance, ces propriétés des relations causales sont ici exposées en détail.

Selon le critère de priorité temporelle, une cause ne survient jamais après sa conséquence. Il faut cependant préciser que, dans un récit, il est tout à fait possible – voire même fréquent – qu’au plan de la succession des évènements la cause d’un évènement donné apparaisse à la suite de sa conséquence. L’opérativité, de son côté, exige qu’une cause soit toujours active au moment où sa conséquence survient. Si ces deux premiers critères sont requis pour l’établissement d’une relation causale, les deux suivants déterminent la force relative de cette relation. Ainsi, la nécessité précise que, dans les circonstances de l’histoire, une cause doit nécessairement expliquer la présence d’une conséquence. Donc, dans la mesure où un évènement donné en explique un autre, si ce premier évènement ne survient pas, sa conséquence ne devrait pas survenir. Enfin, la suffisance indique que, dans les circonstances de l’histoire, en supposant qu’un évènement en cause un autre, si cet évènement survient, sa conséquence surviendra.

Ces propriétés de la causalité seront maintenant illustrées, à l’intérieur du Tableau 1, grâce au conte traditionnel d’Anderson, Le vilain petit canard, adapté par François Gravel aux éditions Imagine (Andersen/Gravel, 1842/2005). Ce récit met en scène un bien étrange canard – en réalité un cygne – adopté par une cane alors qu’il se trouve encore dans son œuf. Rejeté de tous à cause de sa différence, il partira en quête d’une

terre d’accueil et trouvera, à la suite de nombreuses épreuves, sa réelle identité et, finalement, une famille aimante.

Tableau 1: Les propriétés de la causalité Critère

(ou propriété des relations causales) Définition Notation (en supposant que l’évènement A cause l’évènement B : A → B)

Extrait et explication sommaire du lien de causalité

Priorité

temporelle Une cause ne survient jamais après sa

conséquence (au plan de la chronologie des évènements)

A, puis B Les canards sauvages firent tant de bruit en repoussant le petit canard qu’ils attirèrent les chasseurs.

Si le bruit produit par les canards sauvages (A) a attiré les chasseurs (B), l’évènement A doit être survenu avant l’évènement B – et non l’inverse.

Opérativité Une cause doit

être toujours active au moment où sa conséquence survient A est toujours actif lorsque B survient

Une cane couvait ses œufs depuis le début de l’été et elle commençait à en avoir assez. Les autres canards préféraient nager, et personne ne venait la voir pour bavarder. « Mes bébés vont-ils bientôt se décider à sortir? » se demandait-elle, en soupirant. Les œufs finirent par éclore!

Si le fait de couver les œufs (A) a provoqué leur éclosion (B), c’est dire que l’évènement A était toujours actif au moment où B est survenu. Ainsi, selon toute

vraisemblance, la cane n’a pas cessé de couver ses œufs malgré sa lassitude.

Critère

(ou propriété des relations causales) Définition Notation (en supposant que l’évènement A cause l’évènement B : A → B)

Extrait et explication sommaire du lien de causalité

circonstances de l’histoire, si une cause n’est pas survenue, sa conséquence ne devrait pas survenir

alors non B précédent, nous pouvons émettre l’hypothèse que, si la cane avait cessé de couver ses œufs (non A), ceux-ci n’auraient pu éclore (non B).

Suffisance Dans les

circonstances de l’histoire, si une cause survient, sa conséquence devrait survenir aussi

Si A → alors B Ils déménagèrent bientôt dans un étang plus vaste. Les canards qui vivaient là se mirent aussitôt à rire du vilain petit canard. […] Les plus petits lui donnaient des coups de bec, et les plus grands le

pourchassaient pour le bousculer et le mordre. « Je ne serai jamais chez moi, ici! » se dit le petit canard. Il décida alors de s’enfuir. Il s’envola par-dessus la haie et quitta cet étang pour toujours.

Dans cet exemple et dans les circonstances de l’histoire, la méchanceté des autres canards envers le vilain petit canard (A) a causé son départ précipité de l’étang (B).

La théorie du réseau de van den Broek (1990a et 1990b) tient compte également de la notion de transitivité, un élément essentiel dans la description de la structure causale d’un récit. Cette notion permet le regroupement, à l’intérieur d’un réseau formant un tout cohérent, de l’ensemble des relations causales préalablement identifiées. Supposons donc les évènements A, B et C. Si l’évènement A est en lien causal avec l’évènement B

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endormi, le faisant prisonnier des glaces. De toute évidence, même si, par exemple, l’évènement A (C’était un hiver glacial.) et l’évènement H (Au matin, le petit canard se retrouva prisonnier de la glace : impossible de s’envoler!) ne sont pas directement reliés, la règle de transitivité permet de suivre le fil des évènements les unissant.