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Déterminer l’irresponsabilité pénale pour cause de troubles mentaux : une question plus technique qu’idéologique ?

Chapitre 3 : Histoires vécues : représentations de personnes ayant fait l’objet d’une décision d’irresponsabilité pour cause

I. Déterminer l’irresponsabilité pénale pour cause de troubles mentaux : une question plus technique qu’idéologique ?

Les 23 magistrats rencontrés tiennent des propos assez similaires sur la façon de choisir les experts psychiatres dans le cadre de l’instruction. Les contraintes sont d’abord pratiques : il s’agit de trouver un expert qui pourra répondre aux exigences de la justice de manière satisfaisante. L’orientation idéologique de l’expert est donc présentée comme secondaire face à ces contraintes pratiques. Elle peut cependant avoir, pour certains magistrats expérimentés, une importance particulière au moment de la commission d’un expert.

1. Le bon expert, la bonne expertise : des contraintes pratiques

Garder les bons experts pour les affaires complexes

Au moment de commettre un expert psychiatre, les juges se trouvent face à une double contrainte paradoxale : la loi exige que soit réalisée une expertise

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psychiatrique dans un nombre croissant de cas82, mais le nombre d’experts

psychiatre tend à diminuer83. Plusieurs magistrats soulignent ce paradoxe, qui

tient selon eux notamment à la réduction du budget de la justice, aux retards de paiement des experts et au manque d’encadrement professionnel et de reconnaissance institutionnelle du travail d’expertise (Pélisse, Protais, Larchet et Charrier, 2012). Troisième contrainte, les magistrats disposent de peu d’informations précises sur la formation ou la spécialisation éventuelle des experts inscrits sur les listes des cours d’appel. En conséquence, il n’est pas facile de constituer un réseau d’experts sur lesquels le magistrat pourra s’appuyer : Geneviève Bleriot, arrivée depuis un an au tribunal d’une ville de taille moyenne n’a pour l’instant pas trouvé « de bons experts ». Malgré un changement de région, Lucas Petiot continue de solliciter les experts affiliés à la cour d’appel qu’il a quittée quelques mois plus tôt pour les affaires dans lesquelles il estime avoir besoin d’un « bon éclairage psychiatrique ». Selon Odile Ciarabelli, il faut quelques années avant de se recréer un réseau solide d’experts : « Moi quand je suis arrivée, j’ai désigné les mêmes experts que mon prédécesseur. Moi j’étais pas juge d’instruction avant, en général, on arrive dans un cabinet où on récupère des dossiers, on regarde ce qu’a fait celui d’avant et, dans un certain nombre de cas, on continue à désigner les mêmes experts que son prédécesseur. Et puis après, au fil de la pratique ou de ce qu’on entend des collègues ou des gens qu’on peut rencontrer, on peut désigner une nouvelle personne qu’on apprécie, qu’on n’apprécie pas. Donc ça, c’est vraiment des désignations intuitu personæ en fonction de l’appréciation que personnellement on porte sur le travail d’un expert. »

Odile Ciarabelli, 40-50 ans, 8 ans d’expérience84 (entretien 2008)

Le marché des experts psychiatres, opaque pour les magistrats, est abordé par tâtonnement par les juges d’instruction qui se constituent progressivement un réseau personnel d’experts qu’ils estiment fiables et compétents85. Dès lors, les juges d’instruction tentent de « garder les bons experts pour les affaires les plus complexes », comme l’explique Olivier Creil qui passe un certain 82 Le nombre d’experts inscrits sur les listes des cours d’appel, qui avoisinait les 800 en 2006 est en baisse constante, notamment du faire des départs à la retraite (voir rapport de la Haute Autorité de Santé, 2007). 83 Depuis la loi du 17 juin 1998 qui crée le suivi socio-judiciaire, le nombre d’expertises obligatoires pour la justice n’a cessé d’augmenter avec l’extension progressive du public ciblé par le suivi socio-judiciaire (loi du 12 décembre 2005) : désormais, outre les expertises de responsabilité pénale (qui ne sont pas obligatoires et dépendent de l’appréciation souveraine des juges), les magistrats doivent systématiquement recourir à une expertise psychiatrique dans le cas où un suivi socio-judiciaire peut être prononcé (pour des faits aussi divers que des infractions sexuelles, homicides, actes de tortures et barbarie, enlèvements et séquestrations, destructions dangereuses pour les personnes, etc.). Les experts psychiatres doivent alors se prononcer sur la « dangerosité » des infracteurs et leur accessibilité aux mesures de soin. 84 Les noms des magistrats ont été modifiés pour préserver l’anonymat des personnes qui ont accepté de

répondre à nos questions. Nous indiquons systématiquement l’âge approximatif ainsi que le nombre d’années d’expérience en tant que juge d’instruction. Nous signalons les entretiens réalisés en 2008, c’est-à- dire avant la réforme de l’irresponsabilité pénale.

85 La difficulté à se repérer dans le champ de l’expertise, ajoutée à la diminution du nombre d’experts,

explique sans doute que certains juges renoncent parfois, notamment dans les procédures accélérées comme la comparution immédiate, à commettre un expert.

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temps à « vendre ses bonnes affaires » aux experts compétents mais débordés qu’il aimerait solliciter. Les juges d’instruction distinguent de façon unanime deux cas de figure : des affaires dans lesquelles l’expertise est obligatoire, et les affaires dans lesquelles l’expertise est jugée nécessaire, ces deux cas de figure pouvant, éventuellement, se recouper : « C’est vrai que ça dépend. Pour quelqu’un qui commet des braquages à répétition et qui, finalement, a l’air de commettre ces faits pour des motifs utilitaires et de désocialisation, qu’on comprend facilement, on n’attend pas énormément de l’expertise, simplement on la fait parce que c’est renvoyé devant la Cour d’Assise, donc, dans cas-là, il faut le faire86. Maintenant, pour quelqu’un qui met le feu ou qui commet un crime de sang, c’est plus intéressant, on en attend plus, évidemment. » Julie Manoukian, 40-50 ans, 12 ans d’expérience (entretien 2008)

Le genre d’expert commis sur une affaire va donc varier en fonction du « besoin psychiatrique » évalué par le magistrat : les experts de confiance sont réservés aux affaires qui posent la question de la responsabilité psychiatrique, tandis que des experts jugés moins compétents seront nommés dans les situations où la complexité psychiatrique paraît moindre : Il y a (des) dossiers dans lesquels effectivement, il y a manifestement un problème. Donc là aussi, on choisit en fonction de la qualité de l’expert. Enfin, moi je (…) vais choisir des bons experts pour des cas difficiles. Et puis ceux qui… Les adeptes du copié-collé, on va les choisir pour des dossiers dans lesquels on sait manifestement que l’expertise n’a pas d’intérêt, pour le dossier judiciaire j’entends. Elle est obligatoire mais, au moins, on va vite. Mathieu Haber, 40-50 ans, 10 ans d’expérience (entretien 2008) De la même façon, Béatrice Dupuis distingue les « expertises pour la forme, pour la procédure » des « expertises sérieuses » ; Véronique Grangé distingue les experts « lambda » de ses trois experts « chouchous ». Cette distinction est présente dans tous les entretiens : le recours aux « bons experts » signale une interrogation du magistrat au sujet de la responsabilité pénale de la personne mise en examen. En d’autres termes, la commission d’un « bon expert » suggère déjà que la décision a plus de chance d’aller vers la reconnaissance d’une abolition ou d’une altération du discernement. À l’inverse, les magistrats attendent des experts « lambda » qu’ils ne soulèvent pas la question de la responsabilité pénale :

Albane Courteillac parle d’un dossier de tentative d’homicide qu’elle espérait pouvoir boucler rapidement pour un renvoi devant les assises : « Donc là, je demande à un expert, je sais que ce sera pas fouillé, il faut que ce soit fait rapidement, la personne est détenue donc... on est dans des délais très courts, j’attends plus que ça... Et là ! Irresponsabilité ! Avec un paragraphe tout court sur la démonstration de l’irresponsabilité !

- (Rires partagés)

86 L’obligation de procéder à une expertise psychiatrique en matière criminelle n’est pas inscrite dans la loi.

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- Mais sur le coup, ça ne m’a pas fait rire, vraiment ! Donc il a fallu que je me prostitue au téléphone pour avoir un collège d’experts... Pour qu’ils me rendent leur expertise rapidement parce qu’il est toujours détenu donc j’attends que ça ! Et donc là j’ai vraiment pas compris, l’irresponsabilité ! Et là je suis en attente ! Je viens de le faire ! Nan mais l’expert qui conclut à l’irresponsabilité, dont on sait qu’il rencontre les personnes une demie heure voire une heure... »

Albane Courteillac, 30-40 ans, 6 ans d’expérience

Un bon expert est donc en premier lieu un expert qui rend du mis en examen « un portrait qui correspond à l’idée qu’on en avait » (Lara Bahloul). D’ailleurs, il est plutôt rare que l’expertise psychiatrique dévie complétement de ce que les magistrats avaient anticipé :

« C’est vrai aussi quand même que, lorsqu’on a un rapport d’expertise concluant à l’existence d’une cause, enfin d’irresponsabilité liée à 122-1, c’est quand même rarement une découverte. Ça tombe pas du ciel comme quelque chose à quoi on ne s’entendait pas. C’est quand même soit parce qu’on est en face de quelqu’un qui est en hospitalisation d’office dès le début, bon voilà. Les cas rarissimes où on peut dire, où les experts concluent à l’abolition complète du discernement ne tombent pas du ciel. » Odile Ciarabelli, 40-50 ans, 8 ans d’expérience (entretien 2008) Les bons experts sont donc réservés aux affaires qui nécessitent un éclairage particulier. Ce qui distingue ces bons experts des autres, c’est qu’ils assistent les juges dans leur travail d’instruction. Bonne expertise et impératifs de l’instruction

À la question de savoir ce qu’est un « bon expert », les juges d’instruction apportent des éléments de réponse très similaires : un bon expert va rencontrer longuement le mis en examen, éventuellement plusieurs fois, il va « fouiller » son cas. Si certains juges préfèrent des expertises synthétiques alors que d’autres les préfèrent détaillées, ils s’accordent sur l’idée qu’elles doivent être « cohérentes » et « argumentées ». Valérie Lemaitre, plus critique que ses collègues à l’égard du savoir psychiatrique (« parfois, on est en plein délire »), met l’accent sur les méthodes d’investigation et sur la logique argumentative des expertises. Comme elle, Julie Manoukian estime :

« Un bon rapport d’expertise, moi j’aime bien, ce que ne font pas forcément XX et YY, qu’il y ait la démonstration de la méthode utilisée pour en arriver à une conclusion, qu’on retrouve assez rarement quand même. C’est vrai notamment pour les psychologues, c’est surtout vrai pour les psychologues en fait, parce que certains psychologues disent qu’ils ont fait tel test, tel test et là, c’est intéressant, on voit sur quoi ça se base. On peut se fier à une méthode au moins. D’autres n’intègrent pas ça dans le rapport, alors est-ce que ça veut dire qu’ils ne les font pas ou bien qu’ils ne les reprennent pas dans le rapport ? À vrai dire, on n’en sait trop rien. »

Julie Manoukian, 40-50 ans, 12 ans d’expérience (entretien 2008)

Plusieurs magistrats soulignent l’importance de la « scientificité » de l’expertise. On attend ainsi de celle-ci qu’elle fournisse des arguments d’autorité, qui pourront alimenter la décision du juge. Lorsque l’affaire a des chances de

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passer en cours d’assises, face à un jury, les juges attendent également de l’expert qu’il soit bon orateur, capable de se faire comprendre d’un public profane. En somme, un bon expert permettra au magistrat de mener une bonne instruction : il répondra aux questions posées par le juge et tranchera clairement la question de la responsabilité pénale, fournira au magistrat des arguments susceptibles de l’aider à prendre et à motiver sa décision ainsi qu’à expliquer de façon pédagogique aux parties civiles l’état psychique de la personne mise en examen. Il aidera le magistrat, en somme, à boucler son dossier d’instruction : « On ouvre toutes les portes, on les ouvre et on les referme, le but étant que, lorsqu’on va soumettre le dossier au tribunal, tout a été exploité. Qu’on se retrouve pas aussi devant le tribunal à découvrir quelque chose dans le dossier qui n’a pas été exploité et qu’on ne pourra pas juger les gens ». Etienne Winter, 30-40 ans, 3 ans d’expérience (entretien 2008)

En raison de la pénurie de « bons experts », les magistrats s’attendent généralement à des délais plus longs, mais estiment tout de même qu’un bon expert rendra son travail dans des délais raisonnables87 : ainsi plusieurs

magistrats ne recourent plus à certains experts qu’ils apprécient pourtant beaucoup en raison de leurs délais. Le recours à l’expertise psychiatrique doit permettre au juge de bien constituer son dossier et de répondre aux impératifs de l’instruction.

2. La position de l’expert sur l’irresponsabilité pénale : un enjeu marginal ?

Ces exigences n’ont à première vue rien à voir avec une connivence idéologique supposée entre experts psychiatres et magistrats. Les juges rencontrés insistent au contraire sur l’importance de l’indépendance et de la neutralité des experts commis par la justice88. Néanmoins, quelques magistrats

indiquent connaître les orientations théoriques des experts psychiatres en matière d’irresponsabilité, et avoir parfois tendance à solliciter ces experts en fonction de l’avis qu’ils espèrent voir rendu. Il semble, au vu des entretiens réalisés, que cette tendance s’accentue chez les magistrats les plus expérimentés, comme si la pratique créait des affinités électives entre experts et juges.

87 Les juges d’instruction sont tenus par des délais obligatoires lorsque la personne mise en examen se

trouve en détention provisoire. Ces délais sont néanmoins très souples : en effet, la détention provisoire est limitée à 6 mois en matière correctionnelle, mais le juge a la possibilité, dans certains cas, d’en prolonger la durée jusqu’à 2 ans. En matière criminelle, la durée est a priori limitée à 1 an avec là aussi la possibilité, dans certains cas, de prolonger la détention provisoire jusqu’à 4 ans et 8 mois (articles 137 et 143-1 à 148-8 du code de procédure pénale). 88 On peut penser que l’affaire Outreau, dans laquelle la collusion entre expert et juge avait conduit à une

erreur judiciaire très médiatisée (voir Protais, 2008) a renforcé cette valorisation de la neutralité de l’expert. Certains magistrats rencontrés dans le cadre de cette enquête ont d’ailleurs participé au procès en appel, au cours duquel les expertises psychologiques ont été placées au centre des débats, avec une polémique sur le tarif des experts – « comparable à celui des femmes de ménage » selon Jean-Luc Viaux, expert psychologue.

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L’importance de la neutralité de l’expert et du juge

Selon les magistrats rencontrés, la neutralité et l’indépendance de l’expert constituent un principe fondamental des rapports entre juges et experts. Les liens entre juges et experts sont d’ailleurs plutôt distants : leurs contacts épistolaires ou téléphoniques sont ponctuels ; hors des enseignements éventuellement dispensés à l’École nationale de la magistrature ou de colloques ponctuels, ces deux groupes professionnels semblent peu se côtoyer. Les juges ne connaissent les experts que par les prestations qu’ils fournissent : expertises écrites et/ou orales lors des audiences.

Cette neutralité guide par exemple le choix des pièces du dossier transmises par les magistrats aux experts : une partie des magistrats considère ainsi qu’il faut donner le moins de pièces possibles pour « que les experts aient un regard neutre » (Béatrice Dupuis) ou pour « éviter que l’expert soit influencé par l’instruction » (Valérie Lemaitre). Mais les magistrats qui remettent au contraire un maximum de pièces sont eux aussi motivés par la volonté de garantir la neutralité de l’expert : ainsi, Lucie Marignan remet tout le dossier en version électronique pour que l’expert puisse « sélectionner les informations qui lui paraissent pertinentes ». De même, Lucas Petiot estime que l’accès au dossier complet permet aux experts d’avoir une vue d’ensemble, qui ne sera pas biaisée par le regard du juge d’instruction. Cette volonté de préserver l’indépendance des experts s’exprime par ailleurs dans l’insistance des juges d’instruction à faire de l’irresponsabilité pénale une question strictement technique, qui ne relèverait pas de leur compétence : « Soit il y a abolition, soit il n’y a pas abolition, après la nature de l’infraction n’entre pas du tout en considération. C’est une question médicale exclusivement, moi je n’ai pas d’opinion à avoir sur la question ! »

Guillaume Kasel, 20-30 ans, 2 ans d’expérience

« Je pense que je n’ai pas d’avis à avoir sur cette question ! Je ne me positionne pas ! » Geneviève Bleriot, 40-50 ans, 4 ans d’expérience

Néanmoins, les magistrats ont pour la plupart conscience que la question de la responsabilité pénale soulève des débats théoriques et moraux chez les experts psychiatres. Cependant, les magistrats rencontrés – et tout particulièrement ceux qui occupent leur poste depuis peu de temps – disent le plus souvent ignorer ou ne pas vouloir connaître la position spécifique des experts qu’ils commettent. Ils insistent sur l’importance de la qualité technique de l’expertise, considérant qu’ils n’ont par ailleurs pas à influencer le résultat de l’expertise en choisissant tel ou tel expert :

« Oui, donc moi j’attends pas que l’expertise me dise quelque chose de particulier, je veux juste qu’elle me dise s’il y a des troubles de la personnalité identifiés, si on peut diagnostiquer une maladie psychiatrique, si elle a un lien avec l’infraction qui a été commise et si on doit en tirer des conséquences juridiques, voilà. Point ! Après le reste, c’est pas mon travail. Moi je mandate pas l’expert en lui disant : ‘je vous préviens lui, il

139 doit pas être déclaré fou, il faut qu’il prenne ses vingt ans aux Assises !’ (…) Un juge qui raisonnerait comme ça, je pense qu’il se tromperait de métier ! - Y’en a qui raisonnent comme ça ? - Ah mais je pense, oui. Après ils vous le diront jamais clairement ! » Lucas Petiot, 30-40 ans, 4 ans d’expérience

Lucas Petiot, comme d’autres magistrats, admet connaître l’orientation théorique des experts qu’ils sollicite. Il juge, comme Albane Courteillac, que cela ne doit pas entrer en considération lorsqu’un expert est commis : « Alors (les experts que j’ai nommé là), je les connais pas... j’ai demandé conseil à mes collègues... je les connais pas, on verra... mais je les ai pas nommés parce qu’ils ont une position pro ou contre... - Non, j’ai compris... - Non, on le sait, mais c’est difficile de nommer un expert dont tout le monde sait qu’il est soit pro soit contre l’abolition... Parce que forcément ça veut dire qu’on a un parti pris et qu’on essaie de… » Albane Courteillac, 30-40 ans, 6 ans d’expérience Si les magistrats rencontrés sont nombreux à adopter un discours légaliste, qui se contente de paraphraser la loi, cinq magistrats interrogés considèrent normal de connaître les orientations théoriques des experts et ne cachent pas que cette connaissance peut avoir un impact sur leur choix. Ces magistrats sont alors prêts à attendre plus longtemps l’expertise d’un psychiatre dont ils partagent les vues.

Une certaine porosité idéologique entre le juge et ses experts ?

La pratique expertale ainsi que la jurisprudence témoignent d’un mouvement de responsabilisation des auteurs d’infractions présentant des troubles mentaux (voir chapitre 1). Parmi les magistrats interrogés, on remarque que certains semblent avoir pris acte de cette tendance. Ainsi, lorsqu’on leur demande de définir les cas qui relèvent selon eux de l’abolition du discernement, certains magistrats adoptent une définition très restrictive, qui correspond à cette tendance à resserrer le champ de l’irresponsabilité : « S’il y a une véritable abolition, il n’est plus du tout sensible à la loi, il est dans un autre monde... Donc moi j’aurais tendance de mettre le curseur de l’abolition, de manière un peu élevé quoi... » Patrice Messier, 50-60 ans, plus de 30 ans d’expérience Patrice Messier estime que l’abolition ne peut être décidée que dans les cas où la personne semblait incapable de faire usage de son discernement au moment de commettre les actes qui lui sont reprochés. De même Valérie Lemaitre reconnaît avoir une vision restrictive de l’irresponsabilité : il faut être « frapadingue », « complétement inconscient ». Elle explique :

« Moi je préfère qu’il y ait un petit brin de doute sur la responsabilité pour qu’il aille