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En effet, si au départ l’environnement est l’objet exclusif du droit de l’environnement, peu à peu il devient un référentiel de la crise écologique à endiguer dont l’ensemble du droit se

saisit, que ce soit par exemple le droit civil, le droit administratif, le droit du travail, le droit de

la santé. L’environnement s’immisce alors dans diverses branches du droit sous la forme de

« préoccupations environnementales ». Cette dernière notion, née de l’existence même du droit

71 DESPAX M., Droit de l’environnement, préc., p. X.

72 Loi n° 60-708 du 22 juil. 1960, préc.

73 Loi n° 64-1245 du 16 déc. 1964, préc.

74 Loi n° 75-633 du 15 juil. 1975, préc.

75 Loi n° 76-663 du 19 juillet, préc.

de l’environnement, se situe entre celle d’environnement et de protection

77

, c’est-à-dire qu’elle

est semi-descriptive ou semi-normative. Les « préoccupations environnementales » amènent la

doctrine à constater les limites des règles juridiques traditionnelles inaptes à endiguer la crise

écologique, en particulier du fait de concepts ou catégories juridiques qui ne permettent pas

d’appréhender de manière adéquate les éléments de l’environnement. Par exemple, très tôt

Gilles Martin démontre l’inadéquation de la responsabilité civile pour réparer une atteinte à

l’environnement

78

. Francis Caballero tente d’intégrer la protection de l’environnement en droit

en élargissant la notion d’ordre public à une dimension écologique

79

. Ou encore récemment,

face à l’inadaptation du droit des biens Marie-José del Rey-Bouchentouf propose la création

d’un droit des biens spéciaux, parallèlement à la théorie générale des biens, permettant une

qualification adéquate des éléments de l’environnement alliée à un régime juridique protecteur

sensible à la valeur écologique et aux préoccupations scientifiques propres aux problématiques

environnementales

80

. Ou encore, Anne Danis-Fatôme propose la création d’une nouvelle

catégorie juridique, les biens communs, qui tout en se rapprochant de la propriété publique

permettrait de dépasser la dualité choses communes – biens publics pour tendre vers une

appropriation collective adaptée à la protection des éléments de l’environnement. L’auteur va

même jusqu’à proposer la création d’une police des biens environnementaux, qui regrouperait

autour de principes fédérateurs la multitude de polices spéciales, comme celle de l’eau par

exemple, de l’air ou des sites classés

81

. Certains auteurs proposent de ne plus se référer à la

moindre idée de chose ou de bien, comme cela a été suggéré pour l’eau, et de recourir à la

nouvelle catégorie juridique de « valeur environnementale »

82

. Quoi qu’il en soit,

l’omniprésence de l’environnement ou des préoccupations environnementales dans les autres

branches du droit ne pallie pas l’absence d’une définition juridique précise du concept.

77 HUMBERT D., Le droit civil à l’épreuve de l’environnement : essai sur les incidences des préoccupations environnementales en droit des biens, de la responsabilité et des contrats, préc., p. 19.

78 MARTIN G.J., Le droit à l’environnement. De la responsabilité civile pour faits de pollution au droit à l’environnement, préc.

79 CABALLERO F., Essai sur la notion juridique de nuisance, thèse de droit, LGDJ, 1981.

80 DEL REY-BOUCHENTOUF M.-J., « Les biens naturels, un nouveau droit objectif : le droit des biens spéciaux »,

D., 2004, pp. 1615 et s. ; Droit des biens et droit de l’environnement, thèse de droit, ANRT, 2002.

81 DANIS-FATÔME A., « Biens publics, choses communes ou biens communs ?, Environnement et domanialité »,

in Mélanges Etienne Fatôme : Bien public, bien commun, Dalloz, 2011, pp. 99 – 113.

2) Une définition de l’environnement à géométrie variable

« À la recherche d’une définition de l’environnement, nous en rencontrons cent »

83

. Le

concept est imprécis, particulièrement en droit. Aucune définition générale n’en est donnée,

quand bien même il est fait référence abondamment à l’environnement. Par exemple, au sens

de la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature

84

, l’environnement est défini à

propos des études d’impact par renvoi du pouvoir réglementaire

85

à l’article 1

er

de ladite loi,

aujourd’hui codifié à l’article L. 110-1 du Code de l’environnement. L’environnement apparaît

ici comme une notion englobante et « générique »

86

, qui recouvre les espaces naturels, les

paysages, les espèces animales et végétales, les équilibres biologiques et les ressources

naturelles. À l’origine, l’énumération est assez restrictive et vise en réalité la nature.

Aujourd’hui, la définition de l’environnement énoncée en ouverture du Code de

l’environnement a été largement enrichie pour recouvrir les « espaces, ressources et milieux

naturels terrestres et marins, les sites, les paysages diurnes et nocturnes, la qualité de l'air, les

êtres vivants et la biodiversité », ainsi que les services écosystémiques et les valeurs d’usage

que ces éléments génèrent. L’énumération semble se référer davantage aux éléments naturels

de l’environnement, par opposition à ses éléments artificiels pour lesquels il n’est fait aucune

mention. Comme le souligne le député Bernard Deflesselles, « cette formulation ne paraît pas

couvrir la totalité de ce que le terme ‟environnement” peut concerner », notamment le bruit

87

,

l’eau, ou jusqu’à la loi « Biodiversité » du 8 août 2016

88

l’obscurité de la nuit, les processus et

les fonctions écologiques n’étaient pas pris en compte, soulignant ainsi le caractère évolutif du

concept d’environnement. D’autres textes se réfèrent également à l’environnement dans sa

dimension essentiellement naturelle. C’est le cas notamment de la Charte de l’environnement

adossée à la Constitution du 4 octobre 1958. Comme le souligne Sandrine Maljean-Dubois, le

texte semble retenir « implicitement une définition restreinte, centrée sur les aspects naturels,

se référant dans son préambule aux ‟ressources et équilibres naturels qui ont conditionné

83 VAN LANG A., Droit de l’environnement, préc., p. 14.

84 Loi n° 76-629 du 10 juil. 1976, préc.

85 Article 1er du décret n° 77-1141 du 12 oct. 1977, préc., pris pour l’application de l’article 2 de la loi n° 76-629 du 10 juil. 1976, préc. L’article 1er du décret est codifié à l’article R. 122-1 du Code de l’environnement.

86 PRIEUR M., Droit de l’environnement, droit durable, préc., p. 2.

87 DEFLESSELLES B., La Charte de l’environnement et le droit européen, Rapport d’information n° 1372 présenté au nom de la délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne, 21 jan. 2004, 2ème Partie, V, A, 1) Le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et favorable à la santé, a) Des contours discutés.

l’émergence de l’humanité et au milieu naturel” »

89

. La plupart des textes vont dans le même

sens en ne donnant bien souvent qu’une ébauche implicite de l’environnement tant le concept

est difficile à appréhender

90

.

D’un autre côté, certains textes donnent à l’environnement une définition beaucoup plus

large qui dépasse l’environnement naturel. Par exemple, selon la Convention du 21 juin 1993

sur la responsabilité civile des dommages résultant d’activités dangereuses pour

l’environnement

91

, « l’environnement comprend les ressources naturelles abiotiques et

biotiques telles que l’air, l’eau, le sol, la faune et la flore, et l’interaction entre les mêmes

facteurs, les biens qui composent l’héritage culturel et les aspects caractéristiques du paysage »

(article 2, alinéa 10). La Convention d’Aarhus

92

envisage l’environnement de manière encore

plus vaste en visant les éléments de l’environnement tels que l'air et l'atmosphère, l'eau, le sol,

les terres, le paysage et les sites naturels, la diversité biologique et ses composantes, y compris

les organismes génétiquement modifiés, et l'interaction entre ces éléments, ainsi que la santé,

la sécurité, les conditions de vie et le patrimoine culturel (articles 2, 3 a et c). Dans le même

sens, la Déclaration de Stockholm de 1972 entend l’environnement comme l’élément naturel et

l’élément créé par l’homme (premier alinéa de son préambule

93

). L’environnement est alors

perçu comme un tout environnant l’homme, constitué aussi bien de la nature que de

l’environnement artificiel humain.

Au regard du droit positif, l’environnement apparaît ainsi comme une notion

polysémique, variable, qui « s’étire entre une conception étroite, qui pourrait être celle du droit

privé, restreinte au voisinage, et une signification très large, celle du droit international, qui se

confond avec la biosphère »

94

. Entre les deux, le droit de l’environnement tente d’en donner

89 MALJEAN-DUBOIS S., Quel droit pour l’environnement ?, Hachette, 2008, p. 19.

90 DEFLESSELLES B., La Charte de l’environnement et le droit européen, préc.

91 Convention du Conseil de l’Europe, dite Lugano.

92 Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, signée à Aarhus le 25 juin 1998 et entrée en vigueur le 30 oct. 2001. La France a autorisé son approbation par la loi n° 2002-285 du 28 fév. 2002 (JO du 1er mars 2002, p. 3904) et l’a publiée par le décret n° 2002-1187 du 12 sept. 2002 (JO du 21 sept. 2002, p. 15563). L’Union européenne l’a ratifiée le 17 fév. 2005 (décision 2005/370/CE du Conseil du 17 fév. 2005, JOUE, L 124, 17 mai 2005, p. 1).

93 Le texte énonce : « L’homme a acquis le pouvoir de transformer son environnement d’innombrables manières à une échelle sans précédent. Les deux éléments de son environnement, l’élément naturel et celui qu’il a lui-même créé, sont indispensables à son bien-être et à la pleine jouissance de ses droits fondamentaux, y compris le droit à la vie même » (Déclaration issue de la Conférence des Nations unies sur l’environnement réunie du 5 au 16 juin 1972 à Stockholm).

une définition ni trop restreinte, ni trop large, en désignant en général les éléments d’origine

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