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Affaiblissement de la recherche de la vérité

Dans le document Les murs ont un langage (Page 78-80)

II. Un silence symbolique

2. De Jupiter à Hercule

2.2. Amendement

2.2.1. Affaiblissement de la recherche de la vérité

Psychologiquement et procéduralement parlant, les audiences de cabinet font la part belle à la discussion, à la recherche de l’accord des parties entre elles ou avec le juge. C'est-à-dire que la situation n’est plus de rechercher ce qu’il est juste de décider et donc au préalable ce qui est vrai, mais de chercher un consensus.

Cela est plus ou moins vrai selon les domaines mais peut être observé globalement. Ainsi, en matière familiale ou de protection des mineurs, une fois entendues les confessions des parties, le juge a souvent tendance à éviter de trancher une situation établie, mais à amener l’une des parties à modifier son comportement pour qu’elle agisse comme il convient. Ce faisant et pour obtenir ce résultat, il lui sera imposé une double contrainte. La première, implicite, est qu’il n’est pas inutile de se montrer bon élève et de reconnaître les torts qui lui sont reprochés, paradoxalement souvent sans tenir compte des circonstances. La seconde, explicite, se fera sous la forme d’une injonction faite par le juge et dont celui-ci vérifiera le respect au terme d’un délai fixé par lui. Il y a donc une véritable contrainte, qu’elle soit opportune ou pas, qui se détache du fait de trancher une situation de fait à un instant donné. Le juge acquiert donc un pouvoir important, sortant de son rôle et s’imposant après sa décision.

En matière pénale, c’est beaucoup plus évident. Toutes les procédures indiquées ci-dessus fonctionnent sur l’adhésion du prévenu, ce qui présente un double avantage. Tout d’abord la contrainte se fait plus feutrée, la personne ayant reconnu les faits et, dans le cas d’une CRPC, ayant éventuellement accepté aussi la peine. On peut donc avoir les coudées franches en communiquant sur l’humanité de la justice pénale actuelle. Ensuite, on peut obtenir des

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chiffres records de condamnations en expédiant nombre d’affaires sans s’appesantir sur le pourquoi du comment, au terme de ce qu’il faut bien nommer “chantage”.

Le système est simple : agiter le spectre du juge imposant du haut de son trône pour décourager les éventuelles contestations de forme et de fond. Cela commence par un ratissage très large et par voie de conséquence, des procédures parfois insignifiantes et fort contestables. Ainsi, la réaction pénale peut aller se nicher là où auparavant elle aurait pu se solder par une déconvenue. Il est aisé en effet de convaincre une personne qui a admis la réalité d’un fait, qu’il est risqué de jouer à quitte ou double en refusant la proposition de peine et en renvoyant la discussion devant un tribunal qui sera peut-être « mal » composé ce jour- là ; c’est finalement tout ce qui fait que chaque cas est particulier et qu’une peine ne peut pas être automatique qui sort du débat par ce procédé.

On aboutit à une justice de papiers, pressée, expéditive et peu attentive à la particularité du cas d’espèce. Une sorte d’automaticité préside à l’application de ces procédures ; dès lors qu’une personne est désignée par une autorité légitime comme étant un délinquant, seule compte la confirmation officielle de sa culpabilité. La recherche de la vérité n’est que mauvaise foi et prétexte, les conclusions hâtives et péremptoires suffisent. Par exemple, une personne est attrapée en train de ramasser une petite cabane de bois endommagée laissée prés des ordures d’une place publique par un marchand d’un marché de noël. Il lui est demandé s’il reconnaît avoir récupéré ces objets et il répond par l’affirmative. Au terme d’une garde à vue, il est convoqué pour une CRPC et c’est à ce moment, une fois la machine lancée sur la base de faits agrémentés d’une résistance à une arrestation peut être illégitime, que la personne s’entend dire qu’elle peut stopper tout cela à la condition d’accepter une peine ridicule qui ne modifiera pas son quotidien.

La même tournure d’esprit, le même paternalisme de surface préside à l’application de nombre de sanctions pénales. Jean Danet63, à propos de réflexions sur les métamorphoses de la justice pénale, évoque celles qui sont moins médiatisées que la gestion de la récidive ou le débat autour de la suppression du juge d’instruction. Il examine tout d’abord celles qui touchent aux peines délictuelles et indique qu’elles sont dominées par une logique du risque. C'est-à-dire que de nouvelles incriminations et de nouvelles peines qui ont vu le jour ces dernières années visent non plus des comportements attentatoires mais des risques de tels comportements. Là encore la pénalité a étendu son champ d’application et donc ajouté une

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corde à son arc en jugeant la probabilité de nuisance de certains actes. Ce sont surtout les peines qui sont intéressantes car elles visent la conscience qu’il convient d’investir par des mesures à dimension pédagogique.

Ainsi par exemple le bracelet électronique qui instaure une atteinte à l’anonymat, les stages de prévention routière qui imposent une soumission de l’esprit ou le dédommagement d’une victime. Ce sont sans surprise les nouvelles procédures de compositions pénale et de CRPC qui en sont les meilleurs promoteurs, la négociation étant un outil redoutable de persuasion. Tout cela, uniquement pour consacrer l’idée que la justice agit en termes de résultats.

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