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I. La Ceinture verte d’Île-de-France : histoire d’un projet inabouti inabouti

I.1. Autour de Paris : une première tentative inaboutie

« [Il] y aurait un moyen bien simple [...] de transformer en oasis ce désert continu de plusieurs kilomètres ; ce serait de planter de dessiner en jardins [des] fortifications. Nous donnerions ainsi à la ville de paris des abords dignes d’elle. Il y a là non seulement une question d’embellissement mais encore une question d’hygiène ; et la santé publique, aussi bien que la beauté de la capitale, aurait tout à gagner de cette ceinture verdoyante ».

C’est de cette manière qu’Ernest Hamel propose au conseil municipal de Paris en 1885 un avenir pour la zone des fortifications entourant Paris. La ville aurait pu ainsi être la première agglomération à posséder une ceinture verte. Différentes conceptions de son rôle se sont

confrontées au tournant du XXe siècle.

I.1.1 Les « fortifs »et la « zone » : la possibilité d’une ceinture d’espaces verts autour de Paris abandonnée

La possibilité de mettre en place une ceinture d’espaces libres autour de Paris est évoquée au moment où les responsables politiques s’interrogent sur l’avenir de l’ancienne ligne de fortifications qui avaient été mises en place par Thiers pendant la décennie 1840. Les

fortifications, communément appelées les « fortifs’ » étaient entourées d’une zone non

aedificandi, c’est à dire soumise à servitude militaire, interdisant de construire de nouveaux

Figure II.1. Photographie des fortifications et de jardins ouvriers dans la zone non aedificandi en 1919. Source : APUR - BHVP

Dans cet espace non-bâti de 250 mètres de large, composé essentiellement de terrains vagues, la « zone », s’était progressivement installée une population, essentiellement issue de l’immigration venue de province et du petit peuple parisien pour cause de l’augmentation des

prix des loyers et du manque de logement à Paris (MULLER, 1983). Appelés les « zoniers » ou

les « zonards, des chiffonniers, des ouvriers et des artisans logeaient dans des baraquements et des cabanes dans des conditions très souvent insalubres. L’image largement péjorative de la « zone » était attachée à ces baraquements et taudis. Les habitants de la ville de Paris considéraient la zone comme le lieu de la criminalité et de la prostitution, de l’insalubrité et de

l’immoralité (KALIFA, 2004). L’idée de créer une ceinture verte a été largement inspirée par la

volonté de chasser ces populations de la « zone ». Le sort à réserver aux fortifications et à la zone fut l’objet d’un certain nombre de débats au conseil municipal de Paris. Dans son ouvrage

consacré aux fortifications et aux débats autour de leur déclassement, Marie CHARVET (2005)

montre que plusieurs projets s’affrontent, entre 1880 et 1919, pour envisager l’avenir de cet

espace. Ces projets cristallisent plusieurs enjeux, « entre préoccupations hygiénistes et souci

de régénération nationale » au sortir de la défaite contre la Prusse. Les conceptions esthétiques mais aussi hygiénistes imprègnent les discours des élus. Le Projet d’Eugène Hénard, architecte de la ville de Paris, proposé en 1903, est soutenu par la section d’Hygiène du Musée social. Les réformateurs sociaux s’inquiètent alors du manque d’espaces libres, comme en témoigne cette citation d’Eugène Hénard :

« Les larges surfaces plantées d’arbres et d’arbustes au milieu des agglomérations urbaines sont indispensables à l’hygiène publique, au même titre que l’air et la lumière. […] Or, à ce point de vue […] Paris est dans un état d’infériorité flagrante par rapport à bon nombre de grandes villes étrangères. »

Ce dernier proposait ainsi de créer neuf grands parcs périphériques, également répartis autour de Paris. Le contexte sanitaire, avec l’épidémie de tuberculose, n’était pas la seule

préoccupation des édiles. En effet, les parcs et jardins des fortifications devraient aussi contribuer à détourner les ouvriers du café et du marchand de vin.

Figure II.2. Projet d'ensemble des parcs et jardins à établir dans Paris proposé par Eugène Hénart, 1904, étude sur les transformations de Paris. Source : Collectif, Jean Claude Nicolas Forestier,

1861-1930. Du jardin au paysage urbain, Paris, Picard, 1994.

Le discours du Docteur Landouzy, spécialiste de la tuberculose, en 1908, ajoute une dimension organiciste :

« [Que] n’imitez-vous pas les édiles de Londres, et que ne profitez-vous pas de la bonne aubaine des fortifications qui vont tomber, pour faire à la ville de Paris une superbe ceinture de jardins, de parcs, de stands et de terrains fleuris ! [...]Que ne donnez-vous pas à la ville de Paris la couronne et l’enceinte de parcs fleuris semblables à celles dont sont si fiers les habitants de Londres ! Vous savez [...] comment ils appellent leurs promenades : ils les appellent les poumons de Londres. Eh bien, Messieurs, ce sont ces poumons que nous vous demandons pour les Parisiens et pour les quartiers ouvriers surtout, pour lesquels nous voulons de l’air, de la lumière et du soleil. »

La métaphore du poumon vert utilisée dans cet extrait est aujourd’hui dans de nombreux documents de communication. L’hygiénisme de cette époque est aussi teinté d’une idéologie réactionnaire comme en témoigne le projet soutenu par la Ligue pour les espaces libres, l’assainissement et le sport, impulsée en 1909 par Louis Dausset, élu nationaliste, au discours marqué par la xénophobie et l’antisémitisme, la Ceinture verte permettant que soient éradiqués

lien avec la promulgation de la loi Loucheur en 1928, les terrains ont progressivement accueilli dans les années 1930 une combinaison d’habitations bon marché, les fameux HBM reconnaissables aux briques rouges construites, d’équipements scolaires et sportifs, ainsi que d’hôpitaux. La partie la plus ambitieuse de cet aménagement fut la création de la cité universitaire internationale dont les bâtiments furent dispersés dans un parc conçu par Forestier. Les projets de déclassement de la zone des fortifications rappellent l’instrumentalisation de projets d’aménagement en Ceinture verte aujourd’hui, comme nous le verrons dans la troisième partie de cette thèse.

I.1.2. Le plan Prost : les prémices d’une planification d’ensemble de l’agglomération parisienne

Le plan Prost, du nom de son créateur Henri Prost, rendu public en 1934 et approuvé par décret en 1939, présente déjà l’ambition de contenir l’expansion de l’agglomération parisienne. A ce moment-là, la région parisienne est définie dans un rayon de 35 kilomètres autour de Paris. Le projet détermine, pour chacune des communes comprises dans le périmètre, une limite de territoire à urbaniser. Le reste, la zone indiquée comme « non affectée », est consacrée à l’activité agricole. C’est finalement sous l’impulsion de la Région telle que définie par le découpage des années 1950 que sera imaginée une Ceinture verte autour de Paris.