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La délinquance des majeurs

Dans le document Les murs ont un langage (Page 64-67)

I. Un espace sans contours

2. Dématérialisation symbolique de l’activité

2.4. La délinquance des majeurs

En matière pénale et hors le cas particulier des mineurs, les années 2000 ont vu se développer un contentieux de bureaux et de couloirs qui tend à phagocyter tous les autres types de traitement de la délinquance.

En 1993 déjà avait été instaurée la procédure de la médiation pénale présentée comme une mesure alternative aux poursuites. Elle donne la possibilité au procureur, autorité poursuivante, de confier à un médiateur une tentative de rapprochement de l’auteur d’un délit et de sa supposée victime en vue de la réparation du dommage qu’elle a subi. Si la mesure aboutit, il n’y a aucune inscription au casier judiciaire.

Pour désengorger les tribunaux et supprimer nombre de classement sans suite on a par la suite créé plusieurs autres procédures :

La composition pénale, créée en 1999 et considérée aussi comme une mesure alternative aux poursuites, lors de laquelle le procureur propose une peine au prévenu qui peut l’accepter,

auquel cas elle est validé par le tribunal correctionnel, ou la refuser auquel cas il est renvoyé devant ce tribunal.

L’ordonnance pénale, instituée en 1972 pour les contraventions est étendue à certains délits en 2002, est une procédure simple de notification d’une peine par le procureur sans débat sauf si le prévenu soulève une contestation.

Par une loi du 9 mars 2004 (loi Perben II), la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) était créée pour certains délits dont le nombre ne cesse d’augmenter. Elle consiste dans ces cas à faire comparaître la personne qui aura préalablement (donc devant les policiers ou gendarmes) reconnu les faits devant le procureur, lequel va lui proposer en présence d’un avocat une peine censée être plus légère que celle qu’elle risque d’avoir devant le tribunal correctionnel dont il relève en principe. Le prévenu peut refuser la peine et être renvoyé devant le tribunal pour y être jugé normalement, ou l’accepter et passer devant le tribunal pour faire homologuer l’accord. Mais là encore, le juge du tribunal peut refuser d’homologuer (peine trop lourde, trop légère) au vu de la qualification des faits et de la peine proposée, auquel cas l’affaire sera renvoyée devant lui à une date ultérieure.

En termes d’espace, cela donne un couloir bondé, quelques sièges pour cinq fois plus de monde et des dossiers qui pendent un peu partout parce que les gens d’ordinaire peu prévoyants ne savent pas que l’avocat est obligatoire au contraire d’une procédure devant le tribunal correctionnel.

D’autres audiences de cabinet existent, notamment devant le juge d’instruction et depuis 2000, devant le juge des libertés et de la détention qui rend les décisions relatives au placement en détention provisoire ou sous contrôle judiciaire d’une personne mise en examen par le juge d’instruction. Toutefois, ces situations sont moins affectées par l’esprit de management du contentieux pénal et trouvent donc une place plus naturelle dans ces espaces. Ce qui ne supprime pas le risque lié à cette justice de bureau en ce que cet espace peu ritualisé et non public où le juge est en quelque sorte chez lui, a nécessairement une influence sur sa façon d’agir et de vivre ce lieu et son activité.

La loi prévoit que l’audience du juge des libertés (et de la détention, surtout) soit publique mais c’est une possibilité qu’il faut en pratique solliciter, ce qui la rend évidemment moins pratique…

A l’absence de symboles et de rituel permettant de proclamer et partant, pérenniser des normes sociales et de susciter la croyance au sens religieux du terme, s’ajoute la possible appropriation individuelle par le juge de ces lieux étroits. L’arbitraire n’étant rien d’autre que la volonté d’une personne que rien n’encadre, c’est une situation évidemment dommageable pour la justice qui ne gagne pas en lisibilité et en objectivité dans des lieux personnifiés, de familiarité et d’intimité d’une personne. Un des avantages de la robe, du bureau masquant la moitié du corps, de la distance, de la hauteur, de la noblesse du bois, est de donner un sentiment d’éternité et donc d’autorité à la décision du juge. Or, il est bien évident que leur absence parlent de la façon dont le professionnel vit son rôle et donc de la façon qu’il a de juger.

Pour une illustration de la justice asymbolique et bureaucratisée, considérons la cour pénale internationale de La HayeXIX qui juge les personnes accusées de crimes de guerre, génocides et crimes contre l‘humanité ; depuis 2010 elle devrait avoir pour compétence de juger également les crimes d’agression, mais ceux-ci doivent d’abord faire l’objet d’un consensus quant à leur définition. Elle est le lieu d’une justice hyper professionnalisée, hyper technique, avec ses juges spécialisés, ses experts, son innombrable personnel administratif, traducteurs, etc…

Certes, elle ne juge pas des activités quotidiennes des hommes et se situe sur un plan international, mais elle est la justice de populations opprimées, persécutées ; donc intensément humaine dans son principe fondateur. La signature de ses statuts remonte à 1998 et officialise la volonté internationale d’offrir une protection concrète des droits de l’homme et du droit international humanitaire.49

Malgré ses principes fondateurs, dans son fonctionnement elle est un peu cette justice de bureaux que décrit Kafka50. Pleine de bienveillances individuelles rencontrées au détour d’un couloir ; vide d’humanité cependant dans son fonctionnement global. En effet, le bâtiment est insaisissable, l’agencement intérieur est un dédale et le sens du tout est invisible.

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Wikipédia, Cour pénale internationale

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