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Construction d’une distanciation

Dans le document Les murs ont un langage (Page 51-54)

II. Un langage symbolique

2. Acte créateur

2.5. Construction d’une distanciation

Plus subtilement, la mise en scène permet, nous l’avons évoqué en première partie, d’opérer un dédoublement de la réalité. L’une sérieuse et bien réelle avec ses règles et ses enjeux, l’autre qui semble imiter la première avec ses décors, ses codes et ses acteurs qui ne sont pas toujours loin du ridicule. Cette dernière apparaît parfois plus clairement sous la forme d’un moment de décalage, comme une déchirure dans le décor. Cela peut être l’attitude d’un personnage, une robe mise à l’envers, une allure. Et dans ces circonstances, c’est le rire qui vient ; comme si de toutes façons ce n’était qu’un jeu et que quel que soit le sérieux du sujet il se pouvait qu’il fût mal joué.

Antoine Garapon36 dit que le rituel dont on se plaint du caractère désuet et encombrant, sert aussi à permettre des instants de mise à distance grâce à ces petits « couacs ». L’humour et l’autodérision autorisent l’acteur comme le spectateur à la critique. Le juge peut penser son rôle en ne s’y identifiant pas totalement.

Ce sont ces décalages accidentels qui font ce que la justice ne fait plus volontairement : une mise à distance par rapport à ses codes, son sérieux, ses tournures et peut avoir la vertu de nourrir la conscience de ses faiblesses. Signe toutefois que ces incidents n’étaient pas assez frappants et nombreux pour faire leur œuvre, le 19ème siècle a vu fleurir les caricatures, notamment celles de Daumier. La justice est tournée en ridicule pour n’avoir pas compris la nécessité de se montrer consciente de ses défauts comme c’était le cas jusqu’à ce que l’image judiciaire devienne si sérieuse vers le 17ème siècle. Depuis lors, le spectateur s’en charge.

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A ce sujet Robert Jacob37 fait remarquer que la caricature politique s’intéresse aux traits individuels des personnages au contraire de la caricature judiciaire qui ne s’en prend qu’au rituel. C’est donc le système qui est visé à travers des personnages-type.

Apparaît le rôle fondamental du système symbolique dans la création de l’œuvre de justice à travers ses pouvoirs de consécration et de façonnage du réel.

Jusqu’au 19ème siècle, les distances qui se sont construites, éloignant la justice de la société des hommes et l’éloignant de son référent divin, ont accompagné la création d’un nouveau langage portant la marque de cette distance et qui la traduisit en mystère, en peur diffuse. Néanmoins, la justice continuait de s’adresser aux hommes. Elle continuait de vouloir en imposer et a notamment utilisé l’architecture à cette fin. Et en définitive, si les origines de la justice sont devenues imprécises, si ses références spirituelles ont progressivement glissé du religieux vers le laïc, elle a fini par être relativement bien comprise au sens où malgré ce qu’elle a inspiré, sa place et son rôle dans la société n’étaient pas fondamentalement remis en question.

En outre, nombre de ses anciens symboles ont eux-mêmes su accompagner ce glissement et se sont adaptés. Ainsi en est-il du bois, symbole d’inspiration divine puis laïque de pérennité, longévité etc… et de la lumière, longtemps marquée de théologie puis symbole de sagesse et de raison. Ce qui est fondamental, c’est qu’il existait toujours un système symbolique, même s’il n’édictait plus de norme et même s’il se vidait d’une partie de son signifié. Ce système symbolique continuait d’œuvrer dans le sens d’une consécration de l’acte de juger, lui accordant un crédit indispensable pour continuer d’exister. Malheureusement la justice se prendra de plus en plus au sérieux, espérant de cette façon gagner en respect. Parallèlement, les palais perdront de leur faste, la dame à la balance se fera plus discrète et la justice ne se reconnaîtra plus elle-même.

En se trouvant des lieux à partir du 12ème siècle, dont elle a immédiatement pressenti la force symbolique, elle est passée d’une parole inspirée et magique à une parole imitant et respectant une force supérieure avec laquelle elle communiquait. Elle était parmi les hommes et recevait une consécration religieuse par sa soumission à cette spiritualité. C’est aussi ce qui lui a permis de se construire de façon autonome par rapport aux pouvoirs religieux et politique,

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tout en ayant avec eux des rapports qui oscillaient entre plus ou mois d’indépendance selon les époques.

Le mouvement de mise à distance physique et symbolique de la justice qui a commencé au 15ème siècle et qui s’est affirmé avec la grande vague de construction de palais au cours du 19ème siècle, l’avait rendue aveugle et plus mystérieuse, mais ne l’avait pas encore rendue muette et invisible.

Deuxième partie : Une justice dans l’immanence

La période classique se stabilise au cours du 19ème siècle et conserve ses critères architecturaux jusque dans les années 1960. Vétusté, manque de place, évolution des besoins de la justice, une nouvelle ère de constructions s’ouvre avec de nombreux chantiers. Ces nouveaux édifices côtoient les anciens et mis côte à côte font contraster des conceptions très différentes de la justice.

Le problème est que parfois le contraste ne se fait pas parce que l’on ne sait pas que l’on a affaire à un lieu de justice et que peut-être est-on passé d’une conception de la justice à une absence de conception.

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