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PARTIE ANALYTIQUE

2. Stéréotype ethno-racial et racisme : le rapport à l’autre

2.3 Racisme et stand up, quand l’humoriste prend la parole

2.3.1 Une démonstration par l’absurde

L’humoriste Patrick Timsit a cela de particulier qu’il interprète dans le même spectacle plusieurs personnages mais en gardant un mode d’adresse similaire à celui du stand up. Il ne change, ni de ton, ni de gestuelle, et seul le discours permet de comprendre qu’il ne s’agit pas directement des propos de l’humoriste. Dans le cadre d’une autre analyse, nous étudierons un second sketch de Patrick Timsit dans lequel il interprète justement un personnage sexiste et ce sans utiliser aucun accessoire ni aucun changement d’attitude ou de ton. Dans le sketch

Hommage aux racistes qui nous intéresse ici, Patrick Timsit s’adresse directement au 186

public en son nom propre. Ce sketch se place comme une parenthèse au spectacle visant à mettre au clair certaines choses avec le public. En effet, l’humoriste interrompt soudainement son spectacle pour parler en son nom propre : « Je viens de me rendre compte d’un truc, c’est que quand même … ça fait un petit moment que je parle, il doit y avoir des gens choqués là non ? Bah forcément j’me moque de leurs valeurs, je critique tout ce qu’ils aiment … nan je veux pas parler des religieux, je veux parler des racistes ». Ainsi, dès le début de ce sketch, Patrick Timsit se positionne personnellement comme n’étant pas raciste. Cependant, il poursuit : « vous savez qu’en France il y a 25% de Racistes ?! 25% c’est beaucoup hein ! Nan je … je tiens à le préciser mais je n’ai pas les moyens de me priver de 25% de mon public ». Cette introduction permet alors de placer l’endroit du second degré. Dès le début, il annonce clairement qu’il ne pense pas ce qui va suivre et justifie de façon drôle pourquoi il va tenir des propos racistes, qu’il ne pense pas. Il met ainsi en avant dès le début du sketch une différence entre l’idéologie qu’il porte de manière privée et celle qu’il véhicule dans son spectacle, questionnant ainsi un des enjeux majeur de l’humour : la réception et la distinction entre discours tenu et propos induits. A la suite de ces mots, le sketch démarre. S’en suit deux passages qui seront principalement basés sur un processus de désamorce qui aura pour conséquence une inversion du discours. Il affirme par exemple : « je n’ai rien contre les racistes, j’ai d’ailleurs moi-même un excellent ami raciste ». Nous constatons ici la reprise d’un cliché langagier « j’ai rien contre les noirs, j’ai un très bon ami noir » communément attribué à des personnes racistes voulant mimer une certaine tolérance cachant en réalité un racisme anti-noirs sous-jacent. Ainsi, l’humoriste créer un renversement de son propre

« Hommage aux racistes » in TIMSIT Patrick, GACCIO Bruno, HALIN Jean-François, The one

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discours en se servant de la connotation de cette phrase. Il poursuit en affirmant que les racistes n’ont pas tort et qu’il y a une inégalité des races. Pour illustrer ses propos il prend alors l’exemple d’un noir et d’un blanc qui prennent le métro. Il affirme ensuite que le noir sera plus lent pour se rendre à châtelet car il sera plus lent à sortir ses papiers au moment du contrôle. Ainsi, l’humoriste dénonce en réalité la discrimination qui est à l’origine d’une inégalité qui, dans le contexte posé, valide le stéréotype du noir lent. En voulant apporter une preuve de l’inégalité entre noir et blanc, il dénonce en fait l’inégalité ayant pour origine le stéréotype raciste lui-même.

Dans la seconde partie du sketch, l’humoriste avouera ressentir une forte haine contre une catégorie de gens en particulier : les clowns. Patrick Timsit se met alors à pointer toutes les différences de comportement entre les clowns et les non clowns, faisant preuve d’un discours ouvertement haineux envers ce groupe d’individus. Ici, Patrick Timsit déplace alors ingénieusement le motif du racisme à une catégorie de personnes qui n’est pas habituellement sujette à une quelconque discrimination. Il crée donc une mise à distance qui permet de faire ressortir l’absurdité du discours raciste lui-même et ainsi dénoncer ce comportement de façon général.

On notera également un retournement qui survient dans les dernières phrases du sketch. On retrouve un nouveau jeu de désamorce qui s’équilibre non pas au sein de la même vanne mais sur deux vannes enchainées : « 25% de racistes en France, n’auraient-on pas atteint le seuil de tolérance ? » qui semble défendre l’intégration des racistes au sein de la société au nom de la tolérance, suivie de l’affirmation « la France n’a pas vocation à accueillir tous les racistes du monde » phrase anti-racistes reprenant un discours anti-immigration.

Pour conclure, il conviendra d’évoquer la chute de ce sketch. Après avoir scandé avec passion un message de tolérance et de paix « si on se mélangeait, on serait tous pareils, on serait tous métisse » l’humoriste reprend un principe le désamorce et conclut le sketch par ces mots : « on serait tous égaux, tous unis [un temps] pour aller péter la gueule à ces salauds de chinois » ré-affirmant une logique discriminatoire mais envers une nouvelle catégorie de personnes qui n’avait pas encore été évoquée. Cette chute joue alors sur la tension entre le rire d’accueil et d’exclusion, prônant une unification utopiste à des fins qui se révèlent être discriminatoire. Cette fin répond sans doute à l’impératif comique d’une chute efficace et

surprenante et s’inscrit finalement dans l’esthétique provocatrice qui est à la base du travail de Patrick Timsit.