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5 octobre 1987

Sur une photo, j’ai des bas qui montent jusqu’au genou et une robe bleue. Je suis devant ma mère comme devant un miroir. J’ai toujours sept ans. Mon anniversaire était le lendemain, mais elle s’était empressée de m’offrir une petite boîte en chêne décorée de quatre ferrures déjà usées. Elle y avait attaché un ballon rose et me l’avait tendue avec un large sourire. J’avais compris que la boîte était importante parce que ma mère ne souriait presque jamais comme ça. J’avais apporté la boîte au bord de l’eau et attendu que Louis vienne m’y rejoindre. Ensemble, nous l’avions remplie de coquillages et de roches sur lesquels nos doigts avaient retiré le sable avec délicatesse. En rentrant, je m’étais faufilée dans la cuisine pour voir ma mère préparer le souper. Comme à chacun de mes anniversaires, elle se dépêchait pour que tout soit parfait avant l’arrivée des invités. Lorsqu’elle s’était retournée, elle m’avait demandé ce que j’avais fait de la boîte. Je lui avais tendue et elle avait vidé tous mes trésors dans le lavabo. Ce n’était pas une boîte pour les déchets.

Je ne comprenais pas trop ce que je devais faire de ce cadeau et je ne voulais pas que les choses que j’y place soient encore jetées sous prétexte que ce n’était pas de vrais trésors. J’avais donc caché la boîte dans ma garde-robe. J’ai longtemps songé à ce que ma mère avait voulu dire par trésor. En fouillant dans les boîtes de sa chambre, j’avais trouvé la bague de mon arrière-grand-mère, sa chaine en or qu’elle ne porte qu’au mois de décembre et une petite photo de mon père avant qu’ils ne se marient. Puisque je n’avais rien d’une grande importance à y mettre, j’avais cessé de penser à cette boîte, jusqu’à hier. Madeline est venue passer quelques jours chez moi et elle avait dans sa valise une boîte à musique. Elle me l’a montrée fièrement et j’ai tout de suite répliqué que, moi aussi, j’avais une jolie boîte. Elle était juste cachée. Pour lui montrer que je ne mentais pas, j’ai dû sortir la boîte de ma garde-robe et la déposer sur ma commode.

C’est dans le deuxième tiroir de ma table de chevet que je garde tout ce qui m’est précieux. Le premier est pour les manuels scolaires et le troisième pour les bas et les sous- vêtements. J’ai donc fouillé dans le deuxième tiroir pour trouver des objets à y mettre. Je trouvais triste que ma boîte reste vide. J’y ai placé un coquillage que j’avais récupéré du lavabo, un bracelet de tissu bleu et une photo de ma mère, parce qu’elle m’est précieuse, même si j’évite de le lui dire. C’est la grange qui me paraissait le meilleur endroit pour la cacher. Mon père ne fait qu’y entreposer quelques outils depuis que le pêcheur s’y est pendu. Elle est maintenant désertée, voire abandonnée. Les ongles noircis par la terre, j’ai creusé un trou de la grandeur exacte. Juste avant, j’ai déposé la boîte sur la terre et tracé sa forme avec une branche. Un bourdonnement sourd a accompagné tout mon rituel. L’humidité de la grange attirait les mouches qui ne cessaient de me coller à la peau. Mes mains n’ont jamais autant voulu tuer. Je les ai frappées du revers de la main et j’ai essayé de les écraser, mais elles étaient trop nombreuses. J’ai tout de même réussi à en tuer quelques-unes. Je les ai prises par les ailes et je les ai jetées dans le fond du trou juste avant d’ajouter la boîte. J’ai tapé la terre plusieurs fois avant que mes doigts la frottent pour effacer des traces. De cette façon, personne ne saura jamais que la boîte s’y trouve.

Je sais qu’un jour je voudrai récupérer ces objets. J’aurai envie de les flatter, de les serrer dans mes mains et de me rappeler les souvenirs qui s’y rattachent. Je choisirai sûrement une journée d’automne, il fait trop chaud pour creuser dans la grange l’été et, au printemps, la terre est souvent trop glacée pour se rendre si creux. Un jour, je serai vieille, je déterrerai ces souvenirs et leur trouverai une place de choix dans ma maison. Je les contemplerai aussi longtemps que je le voudrai, les étalerai sur une petite table ou sur le bord d’une fenêtre et j’en ferai un musée. Je termine ma lettre et j’entends encore le bourdonnement des mouches. Elles se posent sur ma fenêtre de chambre et restent là sans

11 juillet 2007 Je n’ai pas attendu l’automne pour creuser. À mon arrivée, j’ai constaté que la grange avait été démolie. Il a été difficile de bien cartographier le terrain. Après une heure à gratter la terre, ma pelle s’est heurtée contre le côté droit de la boîte. Je me suis empressée de la déterrer avec mes mains et je suis rentrée dans la maison. C’est un jeu d’enfant qui m’amuse, une idée de petite fille d’avoir caché ces choses-là.

J’ai posé la boîte devant moi. Elle a taché le napperon sur lequel elle attendait d’être ouverte. Mes doigts se sont crispés d’excitation en faisant glisser le loquet de cuivre. Pendant un instant j’ai douté. Je ne savais plus si je voulais retrouver son contenu. Je prévoyais la déterrer, mais pas obligatoirement l’ouvrir. J’ai pensé à ce que je pourrais faire avec ces objets une fois la boîte ouverte et ma curiosité a pressé les choses. J’ai tiré sur le loquet sans avoir de plan précis. Au fond de la boîte traînaient quelques grains de sable. Ce devait être ceux qui restaient sur le coquillage qui étaient tombés. La photo de ma mère était intacte. Je pensais la retrouver gondolée et abîmée, mais il n’en était rien. J’ai eu un serrement au cœur en voyant son visage. Ses yeux me manquent. J’ai fixé quelques minutes le bracelet avant de refermer le couvert. Il me semblait intact et son bleu était toujours le même. Je n’ai pas osé le glisser sur mon poignet. C’est dans une boîte scellée qu’il me semble être le mieux.

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