• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1 : L’accessibilité aux études postsecondaires au Québec

1.3 La démocratisation géographique

1.3.1 La délocalisation : au-delà du campus principal et à distance

Selon Chenard et Doray (2013b, p. 183), l’accès géographique aux études est également favorisé par la délocalisation des lieux de formation sur le territoire. Les universités ont déployé leurs activités de formation bien au-delà de leur campus principal. Au Québec, en plus des 18 universités, il existe de nombreux autres lieux d’enseignement universitaire délocalisés : campus secondaire, sites hors campus, antennes et points de service (CSE, 2019b, p. 57).

Si cette délocalisation permet une meilleure accessibilité géographique dans certaines régions éloignées, d’autres régions, telles que la Côte-Nord et le Nord-du-Québec, sont moins bien desservies (Chenard et Doray, 2013b, p. 183). Cela s’explique, entre autres, par la logique de concurrence qui guide le déploiement actuel de l’offre de formation. Certains lieux, telle la grande région montréalaise, sont plus attractifs que d’autres :

Uniquement dans la région administrative de Montréal, nous trouvons 38 sites de formation gérés par 13 différentes universités, dont le campus des neuf universités et écoles montréalaises […]. Une autre conséquence de cette tendance est l’attractivité des régions de la couronne montréalaise. Par exemple, la Montérégie, qui n’est pas dotée d’université en propre, compte 12 universités différentes offrant des cours sur 32 sites. (Chenard et Doray, 2013b, p. 183)

En l’absence de carte scolaire régissant le développement des universités, celles-ci peuvent se concurrencer entre elles afin d’attirer le plus d’étudiantes et d’étudiants possible; telles des entreprises en concurrence pour des « parts de marché » (FEUQ, 2008, p. iii). Le cas de l’Université du Québec à Rimouski est frappant. L’université accueille plus d’étudiants sur son campus à Lévis qu’à Rimouski, en plus d’avoir des inscriptions hors campus28 (UQAR, 2019). Les établissements du réseau de l’Université du Québec se défendent d'agir

comme tel. Ils disent plutôt offrir de la formation en dehors des campus principaux afin de répondre à leurs

28 Selon les chiffres à jour en date du 1er octobre 2019, sur un effectif total de 6 657 étudiants, 2 421 sont à Rimouski,

26

devoirs et leurs responsabilités sur le plan de l’accessibilité aux études universitaires et du développement scientifique :

Plutôt que d’une course à la clientèle, cette offre témoigne du dynamisme et de l’engagement des universités à répondre aux attentes exprimées par la société à leur égard. En définitive, par la présence de lieux de dispensation de cours et de programmes universitaires de proximité, le projet de poursuivre des études universitaires est ainsi devenu possible pour des milliers de personnes qui ont les aptitudes et la volonté. (UQ, 2012, p. 14)

Ces lieux d’enseignement permettraient également de répondre à des besoins de formation continue et favoriseraient une rétention du personnel qualifié en région (CSE, 2019b, p. 59).

La Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ, 2008) avait analysé la question de la délocalisation des campus universitaires dans l’une de ses recherches. Elle cherchait à savoir si ce phénomène améliorait véritablement l’accessibilité géographique aux études. Trois cas de délocalisation avaient été étudiés : le campus de l’Université de Sherbrooke à Longueuil, le Pôle universitaire des Basses-Laurentides et le centre d’études de l’UQAC à Sept-Îles. Dans le premier cas, la FEUQ y voyait une illustration frappante de la concurrence entre les universités dans un lieu à forte densité de population. Dans le second cas, elle y voyait une offre de formation répondant aux besoins de développement économique d’une communauté et le résultat d’une initiative locale. Finalement, dans le dernier cas, la FEUQ y voyait un désir d’améliorer l’accessibilité aux études dans une région non desservie par le réseau de l’UQ. En bref, nuancée sur la question, la FEUQ invitait à une analyse cas par cas de chaque nouveau projet afin d’assurer la cohérence, la qualité et l’accessibilité du système d’enseignement universitaire.

De son côté, dans son avis au ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur intitulé Les réussites, les enjeux et les défis en matière de formation universitaire au Québec, le Conseil supérieur de l’éducation (2019b, p. 72) reprenait, en décembre 2019, sa recommandation de 2008 et invitait le ministère à étudier le développement de l’offre de formation universitaire sur l’ensemble du territoire québécois. Le Conseil (2019b, p. 60-61), ayant des réserves et des critiques à l’égard de la délocalisation de l’offre de formation universitaire, soulignait que l’étude devait, notamment, « […] prendre en considération les particularités qui existent dans les régions rurales, où l’offre de formation vise à favoriser l’accès aux études universitaires, et dans les centres urbains, particulièrement la région de Montréal, où la délocalisation semble plutôt laisser place à une forme de dynamique de concurrence entre les établissements ».

Le mouvement de délocalisation de la formation implique également d’offrir « sous d’autres formes qu’en mode présentiel les activités et les programmes de formation » (Bernatchez, 2016, p. 134). Le fait d’offrir de la formation à distance s’inscrit donc dans ce mouvement. Au niveau collégial, il est possible de suivre des cours au Cégep à distance, établissement voué à ce type de formation (CSE, 2015, p. 44). Crée en 1991 par le

27

Collège de Rosemont, le Cégep à distance (2020) accueille environ 14 000 étudiantes et étudiants par année29. Au niveau universitaire, à l'exception de la TÉLUQ (2020) dont le mandat est de développer et de

diffuser de la formation universitaire à distance depuis 1972, les universités québécoises offrent principalement des cours en mode présentiel30 (CSE, 2015, p. 45). Toutefois, depuis les années 1990, le

mouvement de délocalisation de la formation universitaire a pris de l’ampleur et les universités offrent de plus en plus d’activités à distance31 (Bernatchez, 2016, p. 134).

Selon le Conseil supérieur de l’éducation, la formation à distance est un moyen d’améliorer davantage l’accessibilité aux études universitaires, notamment l’accessibilité sur le plan géographique : « D’abord, la formation à distance contribue à l’accessibilité des études sur le plan géographique, une dimension cruciale au Québec compte tenu de la grandeur du territoire, de la faible densité de la population dans certaines régions et de l’importance des régions pour le développement socioéconomique de la société québécoise » (CSE, 2015, p. 108). Pour le Conseil (2019b, p. 60), la formation à distance est une solution prometteuse pour l’accès aux études universitaires pour les populations éloignées des grands centres, notamment, car il y a avantage financier à ne pas devoir déménager pour effectuer des études. Toutefois, la fracture numérique compromet les objectifs d’accessibilité ciblés par la formation à distance; certaines régions n’ont pas accès à un service Internet assez performant, certaines personnes n’ont pas les moyens financiers pour s’équiper adéquatement pour suivre des cours à distance et certaines personnes n’ont pas les compétences numériques nécessaires.

À l’automne 2018, parmi les étudiants inscrits à au moins un cours offert entièrement à distance à l’Université Laval :

• La majorité des étudiants (77,2 %) réalisaient leurs examens sur le campus donc, résidaient dans un rayon de moins de 100 km du campus.

• 61% étaient aussi inscrits à des cours en présentiel; 38% étaient exclusivement inscrits à des cours à distance et la majorité des étudiants inscrits uniquement à des cours à distance (82%) étant âgée de 25 ans ou plus.32

29 Certains étudiants du Cégep à distance sont inscrits en même temps à temps plein ou à temps partiel dans un autre

établissement. Ils ont une commandite (situation d’études en partenariat) qui est octroyée par leur collège d’origine.

30 La formule en présentiel est la formule « classique ». L’étudiant doit se déplacer sur le campus pour suivre son cours

en classe.

31 Il y a plusieurs modes d’enseignement à distance. Certaines formations sont offertes entièrement à distance, tandis

que d’autres sont en formule « comodale » ou en formule hybride. La formation « comodale » offre une grande flexibilité à l’étudiant, car, chaque semaine, le cours est offert en même temps en classe et en ligne (classe virtuelle). La formation hybride, pour sa part, implique une combinaison d’activités en mode présidentiel et à distance selon un calendrier prévu en début de session.

28

Pour plusieurs, la formation à distance ne répondrait donc pas à un enjeu d’éloignement. Elle contribuerait plutôt à une meilleure accessibilité aux études en offrant une souplesse aux personnes ayant un rapport non traditionnel aux études (temps partiel, parent, parcours irrégulier, personne en emploi, etc.) (CSE, 2015, p. 109). Par exemple, selon l’Association des étudiantes et des étudiants de Laval inscrits aux études supérieures, l’AELIÉS (2014), la formation à distance joue un rôle clé pour les parents-étudiants aux cycles supérieurs. Selon un sondage exploratoire réalisé par cette association à la session d’hiver 2014 auprès de la population étudiante du 2e cycle universitaire, près de 70 % des parents-étudiants ont eu recours à la

formation à distance pendant leur programme d’études (AELIÉS, 2014, p. 7).

En bref, il ne faut pas voir dans le développement de la formation à distance qu’un enjeu d’accessibilité géographique aux études. Il faut également réfléchir à la formation à distance dans une perspective de formation tout au long de la vie et dans l’optique de rejoindre une « clientèle » pour qui cette formule convient mieux que les cours en présentiel (CSE, 2019a, p. 43). Le projet eCampus Québec lancé à l’automne 2017 par le MEES a pour objectif de regrouper l’ensemble de l’offre de formation à distance sur une même plateforme. C’est un nouveau campus virtuel « où les étudiants pourront, en quelques clics, consulter et avoir accès à toute l’offre de formation à distance des collèges et des universités du Québec » (MEES, 2019b). Ce projet s’inscrit dans le cadre de la Stratégie numérique du Québec et du Plan d’action numérique en éducation et en enseignement supérieur (CSE, 2019a, p. 43).

****

En conclusion, avant les réformes de système d'enseignement québécois dans les années 1960, la population universitaire se composait largement d’héritiers - des jeunes, à temps plein, n’ayant pas interrompu leurs études et provenant de famille aisée, c’est-à-dire de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie commerçante ou professionnelle -, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. La massification a permis une diversification de la population universitaire; le visage de l’effectif universitaire a radicalement changé. La création du réseau de l’UQ a notamment permis d’augmenter le nombre de places disponibles et les étudiants ont été nombreux à répondre à cette nouvelle offre (Chenard et Doray, 2013b, p. 179). Toutefois, des inégalités d’accès demeurent. Le projet de démocratisation est inachevé (Dandurand, 1991).

Selon les travaux de Finnie, Childs et Wismer (2011), les universités n’accueillent pas dans des proportions semblables les différents groupes de la population généralement sous-représentés aux études postsecondaires :

Comparativement à une moyenne se situant autour de 30 %, le taux d’accès des jeunes dont les parents n’ont pas réalisé d’études postsecondaires se situe à près de 17 %, tout comme celui des jeunes en situation de handicap. Celui des jeunes provenant de familles à faible

29

revenu se situe autour de 20 %, tandis que ceux des Autochtones, des familles monoparentales et des jeunes provenant d’un milieu rural se situent autour de 24 %. (Duchaine et al., 2013, p. 22)

Cependant, au niveau des études collégiales, le taux d’accès avoisinerait 40 % dans l’ensemble des groupes de la population33. Les inégalités d’accès seraient donc beaucoup moins marquées au niveau collégial (voir

graphique 1) qu’au niveau universitaire (voir graphique 2).

Selon Bélanger (1986), les cégeps sont la clé du succès des réformes scolaires des années 1960. Leur création a permis le passage d’un enseignement élitiste à un enseignant postsecondaire démocratique de masse, tout en conservant l’excellence de l’enseignement universitaire (Bélanger, 1986, p. 380-381). Les cégeps auront été un véritable instrument de la démocratisation de l’éducation au Québec (Dorais, 2013). Graphique 1. Taux d’accès au collège au Québec en fonction de l’appartenance à un groupe

Source : (Duchaine et al., 2013, p. 23); sur la base des travaux de Finnie, Childs et Wismer (2011)

33 Les autochtones (35,3 %), les immigrants et immigrantes de deuxième génération (38,1 %) et les étudiants et

30

Graphique 2. Taux d’accès à l’université au Québec en fonction de l’appartenance à un groupe

31