• Aucun résultat trouvé

III. Habiter l’espace intermédiaire

III.1. L’habiter : une entrée par l’espace végétalisé

III.2.1. Le désir de nature et de paysage : deux demandes confondues ?

Pour définir la notion de nature, on reprendra ici la définition donnée par Michel LUSSAULT

dans « Continu et discontinu de l’espace géographique » (2008). Elle correspond pour lui à « un

ensemble de phénomènes, de connaissances, de représentations, de discours et de pratiques résultant d’un processus sélectif d’incorporation des processus physiques et biologiques par la société ». Michel LUSSAULT identifie ainsi la présence d'interactions entre la société et le milieu

dans lequel elle évolue : « bien loin d'être une instance extérieure à la société, un système

autonome, la nature est une construction sociale». Se retrouver à proximité, voire au contact de la nature, est synonyme de respirer l’air « pur » et entendre les oiseaux chanter, bénéficier du calme de la campagne tout en étant proche des voies de communication, sont autant d’éléments qui indiquent la demande d’un certain confort de vie que les individus ne possédaient pas en ville. Si la recherche d’une plus grande proximité avec la « nature » est un critère majeur pour l’emménagement en périurbain, nombre d’études démontrent que les

citadins recherchent en fait un cadre de vie comprenant nature et paysage (BIGOTet al., 2001 ;

BOISMENU, 2004).

Précisons que cet argument est valable dans le cas des ménages qui ont pu choisir l’emplacement de leur installation. Pour certains foyers, le départ des villes-centres correspond

surtout à une contrainte financière, ce qu’ont pu montrer les travaux de Lionel ROUGE (2005 ;

2011)dans le contexte toulousain. Pourtant le périurbain francilien correspond à un espace bien

plus complexe que le support d’une simple dichotomie entre des ménages pauvres subissant

leur localisation et des ménages riches cherchant, eux, l’autonomisation (ARAGAU et al., 2011).

Dans une région où l’occupation du sol est, pour moitié, dédiée à l’agriculture et où plus de 70 % de la surface régionale sont occupés par des espaces en végétation, le désir de verdure et des vertus qui lui sont associées guide les citadins vers les franges urbaines de l’agglomération parisienne. Ce désir se manifeste également dans la fréquentation des grandes forêts et des grands parcs urbains en périphérie de la capitale. L’idéal de la maison individuelle avec un

jardin correspond à un modèle social largement ancré dans les mentalités (FRILEUX, 2008).Ce

besoin de nature ne se manifeste aujourd’hui pas seulement dans le périurbain mais aussi dans

le contexte urbain dense, comme cela a été identifié par Emmanuel BOUTEFEU (2005). Cet idéal

de reconnexion à la nature pousse à se demander quelle est la représentation de cette nature en Ceinture verte ? Le désir de nature oppose l’artificialité de la ville face à la naturalité des marges de la ville. Il correspond en fait au désir de « vert ». Il est d’ailleurs souvent perçu comme la

WAERBEKE, 2006). Ce vert n’est pas seulement celui des parcs et des jardins, il est aussi celui des espaces boisés et naturels, jusqu’à celui des champs.

La conception de la nature recouvre plusieurs catégories. C’est d’abord une nature sauvage, lointaine qui correspondrait à un milieu vierge de toute action ou dégradation humaine. Cette vision est largement issue des médias et des émissions de télévision comme Ushuaia ou encore Thalassa. C’est la nature des grands paysages, de l’Amazonie au nord de la Norvège ou des pôles. Le deuxième type est celui d’une nature « agricole », celle de la campagne, associée aux paysages bucoliques. Le troisième type est celui d’une nature de proximité. Elle correspond au jardin, au parc, au végétal. Enfin, quatrième type rencontré, celui

de ce qu’Yves LUGINBÜHL (2001) appelle le « spectacle de la vie naturelle », qu’il qualifie

également de « pittoresque écologique ». Il s’agit là davantage de voir les processus biologiques liés à la faune ou à la flore. Toutefois, c’est en général une nature aménagée, anthropisée qui est souhaitée.

La demande de nature ne doit par ailleurs pas être confondue avec celle de paysage, même si, dans les représentations sociales du paysage, la nature joue un rôle essentiel. A l’interface entre le naturel et le social, le paysage est une notion essentielle à manier pour appréhender le rapport des acteurs et des habitants avec les espaces végétalisés de la Ceinture

verte. Dans le dictionnaire du Larousse illustré daté de 2018, il correspond à l’« étendue de

terre qui s’offre à la vue ». Aujourd’hui, le paysage est profondément ancré dans nos sociétés. Il fait partie des préoccupations sociales et intéresse les milieux de l’aménagement du territoire

et de l’environnement (LUGINBÜHL, 2012). Notion polysémique, et possédant une histoire sur

laquelle se sont penchés de nombreux auteurs, le paysage constitue un vaste champ de

recherche sur lequel on ne reviendra que de manière succincte. Augustin BERQUE (1994) et

Alain ROGER (2009) ont tous deux montré la distinction à opérer entre environnement et

paysage. Pour Georges BERTRAND (1978), le paysage est interface. Son approche considère le

facteur anthropique sous l’angle naturaliste. Nous nous rapprochons de la posture que défend

Yves LUGINBUHL (2007).pour qualifier le paysage, prenant le sens d’ « une construction

sociale à double dimension, matérielle, qui renvoie au support biophysique du paysage, et immatérielle, qui, elle, fait référence aux représentations et aux perceptions » Défini ainsi, le paysage se rapproche de la notion de nature. L’intérêt marqué par les sphères médiatiques, politiques et la société elle-même ont poussé à une inscription du paysage dans les politiques

Le paysage constitue un média pour appréhender les rapports qu’entretiennent les habitants et

des acteurs aux espaces végétalisés des franges de l’agglomération. Selon Eva BIGANDO

(2006), il prend part, dans nos sociétés occidentales, aux modes de vie et d’habiter. La recherche consacrée aux rapports sociaux aux espaces végétalisés opèrent le plus souvent des catégorisations entre groupes : entre anciens et nouveaux habitants, entre touristes et habitants,

entre agriculteurs et non agriculteurs (LE FLOCH etDEVANNE, 2007). Il est intéressant de noter

que l’évolution du corpus réglementaire français tend vers l’élaboration de dispositifs de

protection face à la progression de l’urbanisation. Nathalie BLANC et al. (2007) identifient un

intérêt politique pour les paysages après les années 1970, dans un contexte sociétal de plus en plus préoccupé par les questions environnementales.

La demande sociale de paysage reste ambiguë. Yves LUGINBÜHL (2001) montre dans

le rapport remis au Conseil national du paysage que celui-ci est perçu par les Français comme un décor, une vue, portant là une dimension esthétique, mais il renvoie également au cadre de vie, comme composante de ce dernier. L’association du paysage au cadre de vie varie en fonction des groupes sociaux et des classes d’âge mais elle tend à se généraliser. La ville en revanche ne constitue pas un objet privilégié des politiques centrées sur le paysage en France.

Les politiques paysagères concernent essentiellement le milieu rural (BLANCet al., 2007). La

ville n’est pas considérée comme un paysage. Cette opposition entre ville et paysage s’inscrit sur l’antinomie traditionnelle entre ville et campagne.

Dans un certain nombre de pays européens, la demande de nature et de paysage est le corolaire d’une image de la campagne magnifiée. Cette image repose sur les mythes construits

par nos sociétés (BERQUE, 1995). D’où provient cette forte valorisation des paysages

campagnards ? Nous citerons d’abord la mémoire de l’origine rurale d’une majorité de Français, les arts, les tableaux des impressionnistes, de Turner, des peintres de Barbizon, mais aussi la littérature, les livres de Balzac, de Maupassant, de Giono, de Pagnol, etc., mais aussi les films populaires, la gastronomie et le terroir. Le mot même de « campagne » évoque d’ailleurs la valorisation des terres en dehors de la ville par la société bourgeoise du Second Empire qui y aménage des lieux de loisir ou y construit même des lotissements résidentiels (VAN WAERBEKE, 2006). Bertrand HERVIEU et Jean VIARD (1996)ont analysé ce désir de campagne de la société française actuelle dans leur ouvrage « Au bonheur des campagnes ». Une enquête conduite par le CSA/ CEVIPOF en 1994 leur a permis de tirer plusieurs conclusions importantes. A ce moment-là, et l’on peut penser que c’est toujours le cas aujourd’hui, les Français associent volontiers l’idée de liberté à la campagne, tout comme celles

de tranquillité, de santé, de beauté, de loisir, de solidarité et de tradition (HERVIEU etVIARD,

n’est pas pensée comme un lieu productif mais comme un paysage, un spectacle. Les agriculteurs ont ainsi la charge de la gestion et de l’entretien de ce paysage rural. L’opposition entre une campagne-nature et la ville s’atténue aujourd’hui au profit des conceptions de la ville

nature, de la ville jardinée (TERRINet al., 2013).

Dans le cas francilien, aux portes de la métropole mais toujours dans la ville, le paysage est en majorité, un paysage ordinaire, dans lequel se déroule la vie quotidienne et d’une nature proche. Ces paysages s’opposent à une nature remarquable, celle qui fait l’objet d’une identification et d’une protection réglementaire au titre de la loi Paysage de 1993. On demande alors à ces paysages qui ne sont pas supposés nécessiter de protection particulière, d’être de qualité. Banals ou ordinaires, ils font l’objet de véritables attentes et sont de plus en plus considéré comme des biens à préserver, ce patrimoine paysager pouvant être aussi bien un culturel ou naturel.