• Aucun résultat trouvé

Défis de la pratique des ergothérapeutes en lien avec la participation sociale

3.1 Pratiques ergothérapiques favorisant la participation sociale des aînés

3.1.3 Défis de la pratique des ergothérapeutes en lien avec la participation sociale

Ce volet de la recension visait à décrire les défis de la pratique des ergothérapeutes en lien avec les interventions qui favorisent la participation sociale en milieu communautaire. Suivant la démarche décrite précédemment (Turcotte et coll., 2018), les facilitateurs et les obstacles à la pratique courante des ergothérapeutes ont été décrits dans 13 études descriptives, rapportées dans 15 articles (Carrier et coll., 2016; Carrier et coll., 2015; Craig,

2012; Filiatrault et Richard, 2005; Furåker et Nilsson, 2011; Hébert, 2001; Hébert et coll., 2002; Holmberg et Ringsberg, 2014; Lilja et Borell, 2001; Mitchell et Unsworth, 2004; Quick et coll., 2010; Ramsey, 2007; Turcotte et coll., 2015; Trentham et Cockburn, 2007; Wood et coll., 2013). D’abord, les défis identifiés dans ces études seront décrits en intégrant les obstacles puis les facilitateurs. Ensuite, d’autres défis n’ayant pas été inclus dans la recension élargie, mais étant tout de même pertinents, seront présentés. Puis, cette section fera l’objet d’une synthèse critique.

Selon les études recensées, les ergothérapeutes rencontraient principalement des obstacles d’ordre organisationnel ou systémique, incluant la pression organisationnelle et le manque de temps (Tableau 5). Les études ont décrit une culture institutionnelle selon laquelle la pratique clinique prime toute autre chose. Cette culture résulterait de politiques de santé et de procédures qui s’opposent à la participation sociale et aux principes d’intégration communautaire. Considérant les besoins croissants des aînés et la présence de listes d’attente, les ergothérapeutes seraient poussés à prioriser et à offrir des services curatifs cohérents avec le modèle biomédical dominant qui modulerait leur pratique (Tableau 5). Étant donné un manque de financement des services communautaires, le rôle des ergothérapeutes serait mécompris, notamment lié à un manque de modèles de rôles et l’isolement professionnel.

Tableau 5

Défis de la pratique courante des ergothérapeutes en milieu communautaire§ Défi Thème (référence)

Obstacles • Pression organisationnelle et temps limité pour la prévention1-2, 4-5, 10, 14-15

• Politiques de santé, culture institutionnelle et procédures1-2, 6-7, 9-11, 15

• Méconnaissance du rôle de l’ergothérapeute8, 11-12, 14-15

• Manque de modèles de rôle8, 11-13, 15

• Manque de financement10-13, 15

• Croissance des demandes et des besoins des aînés6-7, 10-12, 14

• Isolement professionnel10-12, 15

• Modèle biomédical dominant1-3, 6-7, 11

Facilitateurs • Vision systémique du milieu communautaire et des partenariats4, 10, 12-12, 15

• Forte identité professionnelle6-7, 12, 15

• Créativité et expérience clinique diverse6-7, 12, 15

• Formation continue et éducation4, 12

• Autonomie professionnelle et niveau de responsabilité10, 12

• Soutien entre pairs et mentorat12, 15

• Utilisation de théories de changement de comportement4

• Rôles mixtes (populationnel et clinique)15

Légende : Les numéros en exposant réfèrent aux études identifiées par le nom du premier auteur:1.Carrier (2015); 2.Carrier (2016); 3.Craig (2012); 4.Filiatrault (2005); 5.Furåker (2011); 6.Hébert (2001); 7.Hébert (2002); 8.Holmberg (2014); 9.Lilja (2001); 10.Mitchell (2004); 11.Quick (2010); 12.Ramsey (2007); 13.Trentham (2007); 14.Turcotte (2015); 15.Wood (2013); §adapté de Turcotte et coll. (2018).

Malgré ces obstacles, des facilitateurs reliés à l’appropriation par les ergothérapeutes d’une vision systémique du milieu communautaire et des partenariats ont été identifiés (Tableau 5). Cette vision pourrait notamment s’incarner par l’implication d’organismes communautaires et de groupes de défense des droits, qui agissent sur les obstacles systémiques à la participation sociale et s’assurent que les priorités des communautés soient prises en compte. Quant à eux, les partenariats permettraient aux ergothérapeutes de naviguer avec les individus concernant les défis spécifiques du système de santé. Le fait d’avoir une identité professionnelle forte comme ergothérapeute et des aptitudes personnelles comme la créativité, la flexibilité et des expériences cliniques variées constituerait un facteur qui renforce la capacité d’intervenir sur la participation sociale (Tableau 5). Selon les écrits recensés, cette identité professionnelle pourrait être développée par la formation continue et l’éducation ou encore par le mentorat et le soutien entre pairs. Selon les ergothérapeutes, la pratique en milieu communautaire était liée à une plus grande autonomie professionnelle ainsi qu’à plus de responsabilités (Tableau 5). Certains ergothérapeutes considéraient que le fait d’avoir des rôles mixtes (à l’échelle clinique et populationnelle) était facilitant pour intervenir sur la participation sociale et permettait d’améliorer l’équilibre entre les interventions individuelles et populationnelles. Finalement, l’utilisation des théories de changement de comportement a été rapportée comme une stratégie possible pour faciliter les interventions qui visent la participation sociale des aînés (Tableau 5).

Selon une étude qualitative (Wood et coll., 2013) réalisée en Australie auprès d’ergothérapeutes en première ligne (n = 5), un ensemble d’obstacles aux pratiques visant à promouvoir la santé ont été recensés. Parmi ceux-ci, on retrouve le financement insuffisant des services, la méconnaissance du rôle de l’ergothérapeute en promotion de la santé par les autres professionnels et le manque de formation dans ce champ selon les ergothérapeutes eux-mêmes. De même, les analyses secondaires de Turcotte et collaborateurs (2015) ont aussi identifié certains obstacles à l’intégration de ces pratiques au SAD liés à la pression organisationnelle et au temps limité pour créer un lien de confiance et aborder les activités signifiantes des aînés. De plus, la complexité des besoins des aînés ayant des incapacités nécessitait plus de temps et les ergothérapeutes étaient alors appelés à restreindre leur pratique (Turcotte, Carrier, et coll., 2015). Toutefois, ces analyses secondaires ne

permettaient pas de détailler ce qui contribuait à limiter la pratique des ergothérapeutes dans ce champ. Une étude ethnographique institutionnelle de Carrier et collaborateurs (2016; 2015) visait à explorer l’influence des formulaires standardisés et des mécanismes de reddition de compte sur la pratique des ergothérapeutes au SAD. Selon cette étude, le contexte de pratique, le discours institutionnel qui promeut une optimisation de la performance des professionnels et les documents standardisés contribuaient à orienter insidieusement la pratique des ergothérapeutes vers la sécurité de l’aîné à domicile plutôt que sa participation sociale. Ainsi, ces travaux identifiaient différents leviers et suggéraient d’entreprendre des actions concertées pour modifier la pratique des ergothérapeutes.

En plus des obstacles identifiés dans la recension élargie des écrits (Turcotte et coll., 2018), les mécanismes de priorisation ont aussi fait l’objet d’une étude qui a comparé les opinions des ergothérapeutes et de leur clientèle cible (personnes âgées et personnes ayant une déficience physique) quant aux situations jugées les plus prioritaires (Raymond, Demers, et Feldman, 2018). Cette étude a décrit des écarts significatifs entre la façon dont les ergothérapeutes et les usagers priorisent les situations cliniques. D’un côté, les ergothérapeutes accordaient une priorité plus grande à une personne à risque de chute, alors que pour la clientèle cible, la priorité était la capacité de sortir de chez soi (Raymond et coll., 2018), le second cas étant une illustration typique d’un besoin lié à la participation sociale. Ainsi, il est possible que ce mécanisme de priorisation interfère sur la pratique courante des ergothérapeutes au SAD en lien avec la participation sociale.

Les défis de la pratique courante des ergothérapeutes en milieu communautaire ont été décrits dans plusieurs études. Des obstacles d’ordre organisationnel et systémique sont principalement rapportés, tandis que les facilitateurs concernent surtout les ergothérapeutes. Les études recensées comportent toutefois certaines limites. D’abord, les études ont surtout utilisé des dispositifs descriptifs, mais ne visaient pas à explorer les facteurs qui influencent l’intégration d’interventions de participation sociale par les ergothérapeutes. Comme ces facteurs peuvent être différents dans un contexte d’intégration de nouvelles pratiques, il importe de mieux les comprendre. Ainsi, compte tenu de l’écart entre pratiques courantes des ergothérapeutes en milieu communautaire et les pratiques prometteuses identifiées, les facteurs pouvant influencer l’intégration de ces pratiques nécessitent d’être déterminés.

3.2 Facteurs pouvant influencer l’intégration des pratiques en milieu communautaire Ce second volet de la recension des écrits traitera des facteurs pouvant influencer l’intégration des pratiques en milieu communautaire et a suivi une démarche semblable au premier volet (données non publiées). Pour ce volet, en complément de celles identifiées dans la section précédente et puisqu’elle est spécialisée en gestion, la banque de données ABI/INFORM Complete a également été consultée. Les concepts de changement organisationnel (organizational change, organizational innovation), de gestion du changement (manag*, chang*), de milieu communautaire (community dwelling, community health services, homecare) et de promotion de la santé (social determinants of health, health promotion, prevention) ont ensuite été cherchés. Les textes sélectionnés ont été publiés entre janvier 1995 et février 2015 en français ou en anglais.

Sur les 519 articles identifiés, après le retrait des doublons, quarante-six études ont porté sur l’intégration de pratiques par des professionnels de la santé en milieu communautaire autres que celles des ergothérapeutes (Annexe 1). Les études recensées incluaient des facteurs liés aux pratiques elles-mêmes, aux professionnels qui les réalisent, aux usagers ciblés par ces pratiques, à l’organisation des services ainsi qu’au système de santé. Pour chaque niveau d’influence de Chaudoir et collaborateurs (2013), les facilitateurs reliés à l’intégration des pratiques en milieu communautaire seront d’abord présentés suivis des obstacles. Une critique intégrée des écrits recensés sera finalement offerte.