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1. Etat de l’art

1.4 Détermination du cadre de l’étude et de la problématique scientifique

L’étude bibliographique réalisée a permis de dresser un état des lieux des connaissances actuelles sur les mécanismes de désorption du dioxyde de carbone dissous des moûts de fermentation et sur l’impact de ce composé sur le métabolisme de la levure S. cerevisiae. Une brève présentation du métabolisme de ce micro-organisme modèle a également été proposée, notamment sur le déclenchement de l’effet Crabtree.

Le transfert liquide / gaz du dioxyde de carbone est classiquement décrit par analogie avec le transfert gaz / liquide de l’oxygène avec une correction pour les diffusivités différentes de ces deux composés (Royce and Thornhill, 1991). Le transfert liquide / gaz par nucléation séparée de microbulles de CO2 peut être négligée dans des conditions de culture microbienne aérobie mais il est nécessaire de considérer les équilibres dynamiques existant en phase liquide entre les différentes espèces constituant le carbone inorganique total. Le coefficient volumétrique de transfert caractérisant la dynamique du flux d’absorption de l’oxygène dépend de la puissance dissipée, de l’aire interfaciale de la phase gaz dispersée dans la phase liquide, des paramètres physico-chimiques (force ionique, tension de surface) et rhéologiques (viscosité) de la phase liquide et de la présence d’une réaction de consommation d’oxygène dans la phase liquide. Les

0 0.02 0.04 0.06 0.08 0.1 0.12 0.14 0.16 0.18 0.2 1 1.002 1.004 1.006 1.008 r (mole/m3/s) E 0 0.02 0.04 0.06 0.08 0.1 0.12 0.14 0.16 0.18 0.2 0 0.02 0.04 0.06 r (mole/m3/s) Ha

101 études empiriques sur le transfert gaz / liquide de l’oxygène ont cependant été réalisées dans des milieux modèles coalescents ou non-coalescents pour des puissances dissipées faibles (< 8 kW.m -3). Elles ne sont donc pas compatibles avec des conditions de culture intensive où les niveaux de puissance dissipée sont beaucoup plus élevés afin d’assurer un transfert d’oxygène suffisant à la réaction biologique de consommation d’oxygène (Fyferling et al., 2008; Knoll et al., 2007; Schaepe et al., 2013). De la même façon les études sur la désorption du CO2 en réacteur agité aéré ont le plus souvent été réalisées en milieux modèles, en l’absence d’une réaction de production du CO2 et pour des puissances dissipées et des débits de ventilation faibles amenant à des coefficients volumiques de transfert très inférieurs à ceux atteints pour l’oxygène lors de cultures microbiennes intensives (Gray et al., 1996; Hill, 2006; Kordač and Linek, 2008; Matsunaga et al., 2009b; Puskeiler et al., 2012; Sieblist et al., 2011). Elles permettent néanmoins de mettre en évidence que le coefficient volumétrique de transfert du dioxyde de carbone en réacteur agité aéré serait principalement dépendant du débit de ventilation et non de la puissance dissipée comme pour l’oxygène (Gray et al., 1996; Puskeiler et al., 2012; Sieblist et al., 2011). Ce phénomène serait lié à la nature de la dispersion de la phase gaz dans la phase liquide en réacteur agité aéré (Sieblist et al., 2011). De la même façon en conditions de culture microbienne plusieurs auteurs mentionnent des coefficients volumétriques de transfert liquide / gaz du CO2 inférieurs aux coefficients théoriques calculés à partir des coefficients volumétriques de transfert gaz /liquide de l’oxygène (Dahod, 1993; Hiltbrunner and Zizek, 2006; Sherstobitova and Bylinkina, 1977; Smith and Ho, 1985). La validité de l’analogie faite entre transfert liquide / gaz du dioxyde de carbone et transfert gaz / liquide de l’oxygène est donc remise en question. Une désorption lente du CO2

des moûts de fermentation pourrait entraîner une accumulation du CO2 en phase liquide et donc

un impact sur la physiologie du micro-organisme cultivé. Le micro-organisme S. cerevisiae est considéré comme modèle dans ce travail.

L’impact du CO2 sur la physiologie de la levure S. cerevisiae a fait l’objet de nombreux travaux en métabolisme anaérobie, oxydo-fermentaire et oxydatif. L’analyse comparative de ces publications est difficile en raison de l’hétérogénéité importante dans les conditions de culture (nature des substrats, conduite de fermentation) et de l’absence fréquente de quantification des concentrations en CO2 dissous. Il apparait toutefois que des concentrations élevées en CO2 dissous peuvent impacter de façon significative la physiologie de la levure. Cet impact est plus marqué en métabolisme oxydatif et est caractérisé par une baisse du rendement en biomasse formée par rapport au glucose consommé et une augmentation des vitesses spécifiques de respiration (Aguilera et al., 2005b; Chen et al., 1976). Il a également été montré récemment qu’un incrément de la concentration en CO2 dissous pouvait causer une réponse transitoire de la levure

102 (Aboka et al., 2012; Krook et al., 2004). Les études de type physiologie quantitative concernant l’impact du CO2 sur la levure sont cependant rares (Aboka et al., 2012; Aguilera et al., 2005b; Chen et al., 1976; Krook et al., 2004; Renger, 1991) et les mécanismes d’action du CO2 sont encore mal connus.

La maîtrise de la bascule métabolique du métabolisme oxydatif au métabolisme oxydo-fermentaire est un enjeu crucial pour les industries de production utilisant la levure en métabolisme oxydatif. La transition du métabolisme oxydatif au métabolisme oxydo-fermentaire chez S. cerevisiae a fait l’objet de nombreux travaux dans la littérature mais les mécanismes à l’origine de cette transition n’ont pas été identifiés à ce jour. L’hypothèse généralement acceptée est l’existence d’une capacité respiratoire limite entraînant un phénomène d’overflow métabolique. Le dioxyde de carbone est impliqué en tant que produit ou substrat dans de nombreuses réactions du métabolisme de la levure S. cerevisiae mais son rôle dans la transition respiro-fermentaire n’a pas fait l’objet d’investigations jusqu’à présent.

Le dioxyde de carbone est un produit du métabolisme cellulaire impliqué dans des phénomènes de transfert (biomasse / liquide et liquide / gaz) à l’échelle du réacteur. La concentration en dioxyde de carbone dissous dans la phase liquide dépend de la dynamique de ces phénomènes de transfert, des équilibres dynamiques avec les espèces du système carbone inorganique total et de la production de CO2 par le métabolisme cellulaire. Des concentrations élevées en CO2 dissous peuvent impacter la physiologie des micro-organismes, notamment pour la levure modèle S.

cerevisiae. Les phénomènes de transfert inter phasiques du CO2 et l’impact réel du CO2 sur la physiologie des micro-organismes sont encore mal connus laissant ouvert le champ pour nos investigations. A ce titre les questions scientifiques de ce travail de thèse sont :

Comment décrire le transfert liquide / gaz du dioxyde de carbone en conditions de culture microbienne intensive ? L’approche théorique décrite dans la littérature peut-elle être

appliquée pour des cultures à haute densité cellulaire c’est-à-dire avec de forts flux de production de CO2, l’application de puissances dissipées élevées dans des réacteurs multi-turbines, un flux d’absorption croisé gaz / liquide de l’oxygène important et un milieu complexe évolutif et partiellement non-coalescent ? La mesure de la fraction molaire en dioxyde de carbone dans les gaz de sortie et la caractérisation des performances de transfert gaz / liquide de l’oxygène sont elles suffisantes pour évaluer la concentration en dioxyde de carbone dissous lors d’une culture microbienne intensive ?

Quel est l’impact de la concentration en dioxyde de carbone dissous sur le métabolisme oxydatif de la levure S. cerevisiae ? L’impact du CO2 dissous sur la physiologie de la levure a fait l’objet de peu de travaux de physiologie quantitative et semble sous-estimé dans la littérature.

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Quel est l’impact du dioxyde de carbone sur la transition respiro-fermentaire chez la levure S. cerevisiae ? Le dioxyde de carbone est un produit ou substrat de nombreuses voies

métaboliques impliquées dans la capacité respiratoire sous sa forme dissoute ou par des formes ioniques résultant d’équilibres chimiques avec les ions hydrogénocarbonates. Le dioxyde de carbone apparaît donc comme un effecteur global pouvant impacter le déclenchement de l’effet Crabtree.

Les expérimentations réalisées dans le but de formuler des éléments de réponse à ces questions ont été mises en œuvre dans l’environnement contrôlé et maîtrisé de bioréacteurs. Une conduite

discontinue alimentée (fed-batch) a été adoptée pour l’étude du transfert liquide / gaz du CO2

dans la mesure où elle permet de mimer les conditions de mise en œuvre industrielle des micro-organismes. Une conduite continue (chemostat) ou accélérée (accélérostat) a été adoptée pour l’étude de l’impact de la concentration en CO2 dissous sur la physiologie du micro-organisme modèle S. cerevisiae afin de permettre une étude plus fine des réponses de la levure à des incréments de CO2 dissous.

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