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Chapitre 3 : Histoires vécues : représentations de personnes ayant fait l’objet d’une décision d’irresponsabilité pour cause

I. Être irresponsabilisé : discours psychiatrique et récit de so

L’irresponsabilité pénale confronte les personnes concernées à un discours psychiatrique sur leur comportement et sur leur psychisme. Or toutes les personnes n’accueillent pas de la même façon ces éléments exogènes. S’ils apportent à certaines des éléments qui viennent s’inscrire dans leur récit autobiographique pour lui redonner de la cohérence, ils sont reçus par d’autres comme des élucubrations mensongères qui viennent concurrencer le regard qu’ils portent sur leur histoire.

1. Un récit de soi incomplet

Lorsqu’elles reviennent sur les faits pour lesquels elles ont été irresponsabilisées, les personnes rencontrées témoignent d’une perte de contrôle, se manifestant au moment des faits par une certaine confusion mêlée d’angoisse : « Et là, pétage de plomb complet, j’étais déjà à bout quand je suis parti, j’étais déjà à bloc. Et je suis rentré, j’ai fait 2000 km et j’ai tué ma mère » Monsieur Brunet, 45 ans, hospitalisé depuis 9 ans72 « Quelles étaient vos idées à ce moment-là ? - Des idées de mort, voilà, je repensais à mes deux tentatives de suicide que je n’avais pas… Je ne voyais plus l’intérêt de continuer. Après, quel mécanisme a fait que je passe de pulsion de mort sur moi à des pulsions de mort sur d’autres personnes inconnues, même avec le recul, je ne sais pas exactement pourquoi ça s’est passé comme ça. »

72 Les noms des personnes rencontrées ont été modifiés et les âges et durées d’hospitalisation légèrement

110 Monsieur Danel, 32 ans, hospitalisé depuis 2 ans

Pour certains s’ajoute à ce mal-être profond la présence de symptômes délirants :

« (Les voix) disaient : ‘si tu le tues pas, t’es pas avec moi ! De mon côté ! Si tu le tues pas, c’est toi qui ira en enfer ! C’est toi qui aura le malheur...’, ‘Si tu le fais pas, c’est toi qui aura de mauvaises choses dans la vie’.

- Du coup, elles vous ont poussé à le faire quoi ?

Elles m’ont poussé jusqu’au bout, et moi dans ma tête je me suis dit : ‘si je le fais... vous allez pas me dire que j’ai fait quelque chose de mal, parce que vous me poussez au bout...’ »

Monsieur Kaluta, 23 ans, hospitalisé depuis 1 an

« Je me souviens plus bien, mais… On lisait dans mes pensées. J’avais une mission sur terre. J’interprétais les paroles des gens. Il fallait que je fasse quelque chose, je savais pas quoi. Ca faisait 4-5 mois que je souffrais de pas comprendre, plus parler aux gens, d’avoir l’impression qu’ils m’adressaient des paroles pour me faire comprendre des choses (…) Le fait de pas comprendre était un cri de désespoir. C’était un cri de désespoir. »

Monsieur Lapierre, 28 ans, sorti après une hospitalisation de 9 ans

Les registres sémantiques les plus couramment utilisés pour évoquer leur état au moment des faits sont ceux de la perte de contrôle (« j’ai pas pu me contrôler », « j’étais comme possédé ») ; de l’absence de volonté (« j’ai pas voulu ça ») ; de l’emballement émotionnel (« après ça a dérapé », « j’étais en colère, j’arrivais pas à me calmer »). Certains s’engagent également dans des réflexions sur le rapport qu’ils entretenaient à eux-mêmes durant le crime (« j’étais pas moi », « j’étais pas vraiment moi », « j’étais fou »). Par ailleurs, ce « trou dans leur récit » est associé à des affects très forts : tous ont commis des actes graves (de l’agression physique à l’homicide), et la plupart présente une grande tristesse à l’évocation des faits. « Quand j’y pense je pleure ! » Monsieur Kaluta, 23 ans, hospitalisé depuis 1 an Madame Roux, qui a donné la mort à ses enfants il y a plusieurs années ne parvient pas à revenir sur les faits, tandis que Monsieur Oliveira, auteur d’un matricide et hospitalisé après deux ans d’incarcération, refuse de parler de cet acte :

« Nan mais j’en ai trop parlé, après ça va me rester... Je l’ai souvent en tête ce que j’ai fait... Mais si j’en parle après, je sais que je vais pas arrêter d’y penser de la journée… » Monsieur Oliveira, 22 ans, hospitalisé depuis 2 ans Ce refus de parler des faits témoigne d’une culpabilité que certains expriment ouvertement : « J’ai essayé par tous les moyens de me suicider. (…) Je me sentais coupable... Je me sens toujours coupable, d’ailleurs… (…) je l’aimais beaucoup ma mère… vraiment beaucoup… Quand on parlait avec mes sœurs, elles la critiquaient et moi je lui trouvais tout le temps des excuses, j’ai toujours été de son côté, ce qui rend les choses encore plus incompréhensibles »

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Monsieur Verdoux, 20 ans, hospitalisé depuis moins d’un an

En somme, pour toutes ces personnes, les actes commis marquent une certaine rupture dans leur parcours biographique – rupture accentuée par l’incarcération ou l’hospitalisation dont elles ont été l’objet. Or il semble que le diagnostic posé par les experts psychiatres vient, pour certaines, combler un vide dans leur récit et apporter une explication à un acte perçu comme irrationnel. Pour d’autres, il est au contraire une explication imposée, exogène, qui entre en concurrence avec un récit de soi cohérent pour le sujet.

2. Adhésion : le diagnostic comme support de subjectivation

Plusieurs personnes (8) trouvent dans le diagnostic qui leur a été associé un élément d’explication, parfois inédit. Ils l’accueillent avec un certain soulagement comme une information qui leur permet de redonner de la cohérence à leur histoire. Ainsi Monsieur Comte, déclaré irresponsable après le meurtre de sa compagne explique :

« (L’expertise m’a permis de comprendre) la maladie... c’était une névrose hystéro- phobique, je me souviens encore du nom et c’est vrai... C’est vrai je souffrais de névrose hystéro-phobique, c’était vrai...

- C’est ça, mais est-ce que ça vous a fait prendre conscience de ce que... ?

- C’est grâce à ça que j’ai pris conscience que je souffrais de maladie mentale et qu’il fallait me soigner. »

Monsieur Comte, 67 ans, hospitalisé depuis 30 ans

Son insistance sur la « vérité » du diagnostic témoigne de l’importance de celui-ci qui vient donner une explication à un geste qu’il se reproche jusqu’à aujourd’hui, d’avoir commis sur une femme qu’il aimait mais qu’il avait peur de perdre. Monsieur Verdoux est lui aussi en accord avec le diagnostic unanime des experts psychiatries, même si l’identification de la pathologie (« schizophrénie paranoïde ») ne lui permet pas d’en comprendre les origines :

« J’ai juste pris conscience petit à petit que ce que j’avais eu c’était un délire. Et que tout ça, ça avait pas... J’avais pas... J’avais pas de raison de faire ça et je sais toujours pas pourquoi j’ai fait ça et je comprendrais sûrement jamais... - Et ça le fait d’avoir compris... vous l’avez compris quand ? - Je l’ai compris au fur et à mesure que j’avançais dans les soins. Je me suis rendu compte que c’était un délire... La soucoupe volante que j’ai vue, je venais de la voir sur internet dans un reportage... pas longtemps avant... C’était le même modèle. Donc voilà d’où j’ai sorti ça... Et je m’en suis rendu compte, ça m’a fait un choc... Je me suis dit mais merde, qu’est-ce que j’ai fait... Pourquoi je suis parti là dedans... » Monsieur Verdoux, 20 ans, hospitalisé depuis moins d’un an Même en l’absence de diagnostic consensuel, comme dans le cas de Monsieur Ferdinand, qui présente des troubles schizophréniques selon un expert, des troubles borderline selon plusieurs autres et aucune pathologie psychiatrique

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selon un dernier, la confrontation avec les expertises peut aider à comprendre son acte : « Ca m’a permis de me remettre en question, d’avoir des éléments de réponse ; même si ça reste compliqué mais... oui ça m’a quand même... après ça ne m’a pas donné toute les réponses mais ça m’a aidé quand même. » Monsieur Ferdinand, 21 ans, hospitalisé depuis 2 ans « J’arrive désormais à parler, à mettre des mots sur des choses que j’arrivais pas à penser avant. » Monsieur Verdoux, 20 ans, hospitalisé depuis moins d’un an « Ici c’est positif, ça m’a fait avancer. Ca m’explique mon mode de fonctionnement. (…) ça m’aide à comprendre ce qui s’est passé. » Madame Roux, 34 ans, hospitalisée depuis 3 ans La décision d’irresponsabilité revêt une importance réelle à leurs yeux, parce qu’elle atteste, parfois publiquement – lorsqu’il y a une audience devant la chambre de l’instruction – d’un crime qui leur a échappé et qui est bien souvent regretté. S’il est clair que l’irresponsabilité permet d’abaisser le seuil de culpabilité des personnes interrogées, ce phénomène est vécu, la plupart du temps, comme salvateur pour des personnes qui vivent très mal le fait d’avoir commis un crime sur une personne qui leur était (le plus souvent) très chère. La reconnaissance de l’abolition du discernement au moment des faits contribue moins à « déculpabiliser » celui qui les a commis qu’à attester publiquement d’un fonctionnement psychique, qui lui a échappé, au cœur duquel une partie de lui- même s’est perdue.

« Comment avez-vous réagi quand on vous a dit que vous étiez irresponsable ?

- J’étais plutôt content qu’on dise que j’étais pas dans mon état normal, que j’étais pas vraiment moi, que j’ai sombré dans la folie. (…) J’ai pris conscience que ce que j’avais eu était un délire et que j’avais pas eu de raison de faire ça, et que je sais toujours pas pourquoi j’ai fait ça, et que je comprendrais peut-être jamais.

- Ca vous aurait fait quoi de pas être irresponsabilisé ?

- Ca me foutrait les boules car on me reconnaîtrait pas malade. » Monsieur Verdoux, 20 ans, hospitalisé depuis moins d’un an

« Si j’avais été reconnue responsable, j’aurais accepté. Mais je n’ai pas voulu ce qui est arrivé. -C’est important que la justice reconnaisse ça ? -Oui. » Madame Roux, 34 ans, hospitalisée depuis 3 ans « Pour vous ça signifie quoi d’être irresponsabilisé de ses actes ?

- En terme...enfin moi... ce n’était pas l’irresponsabilisation telle qu’elle, en fait mais plutôt que les gens m’aient entendu et comprennent que ce que j’ai fait je ne voulais pas le faire. C’était plus par rapport à ça. Et, en gros, enfin la vérité... en gros je pense que l’irresponsabilité c’est ce qui correspondait le plus.

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- En gros, après c’est que je vais à l’hôpital tout ça... Pour moi, c’était un soulagement. C’était ce que je souhai... on va dire, en gros c’était ce qui correspondait à l’acte, je ne voulais pas le faire..., ça correspondait à mon état d’esprit. Et ça y correspond toujours aujourd’hui. »

Monsieur Ferdinand, 21 ans, hospitalisé depuis 2 ans

La décision d’irresponsabilité constitue ainsi la reconnaissance officielle d’un récit dans lequel ils ne sont pas « responsables » des actes qu’ils ont commis. Monsieur Comte, condamné au cours des années 198073, regrette ainsi de n’avoir

pas eu d’audience publique ou de procès, pour pouvoir expliquer son geste :

« Vous aviez pas peur d’aller en psychiatrie ? Vous auriez pas préféré être jugé responsable par exemple ?

- J’ai tout fait pour être... irresponsable... j’ai tout fait... pourtant, c’est paradoxal, j’aurais voulu être jugé par le peuple.

- D’accord.

- Voilà, moi j’étais exclu de la loi, j’étais pas sous le coup de la loi, j’aurais voulu... un jugement... avec des juges, avec un jury...

- Pourquoi ?

- Pour expliquer mon histoire... »

Monsieur Comte, 67 ans, hospitalisé depuis 30 ans

Si ces personnes acceptent facilement le diagnostic énoncé par les experts, c’est peut-être parce que les symptômes dont elles souffraient ont disparu sous l’effet des antipsychotiques : en effet, pour ces patients, la pathologie se raconte souvent au passé. Ils ont été « malades », voire « fous », mais ne le sont plus :

« Bah non, j’ai plus rien... J’ai l’impression d’être redevenu normal, j’ai plus de pensées bizarres... J’ai vraiment l’impression que j’étais pas moi quoi, j’étais rentré dans un délire de fou... Et je sais pas comment j’ai pu maintenir ce délire de fou jusqu’à l’acte, sans revenir sur terre à un moment... »

Monsieur Verdoux, 20 ans, hospitalisé depuis moins d’un an

Dès lors, si le diagnostic permet de rationaliser des comportements et les actions qui leur ont échappés, il est cependant d’autant plus difficile de l’intégrer à l’histoire personnelle que les symptômes ne sont plus présents : « Ca me paraît évident que j’étais irresponsable, mais j’ai du mal à l’accepter. J’ai du mal à faire face à cette image de fou. Mais j’étais irresponsable, ça se discute même pas. » Monsieur Lapierre, 28 ans, sorti après une hospitalisation de 9 ans « -Vous avez l’impression d’être malade? - Je dois l’intégrer. C’est difficile, mais je dois l’intégrer. » Madame Roux, 34 ans, hospitalisée depuis 3 ans

Les patients hospitalisés depuis plusieurs années parlent d’une lente assimilation du diagnostic, qui redéfinit actuellement leur identité personnelle :

73 Jusqu’à la réforme de l’irresponsabilité pénale en 2008, les personnes dont le discernement était jugé

aboli au moment des actes étaient directement hospitalisées sous la forme d’une hospitalisation d’office. Désormais, la chambre de l’instruction peut organiser une audience de quelques heures.

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«Le mot schizophrénie, il a fallu un petit moment pour le digérer, c’était un petit peu difficile (…) Il m’a fallu un peu de temps pour le penser vraiment. Aujourd’hui, je pense que c’est bon ».

Monsieur Danel, 32 ans, hospitalisé depuis 2 ans

Cette étrangeté dans le ressenti de la folie explique que certains l’appréhendent comme extérieure ou étrangère à eux-mêmes car ils n’imaginent pas que leur esprit puisse avoir produit ce type de représentation qu’ils jugent aujourd’hui erroné. Pourtant une fois la prise de conscience de ce processus mental réalisée, un travail d’élaboration psychologique se met en place, au cours duquel les individus semblent aux prises avec cette redéfinition de leur identité personnelle : « Et ça... Pour vous, la maladie c’est extérieur à vous ou à l’intérieur de vous ? - Moi je pense plus que c’est extérieur... Pfff… - C’est-à-dire ? Oui, c’est difficile comme question… - Bah je sais pas c’est des trucs que j’entendais ! Pour moi, je pouvais pas inventer des choses pareilles quoi... Les voix, tout ça ! Y’en a ils disent ça vient du cerveau, c’est des trucs qu’on a dans la pensée qui se manifestent... mais pour moi c’est pas ça, je pouvais pas inventer des trucs pareils ! - Ca venait de l’extérieur en fait ? Vous aviez l’impression que ça venait de l’extérieur ? - Ben ouais, mais en même temps, ça voudrait dire que je crois que ça vient pas de la maladie ! Ah je sais pas ! »

Monsieur Oliveira, 22 ans, hospitalisé depuis 2 ans

Ces patients développent ce que la psychiatrie qualifierait « d’insight », c’est- à-dire la conscience du trouble qui les affecte. Ainsi, Monsieur Lapierre, désormais sorti de l’hôpital psychiatrique après une hospitalisation de plusieurs années, a longuement cherché à se réapproprier le diagnostic de « schizophrène » qui lui avait été donné. Aujourd’hui, il se définit comme « fou » et juge même avec une certaine sagesse que « l’idée d’être fou au quotidien (le) pousse à être plus lucide ». Il a beaucoup lu, notamment les travaux de Gustav Jung, beaucoup réfléchi à son histoire familiale, et tenté de comprendre les délires qui l’habitaient à la fin de son adolescence :

« Et ça c’était l’idée dominante, l’idée qu’on lisait dans vos pensées ?

- Ouais... Oui, c’est une idée qui m’a donné l’impression d’avoir une mission sur terre... Quand on a 16 ans... On connaît rien du monde, surtout moi qui était isolé, je me faisais des tas d’idées... Après je pense que l’idée que j’ai eue est pas sortie de nulle part, je pense que tout le monde a déjà vécu des coïncidences, ces moments où on pense à quelqu’un et il vous appelle... sauf que moi je les ai mal interprétées et avec mon isolement, le cannabis, je suis resté dans cette idée-là après... »

Monsieur Lapierre, 28 ans, sorti après une hospitalisation de 9 ans

On le voit avec Monsieur Lapierre, ce n’est pas seulement le diagnostic, mais également un travail d’appropriation au long cours, aidé notamment par la rencontre avec des psychothérapeutes, qui permet aux individus d’accueillir cet élément exogène que constitue la maladie et de le réintégrer progressivement au récit de soi.

115 3. Résistance : refuser d’être assujetti au diagnostic Pour d’autres enquêtés (trois parmi les personnes rencontrées), le diagnostic vient non pas éclairer un comportement irrationnel, mais entre au contraire en contradiction avec un récit de soi déjà cohérent. Il est dès lors vécu comme un assujettissement (Foucault, 1994, voir note supra) insupportable, et l’irresponsabilité qui l’accompagne constitue une décision injuste voire un déni de justice, c’est-à-dire un refus des pouvoirs publics de rendre justice.

Déjà hospitalisé plusieurs années à la suite d’un matricide, lorsqu’il avait vingt ans, Monsieur Brunet est de nouveau irresponsabilisé après avoir tué sa compagne, alors qu’il avait arrêté, quelques temps auparavant, le traitement antipsychotique qu’il supportait mal. Il récuse la réalité de la pathologie (schizophrénie paranoïde) : elle est une interprétation fallacieuse des experts et des psychiatres. Selon lui, ses actes sont consécutifs à un empoisonnement à l’héroïne, dont seraient coupables ses deux anciennes compagnes, et qui l’a conduit à deux « descentes aux enfers ». La première s’est soldée par le meurtre de sa mère (« c’est ma plus grosse erreur. Je n’aurais jamais dû m’en prendre à ma mère. C’est Nicky la responsable »), l’autre par le meurtre de sa seconde compagne, Nathalie, qui aurait provoqué ce drame :

« Vous étiez un pantin ?

- Bah oui, avec l’héroïne, oui, j’étais un pantin, oui. Complétement... Elle voulait me dominer... Ouais non mais je vois bien le truc, moi je voulais pas de ça, quoi, j’étais autonome, j’étais épanoui, je lisais, j’étais passionné par mes lectures... Et j’avais pas besoin de ça, je l’emmerdais pas... Je lisais, je faisais ma vie, je la voyais le soir, le midi, ça se passait très bien mais... Non, elle a tout voulu... elle a tout perdu... Et ben tant pis pour elle ! Et puis moi aussi, je suis dans la merde ! 14 ans que je suis enfermé à cause de ça… (…) C’est malheureux à dire, mais je regrette qu’elle m’ait fait ça. Parce que je serais encore avec elle, j’aurais peut-être des enfants. J’étais prêt à faire ma vie avec elle. Mais voilà, elle voulait tout et elle a tout perdu... »

Monsieur Brunet, 45 ans, hospitalisé depuis 9 ans

Monsieur Brunet refuse donc un diagnostic qui vient perturber le récit logique auquel il croit fermement malgré ses incohérences apparentes. Madame Arborel tente elle aussi d’obtenir justice et de rétablir la vérité : selon elle, elle n’est pas malade, mais bien la victime d’un complot tramé par sa famille et par les forces de l’ordre de son village d’origine. Si elle reconnaît avoir agressé un gendarme, elle estime cependant avoir agi en état de légitime défense :

« Mais pour quelle maladie vous a-t-on hospitalisée ? - Je ne sais pas, délire de persécution, forme chronique. - Et vous, vous êtes d’accord avec ça ?

- Non (…) « délire de persécution » notamment je ne suis pas d’accord. Parce que faut parler de… J’habitais à (nom du village) dans la maison familiale et j’avais une entrée par la porte de derrière et devant la porte c’était une petite rue où les gens aiment stationner mais quand ils stationnaient trop près de ma porte, je n’arrivais pas à l’ouvrir. Donc la mairie et la police ont mis un marquage au sol. Mais malgré ça les gens se garaient. C’est

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pour ça, je rentrais en conflit avec tout le monde. Car si la porte était fermée, la lumière