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Les définitions de dictionnaire de la poésie qui s’inspirent de la notion de « fonction poétique » jakobsontenne nous placent, paraît-il,

Dans le document 1898-1998 (Page 54-63)

LE RETOUR D’ALEXANDRE

0.4. Les définitions de dictionnaire de la poésie qui s’inspirent de la notion de « fonction poétique » jakobsontenne nous placent, paraît-il,

« au-delà des définitions antérieures, qui réduisaient la poésie à l'art de faire des vers : la référence au vers est absente » (Jaffré, 1984, 5). Bien

sûr, tout ceci est faux, aussi bien en ce qui concerne le présent que le entre vers et poésie en citant le pédagogue Fleury :

Un célèbre Ecrivain ne veut pas qu‟on montre la route de la Poésie à beaucoup de personnes [...]. Cet auteur convient cependant des avan- tages qu‟un honnête homme peut retirer de la connaissance de la Versi- fication, qui est bien différente de la Poésie. (Richelet, 1781, p.xx)

Mais il est significatif que l‟on puisse faire fi impunément de la débris des avant-gardes sur les formes artistiques, romantiquement con- sidérées comme « mode d‟expression », sans que l‟on se demande si l‟on tive. L‟esthétique de l'originalité, enfermée dans les contradictions de l‟individualisme obligatoire et de la dictée de l‟inconscient, reproduit la tradition du nouveau jusqu‟à épuisement de la différence et cultive une sorte d‟invention aussi indislinctive et uniforme que le désordre peut l‟être. Elle se prend ainsi à ressembler à la personnalisation de l‟image

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du produit de consommation selon la publicité subliminale ciblée qui nous crible.

0. 5. Ce qui pouvait apparaître dans un premier temps comme une conquête et une expansion de la poésie -vers libre à côté, c‟est-à-dire en sus des formes traditionnelles, puis poésie spatiale, poésie concrète, poème en prose, récit poétique, etc.- est devenu un piège stratégique. Le dis- car ces proses, littéraires ou communes, signifiaient contrastivement vis à vis des normes du vers ; voir, par exemple, le débat sur le Télémaque municatives qu‟assume la versification dans son retour historique comme dans sa tourne plus ou moins élaborée et laborieuse.

1.0. Mon premier est extrait de l’épilogue de L'Escalier d'Oiiri de Jean Ristat, dans Du coup d'état en littérature suivi d’exemples tirés de la Bible et des auteurs anciens (1970).

Épilogue

Amour en quel état m’as-tu réduit et dou Ce déchéance qui plus démuni que moi Par tes artifices quel monarque parmi

Tes serviteurs plus illustres et d’honneurs comblé Plus soumis O cruel mais que nul ne plaigne Le pauvre jean sans terre et ne rie de sa Superbe qui m’habite en souveraine dé Cision quel rêve me fait cortège et gloire De reposer en ce jardin oh je vous prie

Que dépouiller l’on me laisse et ne s’avise Le dieu d’avertir l’oiseau qui porte le vent Maintenant je veux être seul en dévotion Et mon ravisseur entretenir des affai Res du monde comme elle va l’herbe le ciel Aiguiser et mon sang rougir la place où il Me couronne voyez qu’en jalousie il En meurt le vieux jupin enfin lassé de guer Royer seul sur son nuage ou peut-être qu’à Me foudroyer il s’emploie attends au Moins qu’avec la lune s’achève ma course Laisse amour nous rendre immortels prête Moi l'éclair qui déchire et va dormir comme au Trefois innocent et léger sinon de voir

Comme en ce jardin l’on joue sous les fougè Res rouillées vers quel marécage

Ouvrent leurs serrures je tairai mes nuits Tu disais c'est loin la grèce plutôt mourir

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Que survivre plutôt me perdre et sans larmes Le rire du dieu qui sommeille alors que Penché sur ta couche j'épie ton rêve et s'il Parle de moi jaloux de n‟y être pas les Poètes disent l‟oubli oh mon temps sans mé Moire quelle est ma demeure que vais-je fai Re du temps qu‟il me reste à vivre le décor Est le même les dieux sur la locomoti Ve trois mille quarante quatre les ombres En une lanterne prisonnières ce

Grand rêve de vouloir et de ne plus atten Dre

Ristat, très proche d‟Aragon, à qui il doit pourtant beaucoup moins que sa reconnaissance ne veut nous le faire imaginer, a exploité dès le départ, ou presque, un alexandrin rompu à rejet, connu aussi chez Rouben Melik, mais combiné avec le collage, la référence classique, le pastiche et l‟apposition à la prose, soit un ensemble de techniques qui signent ses textes de façon très singulière.

1.1. Dans le passage sous nos yeux, nous remarquons les traits métriques et rythmiques suivants :

— Le compte de l‟alexandrin est conforme à la tradition classique dans les quatre premiers vers. Dans le cinquième, qui se termine par un

« e muet »; la féminine finale est syllabe entière : « Plus soumis O cruel mais que nul ne plaigne » comme plus tard dans « Cision quel rêve me fait cortège et gloire », etc. La raison pratique en est apparemment le problème posé par des finales graphiquement féminines en fin de vers résultant de la coupure d‟un mot et par ces mêmes finales quand elles se trouvent rejetées en début de vers suivant (exemples : « toure / Lie »

« couron / Ne »). Il reste que de telles coupures pourraient facilement être évitées, et que la première citée est d‟autant plus arbitraire qu‟on trouve ailleurs dans le même poème les découpes « cel / Le » et « el / Le ». La vocalisation du « e muet », qui ne s‟applique pas toutefois en général aux situations d‟élision à l‟intérieur du vers, apparaît donc comme surdéterminée et multifonctionnelle; elle se lit comme écart idiosyncra- tique par rapport à la norme, comme masculinisation du féminin et réci- proquement, enfin comme une formation de compromis entre les dictions

nordistes et méridionales. D’autre part, la flexibilité métrique de l’alexan- drin s’en trouve sensiblement réduite, et l’artificialité mécanique du décompte des pieds soulignée. Enfin cette mécanicité contribue autant à

qui plus démuni que moi par tes artifices quel monarque parmi tes serviteurs plus illustre et d’honneurs comblé Plus soumis O cruel

mais que nul ne plaigne le pauvre jean sans terre et ne rie de sa superbe qui m’habite

en souveraine décision orientation vers une maîtrise déclamatoire et proclamatoire, que les exi- gences du sens commun ne cessent de mettre en défaut.

— Le quadrimèlre classique est rarement maintenu; sa seule oc- currence, et encore sous la réserve précédemment mentionnée, est dans

« Plus soumis / O cruel // mais que nul / ne plaigne ». Néanmoins cette cadence continue d’opérer, du fait du couperet de l’alexandrin, et quoi- que moins forte que celui-ci, entraîne des lectures homophoniques ou

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paronomastiques qui s'ajoutent à tous les autres facteurs de polysémie.

Le premier vers donne ainsi : « Amouran - kèléta - mature - duiédou », avec redondance du thème entretissé de la mort.

— À partir du cinquième vers, que l‟on ne peut traiter comme fortuites que l‟on rencontre dans la prose conversationnelle. Trois con- séquences au moins se dessinent ; une grande linéarité de la séquence, comme une simple révolution de palais, si son anachronisme même n‟exi- geait un détour métaphorique. « oh mon temps sans mé/ Moire » pourrait être la devise et la plainte d‟une rhétorique de la réminiscence et d‟une esthétique des ruines. En fait nous trouvons ici un procédé qui reproduit

en négatif les techniques des surréalistes; alors que ceux-ci plaquaient souvent un vocabulaire disparate et futuriste sur des structures syntaxi- ques et une diction des plus traditionnelles (voir « L‟Union libre »), Ristat transmet un lexique dénué de toute actualité et tente de le faire violer par l‟alexandrin au service d‟une syntaxe de la désarticulation, de la juxta- position, d‟une parataxe incohérente misant sur la seule successivité lin- guistique. Ce que l‟alexandrin dit ici, et qui est tout à fait différent de sa mission traditionnelle, c‟est une fuite en avant, mais on ne sait en avant de quoi, selon quel programme ni quel destin. Comme le dit Ristat dans l‟« avant-première » de La Baignoire de Charlotte Corday ; « Dans l‟écri- ture, le geste manque. Ici, il est laissé à l‟arbitraire de l‟écrivain de ranger les images de droite à gauche, ou de gauche à droite. » (Ristat, 1971, 32) Le problème et la limite d‟une telle attitude est précisément que, dans pareil « théâtre de l‟inconscient », « l‟arbitraire de l‟écrivain » est toujours moins le sien que celui de la langue et surtout d‟une pesan- teur historique du discours littéraire. Ce que Jean Ricardou et naguère le groupe de Conséquences prétendaient éluder par l‟analyse exhaustive du signifiant et le minutieux calcul des dispositifs signifiants, dans un extra- ordinaire enthousiasme pour une maîtrise sans objet.

2.0. L‟art duvet

V invente une règle. Elle suppose un sonnet, Au sEXe dédié, s‟il sait subir l‟émoi, Jouir POur une lèvre, ou bien par une VOIX, Tenter leS Expériences au plaisir conSAcrées.

C‟est le triangle UNiversel. Lu DANS l‟étroit Mot, si bref, qu‟offre SON duvet VERS tout lettré : En son milieu, un V, NET, SES replis secrets

Comprennent la main, tournant, qui les ouvre aux joies;

Long aller et retour, qui assouvir saura, Neuf jusqu‟en le redit de ses appoggiatures, Et la clef en vigueur, et le sexe à serrure ! Puis l‟investissement qui multiplie les ah ! Ces rêves ? Ils sont venus par maints duplicata.

Ses spasmes ? Elle ne sait pas ce qui dans leurs cris hurle...

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À côté des régularités visibles du sonnet -deux quatrains, deux au vers 2, et éviter la liaison d‟« Expériences-z-au-plaisir » pour le même résultat au vers 4. Les vers 5, 6 et 7 sont correctement métrés, mais la avec la pénibilité de l’exercice de versification. L’art du sonnet ne sem- ble pas à la hauteur de la règle du V. Pour qui connaît, ne fût-ce qu'un peu, le travail de Ricardou, ou qui aurait lu quelques-unes des nouvelles de La Cathédrale de Sens,celle, par exemple, intitulé « L’art du X » où se situe notre sonnet, il est impensable que la manipulation de l’écrit soit aussi défectueuse par négligence ou incapacité. Comme d’habitude, c’est la précision du rituel qui doit mener à l‟orgasme (« ligne après ligne, lettre après lettre »). Devrions-nous donc parler de « perversification » ? Une réponse partielle nous serait apportée par la phrase : | La prose souhaite qu‟en divers lieux le décryptage ait des surprises... » (176)

1.1. Le poème, avec variantes, inséré, donc détaché dans un en- nouvelle baroques (« La Petite Gitane » de Cervantès, Mathdde d’Aguilar de Madeleine de Scudéry) se montrent toujours trace, d‟une part, du récit en vers, et repentir pour cet autre dire, non narratif, que le récit oblitère.

La présence désormais transitive (discours et décours), dans le récit ri-

cardolien, du poème en vers (objet qui est à la fois serrure et clef, moyen l’illusion de totalité à laquelle visent, justement, les contraintes classi- ques. Comme le labyrinthe du titre ricardolien, son parcours ne revient poser dans un impossible hors-texte. L’obsession métalinguistique, l’« aventure du récit », lorsqu’elle s’empare de la pratique du vers, l’éloi- gne à la fois de la tradition de l’espace épique, du lapidaire épigramma- tique et de la scène lyrique, sans lui assigner une spatio-temporalité qui lui soit propre, puisqu’elle est à elle-même toujours seconde, par elle- même toujours contestée. De la sorte nous voici tiraillés et plongés, comme chez Ristat, dans une sorte d’inquiétante instabilité entropique.

Traits que l’on retrouve une fois de plus, bien qu’atténués et différem- ment exploités, chez Coste et chez Réda.

3.0. Comme dit plus haut, la modestie ne serait pas de mise en

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