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3.2 Un signal analytique isotrope

3.2.2 Dépasser les nombres complexes

Même si les problématiques de traitement de signal considèrent la plupart du temps des signaux à valeurs réelles, le formalisme de Fourier a imposé l’algèbre des nombres complexes, puisque les valeurs propres des systèmes linéaires invariants sont les sinusoïdes complexes. Au delà de cette apparente contrainte, l’algèbre des nombres complexes apporte une écriture math- ématique simple pour caractériser une sinusoïde (amplitude et phase encodées dans un nombre), et pour appliquer simultanément une pondération et un déphasage (multiplication par une ex- ponentielle complexe).

Nous avons vu au chapitre 2, avec le formalisme quaternionique de T. Bülow, que l’étude des signaux multi-dimensionnels se voit limitée par cette algèbre, et ce en dépit d’une définition bien établie de la transformée de Fourier nD. Pour tenter de surpasser le problème de variance par rotation du système quaternionique, M. Felsberg propose [47] d’utiliser les algèbres géométriques.

Algèbres géométriques

Les algèbres géométriques forment une structure mathématique reposant sur l’algèbre de Clifford et qui a pour but de créer un langage géométrique de haut niveau, manipulant de façon unifiée le produit scalaire, le produit vectoriel, les rotations etc. sur des objets de dimen- sion quelconque comme des « segments de droite orientés », ou des « quarts de plan orientés »,

84 3.2. Un signal analytique isotrope s(ω) wmax A(x) ϕ(x) (π/2) θ+(x) 2N 4N 6N 8N 0 max 0, π ±π2 −π2 0 π2 Figure 3.4 – Analyse monogène multi-échelle par ondelettes DoP.

plus généraux que de simples vecteurs. La popularité de cet outil fondamental grandit dans de nombreux domaines de la physique et des sciences de l’ingénieur pour sa capacité à ré-écrire simplement des opération géométriques sophistiquées dans des espaces de dimension élevée, par des expressions algébriques concises.

Nous allons tenter de décrire de façon concise la construction d’une telle algèbre, en nous focalisant sur les éléments qui nous serviront pour la suite de ce chapitre. Le lecteur trouvera plus de précisions dans [25, 116].

On part d’un espace vectoriel E sur R de dimension n, et d’une forme quadratique Q :

E 7→ R. La détermination de l’algèbre dépend de la définition du produit (loi de composition

interne) que l’on appelera produit géométrique. On souhaite que ce produit vérifie en particulier

uu = Q(u), u∈ E. En considérant ensuite la forme bilinéaire symmétrique B qui est associée à

Q, on a donc nécessairement : 2B(u, v) = Q(u + v)−Q(u)−Q(v) = uv +vu, ce qui constitue une

première partie de définition de « uv ». Pour compléter cette définition, on introduit l’opération

anti-symmétrique u∧ v = (1/2)(uv − vu), qui permet de définir le produit géométrique entre u

et v par :

uv = B(u, v) + u∧ v (3.47)

(il doit être également associatif et distributif). En conséquence de cette construction, ne nou- veaux objets sont introduits de fait. En effet, en prenant l’exemple où Q est une norme euclidienne surRn et B est un produit scalaire, le produit uv de deux vecteurs orthogonaux entraîne :

B(u, v) = 0 ⇒ uv = −vu

⇒ (uv)2=−(uv)(vu) = −u(vv)u = −Q(u)Q(v) ∈ R

(3.48) L’objet construit par ce produit a donc un carré scalaire et négatif, il ne peut donc être ni un scalaire, ni un vecteur. Le produit géométrique introduit donc une notion de multivecteur, qui englobe les scalaires et les vecteurs comme des cas particuliers. Alors qu’un vecteur symbolise un axe et direction dans l’espace, un bivecteur - produit de deux vecteurs - symbolise un plan

orienté.

Dans notre travail, on se restreindra à la forme quadratique Q(u) =n

i=1u2i. Une base de l’algèbre géométrique peut se construire par extension d’une base (e1, . . . , en) de E.

eij

def

= ei∧ ej (3.49)

qui définit les « bivecteurs » eij, vus comme des bases de sous-espaces 2D de Rn. Les « trivecteurs » sont ensuite construits par eijk = ei∧ ej∧ ek, et ainsi de suite jusqu’à obtenir l’unique n-vecteur : In= e1∧· · ·∧enqu’on appelle pseudoscalaire. En ajoutant l’élément scalaire

1, on forme la base deGn. Pour n = 3, on obtient trois bivecteurs distincts e12, e23 et e31, et le

pseudoscalaire e123 = I3. Tout multivecteur s’écrit donc :

M = a + be1+ ce2+ de3+ ee12+ f e23+ ge31+ hI3 ∈ G3 (a, b, c, d, e, f, g∈ R) (3.50)

Pour n = 3, les différents produits géométriques sont récapitulés dans la table 3.1, et permettent de calculer le produit entre deux multivecteurs quelconques par distribution.

Les spineurs deG3 sont les multivecteurs de la forme :

s = a + be23+ ce31+ de12 (3.52)

Ils forment une sous-algèbre isomorphe aux quaternions et permettent donc de représenter effi- cacement les rotations 3D. L’action de rotation et amplification par un spineur sur un vecteur s’écrit par un produit « en sandwich » :

(y1e1+ y2e2+ y3e3) = (a−be23−ce31−de12)(x1e1+ x2e2+ x3e3)(a + be23+ ce31+ de12) (3.53)

et correspond à une rotation autour de l’axe 3D (be1+ce2+de3), avec un facteur d’amplification

de√a2+ b2+ c2+ d2. Voyons maintenant comment reformuler les outils classiques de traitement

86 3.2. Un signal analytique isotrope 1 e1 e2 e3 e23 e31 e12 I3 1 1 e1 e2 e3 e23 e31 e12 I3 e1 e1 1 e12 −e13 I3 −e3 e2 e23 e2 e2 −e12 1 e23 e3 I3 −e1 e31 e3 e3 e31 −e23 1 −e2 e1 I3 e12

e23 e23 I3 −e3 e2 −1 −e12 e31 −e1

e31 e31 e3 I3 −e1 e12 −1 −e23 −e2

e12 e12 −e2 e1 I3 −e31 e23 −1 −e3

I3 I3 e23 e31 e12 −e1 −e2 −e3 −1

(3.51)

Table 3.1 – Table de multiplication des éléments de base deG3, par le produit géometrique. Le terme de

gauche est à reporter dans la première colonne, et le terme de droite dans la première ligne (ce produit n’est pas commutatif).

Le formalisme de M. Felsberg

En dehors du choix de l’algèbre G3 pour la modélisation des outils de traitement du signal 2D, la première principale nouveauté du formalisme de M. Felsberg est la distinction algébrique entre les signaux et les filtres.

Les signaux sont à valeurs vectorielles :

s(x) = s1(x)e1+ s2(x)e2+ s3(x)e3 (3.54)

Les signaux « réels » habituels sont encodés dans l’axe e3 (s1 = s2 = 0), et des signaux « plus

complexes » peuvent être construit avec s1, s2 ∈ R, formant une sorte de « partie imaginaire »

sur les axes e1 et e2.

Les filtres sont des spineurs, et la notion de « partie imaginaire » est cette fois analogue à celle des quaternions. Un filtre « réel » sera modélisé par un spineur scalaire h = h1, qui appliquera

une simple amplification sans rotation des vecteurs du signal, et donc en particulier aura une sortie réelle pour une entrée réelle.

L’application d’un filtre sur un signal est définie par la convolution suivante :

(h∗ s)(x) | {z } vecteur = ∫ R2h(x 0) | {z } spineur s(x− x0) | {z } vecteur dx0 (3.55)

Le produit dans l’intégrale est un produit géométrique, ce qui implique une distribution par- ticulière des différents termes. Nous souhaitons que le résultat du filtrage d’un signal soit un autre signal, en d’autres termes, le produitde h par s doit aboutir à un objet de type vecteur. Notons que l’application de la rotation d’un spineur sur un vecteur se fait normalement par un produit « en sandwich », comme expliqué à la section précédente, ce qui n’est pas toujours équiv- alent au produit « à gauche » utilisé ici par M. Felsberg dans cette définition. En conséquence, l’interprétation de cette convolution comme une rotation des coefficients n’est pas toujours val- able (le résultat peut contenir un terme pseudoscalaire). M. Felsberg propose de se restreindre au cas où le signal n’a de valeur que sur e3 et où le filtre est nul sur le plan e12, afin de conserver

cette définition de la convolution plus proche de la définition classique, tout en gardant la notion d’action d’un spineur sur un vecteur. Dans le cas des filtres réels, l’opération se réduit à trois convolutions réelles classiques indépendantes sur les trois axes.

La transformée de Fourier proposée est une reformulation de la version classique, associée à une base d’ondes planes orientées :

ˆ

s(ω) =

R2s(x)e

−I3ωTxdx (3.56)

L’imaginaire complexe est donc remplacé par le pseudoscalaire I3. Les propriétés classiques sont

bien sûr conservées, en particulier le théorème du décalage :

Cette transformée est valable pour une fonction s à valeurs quelconques dansG3. Un « signal »

(donc à valeurs vectorielles) aura une transformée de Fourier particulière de la forme : ˆ

s =<{ˆs1}e1+={ˆs1}e23+<{ˆs2}e2+={ˆs2}e31+<{ˆs3}e3+={ˆs3}e12 (3.58)

directement exprimable par les parties réelles et imaginaires des transformées de Fourier com- plexes ˆsi.

Le spectre d’un « filtre » (spineur) verra ses composantes de Fourier réparties sur des axes différents :

ˆ

h =<{ˆh0} + ={ˆh0}I3+<{ˆh23}e23+={ˆh23}e1

+<{ˆh31}e31+={ˆh31}e2+<{ˆh12}e12+={ˆh12}e3 (3.59)

Le spectre d’un signal filtré est égal au produit géométrique du spectre du filtre par celui du signal « ˆhˆs » (dans cet ordre, le produit n’est pas commutatif). Dans le cas restreint d’un

signal sur e3 et d’un filtre nul sur e12, on retrouve les trois spectres d’un signal réel filtré par trois filtres indépendamment :

(h1+ h23e23+ h31e31)∗ (s3e3) ←→ <{ˆhF 31sˆ3}e1+={ˆh31sˆ3}e23+<{ˆh23sˆ3}e2

+={ˆh23sˆ3}e31+<{ˆh1sˆ3}e3+={ˆh1sˆ3}e12 (3.60)

Notons que contrairement au formalisme des quaternions, le concept de phase 2D développé ne se retrouve pas directement dans les atomes de Fourier. En conséquence, nous n’avons pas pu à ce stade étudier la forme des atomes monogènes, comme nous l’avons fait pour les atomes quaternioniques (section 2.2.1). En outre, la transformée de Fourier inverse n’est pas étudiée dans la thèse de M. Felsberg7, ce qui est principalement dû au fait que la notion centrale du

formalisme est la définition d’un signal analytique 2D isotrope, dédié à l’analyse. Le signal monogène sM associé à un signal s = s3e3 est défini dansG3 par :

sM = s1e1+ s2e2+ s3e3 avec s1+ js2 =R{s3} (3.61)

Cette formulation est parfaitement analogue au signal analytique classique qui consiste à juxta- poser une version déphasée du signal de départ dans une sorte de « partie imaginaire ».

Le spectre de sM est ˆ sM =<{ˆs3} ( e3+ −ωkωk1e23+ ω2 kωke2 ) +={ˆs3} ( e12+ ω1 kωke1+ ω2 kωke31 ) (3.62)

L’amplitude est définie par une norme Euclidienne analogue au module complexe A =

s23+ s21+ s22, et la phase est définie de façon à pouvoir écrire le signal monogène en fonc- tion de l’exponentielle de cette phase : sM = Aer. On obtient par la définition du logarithme des spineurs ([47] page 30) la phase vectorielle suivante :

r = s2√e1− s1e2 s21+ s22 arg { s + js21+ s22 } = ϕR(sin(θR)e1− cos(θR)e2) (3.63)

Ce vecteur 2D a pour direction dans l’espace la direction de la transformée de Riesz, et pour amplitude la phase entre la transformée de Riesz et le signal de départ.

88 3.3. Ondelettes monogènes peu redondantes