un cliché psychanalytique présentant un fils féminisé face à une figure
paternelle écrasante. En quoi la figure doubrovskienne de « l’empallemand »
répond-‐‑elle de ce fantasme ?
1-‐‑3-‐‑ “ L’empallemand “
S. Doubrovsky dans un rêve croit s’identifier à sa mère
134. Le rêve en lui-‐‑
même est-‐‑il une transcription plus ou moins vraie, un cliché ? Ecrit pour être
glosé par le narrateur qui a une très bonne culture freudienne, au-‐‑delà de son
contenu, c’est le rêve en lui-‐‑même qui est « enculeur »; c’est l’inconscient qui
déshonore. Le sentiment d’être « agi » à son insu et ainsi travesti en femme
relève d’une féminité qui est associée au « trou » entre les jambes. Il y a quelque
chose qui s’échappe, qui fuit. Rêve « hétérodoxe » parce qu’il relève d’une autre
loi que la sienne, impose un cadrage que, dans le contexte de l’analyse avec
Akeret, nous associons à la loi du père. Ce qui prévaut dans l’ironie de nos
auteurs est l’analogie entre soumission à l’ordre établi et féminité. Le conflit
politique entre père et fils est d’ordre sexuel. La figure du psychanalyste
devient, pour S. Doubrovsky, celle de l’anal-‐‑yste, faisant entrer le lecteur dans le
fantasme de Fils. La psychanalyse devient « psychanalité ».
La passivité/féminité du fils face à l’activité/masculinité du père est un
paradigme qui parcourt tout notre corpus. « L’Enfance d’un chef » illustre cette
problématique filiale mettant en scène toute une dramatique politique autour
de la figure de l’analyste dont nous retrouverons les éléments essentiels dans
les œuvres de notre corpus. L’homosexualité, la crainte du féminin, l’angoisse
de castration associées à la psychanalyse et révélées concrètement par la scène
de sodomie de Bergère sont déniées par un engagement à l’extrême-‐‑droite. A
travers le couple patient (« analysant » aujourd’hui mais « patient » ou
134Ibid., p. 316 : « Je me trouve en train de passer la nuit dans une auberge au lit avec un garçon de 13 ans. […] Désir secret, en catimini, me défoule, m’offre un mec. Rêve enculeur. Non, l’inverse, rêve d’enculé. JE SUIS UNE FEMME DE 30 ANS. Pas piqué des vers, à peine racontable. Je cesse à peine d’être tantouze. Soudain gonzesse. Pas mieux. Pas plus sortable. Rêve hétéro, mais quand même. Hétérodoxe. Mon image virile. Mon inconscient la déshonore. Mon rêve me fait honte. Femme ou pédé.
« analysé » convient mieux à la vision sartrienne)-‐‑analyste ou Lucien-‐‑Bergère
apparaît le couple fils-‐‑père.
Quand Lucien « châtre » les orties en s’écriant : « J’aime ma maman, j’aime
ma maman », le geste est associé à une forte odeur d’excrément : une « odeur de
défendu, puissante, putride et tranquille lui emplissait les narines »
135. Berliac
chez Bergère « s’occupait à détacher avec un couteau des fragments d’une
substance noirâtre qui avait l’aspect d’une motte de terre » : ce cannabis appelé
en argot « sheet » ou « merde ». Lucien se refuse à goûter au stupéfiant et
Berliac lui rétorque : « tu fais semblant de nager, mais tu as bien trop peur de
perdre pied »
136. Les excréments sont symboliquement associés au laisser-‐‑aller, à
l’abandon, à l’indifférencié. C’est la crainte de ne plus maîtriser son corps et
qu’un autre le possède, un autre qui aurait ce regard du père : « Lucien ne
savait que faire de son corps ; quoi qu’il entreprît, il avait toujours l’impression
que ce corps était en train d’exister de tous les côtés. »
137. A l’idée que Bergère
va coucher avec lui, Lucien a envie de « dégueuler »
138. Il s’agit d’expulser le
trouble du corps ou la présence charnelle du père en soi, en le purgeant de ses
excréments qui lui sont associés : « Au bout d’un moment, il fut pris d’une
violente diarrhée qui le soulagea un peu : “ Ça s’en va par le bas, pensa-‐‑t-‐‑il,
j’aime mieux ça. “ »
139. Charles « se plaît à emmerder ses fils »
140! J.-‐‑P. Sartre,
jouissant par procuration de la révolte de J. Genet contre l’ordre patriarcal,
écrit que sa poésie est « l’art de nous faire bouffer de la merde »
141. Lucien a
135 J.-P. Sartre, « L’Enfance d’un chef », Le Mur, op.cit., p. 158 : « les orties étaient de méchantes plantes nuisibles, un chien avait fait sa commission juste au pied des orties ; ça sentait la plante, la crotte de chien et le vin chaud. Lucien fouetta les orties de sa canne en criant : “ J’aime ma maman, j’aime maman ”. Il voyait les orties brisées, qui pendaient minablement, en jutant blanc, leurs cous blanchâtres et duveteux s’étaient effilochés en cassant, il entendait une petite voix solitaire qui criait : “ J’aime ma maman, j’aime ma maman ” ; il y avait une grosse mouche bleue qui bourdonnait : c’était une mouche à caca, Lucien en avait peur – et une odeur de défendu, puissante, putride et tranquille lui emplissait les narines. Il répéta : “ J’aime ma maman ”, mais sa voix lui parut étrange, il eut une peur épouvantable et s’enfuit d’une traite au salon. ».
136Ibid., p. 195.
137Ibid., p. 169.
138Ibid., p. 199 : « “ Ca va mal, dit Lucien ; j’ai envie de dégueuler. ” […] “ Il va coucher avec moi ” ».
139Ibid., p. 202.
140 J.-P. Sartre, Les Mots, op.cit., p. 27.