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Délibération partielle et acquisition de capital humain

Quelle relation peut-il y avoir entre l’acquisition de capital humain et l’évolution des préférences individuelles ? L’intérêt d’une telle question est aussi bien théorique que pra- tique. L’acquisition de capital humain constitue l’objectif central de nombreuses institu- tions comme le système éducatif, les formations internes aux firmes ou le tissu associatif. Pour évaluer ces institutions, il est nécessaire de comprendre comment elles permettent d’atteindre deux types d’effets recherchés. Le premier consiste à former les individus au marché du travail, le second à promouvoir une certaine cohésion sociale. Avec la délibé- ration partielle il est possible de mieux comprendre comment ces deux objectifs peuvent être conceptuellement imbriqués.

Le premier effet recherché consiste à permettre d’augmenter les capacités productives des individus pour que l’offre de travail qualifié corresponde à sa demande tout en favori- sant une croissance durable et équilibrée.

Une telle question prend une portée nouvelle avec le développement de la robotique et de l’intelligence artificielle qui, pour bon nombre d’économistes, préfigure de profondes mutations des rapports que nous entretenons au travail. Cette révolution supposée tend à rendre les tâches généralistes plus compétitives sur le marché du travail que les tâches plus spécialisées, davantage menacées de remplacement par des machines1. Or, il est possible

de distinguer travailleurs généralistes et travailleurs specialisés en utilisant les concepts de conscience et de connaissance. Le travailleur généraliste est conscient de beaucoup de choses, mais il ne les connait pas nécessairement. Dans son esprit, plusieurs états du monde sont envisageables mais il sait avec moins d’acuité que le spécialiste si ces états sont vérifiés. Le spécialiste, à l’inverse est conscient de peu de choses, mais il connait le peu de choses dont il est conscient. Par conséquent, les changements sur le marché du travail que laisse augurer l’intervention des nouvelles technologies suggèrent qu’un nouveau rapport 1. En toute rigeur, ce sont les tâches standardisées qui sont les plus à même d’être remplacées. Ici, je suggère qu’il y a une corrélation entre spécialisation et standardisation. On sait par exemple que les tâches les plus à même d’être remplacées dans le domaine de la médecine sont non pas les moins qualifiées, mais les plus spécialisées, comme la chirurgie.

à la conscience des individus soit favorisé par rapport à un autre. Les individus sont davantage généralistes et donc plus conscients (sans être connaisseurs). Ce phénomène recoupe une idée, largement mise en avant par la littérature, qu’avec le développement des technologies du numérique, la connaissance est beaucoup moins couteuse à acquérir et que, par conséquent, les compétences des individus consistent davantage en le fait d’être capable d’aller chercher l’information si nécessaire, que d’être capable de la mobiliser à tout moment.

Si donc la délibération partielle permet bien de rendre compte de l’effet des prises de conscience sur les préférences des individus, on peut supputer que ces mutations sur le marché du travail sont susceptibles d’avoir d’importantes conséquences en matières de préférences sociales, idéologiques et politiques.

Cela nous conduit au second effet recherché de l’acquisition de capital. Celui-ci souligne les effets du mode d’aqcuisition des compétences choisi sur les comportements sociaux en général. Par exemple, si l’éducation permet assurément d’offrir de nouvelles compétences aux individus, elle a rempli un rôle déterminant dans l’émergence d’un sentiment national au sein des Etats nations du XIXe siècle. Il semble aujourd’hui clair que la lutte contre les discriminations sous toutes leurs formes doit passer par l’éducation. Elle est suscep- tible d’orienter le comportement des familles, comme dans l’Etat indien du Kérala, où la croissance démographique a pu être maitrisée simplement par la généralisation de l’ins- truction publique. Ces propriétés du système scolaire ont été empiriquement soulignées, entre autres, par Robinson and Acemoglu [2012]. Autrement dit, dans la mesure où elle peut engendrer des changements de préférences, l’acquisition de capital humain est sus- ceptible de produire des externalités, dont il est indispensable de comprendre la portée pour évaluer des institutions dont l’objectif principal est l’acquisition de compétences.

A ce titre, l’éducation est sans doute l’une des institutions qui recueille le plus de sympathie. Chacun reconnait son rôle capital dans les changements de comportements sociaux. Il s’agit donc d’une platitude de la psychologie du sens commun que d’affirmer que l’acquisition de capital humain implique des changements de préférences. Cette idée est si banale qu’il est difficile de rencontrer des projets politiques de long terme qui fassent l’économie d’un discours sur la façon dont la politique éducative doit être conduite et sur les contenus qu’elle doit être à même de transmettre. Elle est un secteur stratégique de toute entreprise politique de long terme, comme en témoigne de nombreux exemples historiques comme celui des jeunesse hitlériennes, du rôle prépondérant qu’elle devait jouer dans l’avènement d’un « homme nouveau » communiste ou des scouts anglais.

Je soutiens que ces idées sont susceptibles de trouver une expression simple avec la dé- libération partielle. La délibération partielle permet de relier évolution du capital humain et évolution des préférences car ces deux phénomènes supposent l’intervention d’une prise de conscience. Si l’acquisition de capital humain engendre la prise en compte de nouvelles valeurs, elle peut être responsable de changements de préférences. Ainsi pourraient être pensées les conséquences des mutations induites par la révolution numérique - le premier

effet recherché - sur les comportements politiques - le second effet recherché. En un sens, il est possible d’arguer que ces conséquences se perçoivent déjà dans les bouleversements du rapport que les individus entretiennent avec la politique. En occident, les citoyens sont moins enclins à se revendiquer d’une idéologie figée qu’ils ne l’étaient au sortir de la seconde guerre mondiale, leurs attitudes politiques sont plus mouvantes.

2.2 Articuler formation des groupes sociaux et évolution des préférences